Gilles Ferréol (dir.), Femmes et Agriculture, Bruxelles, InterCommunications et E.M.E, coll. « Proximités-Sociologie », 2011.
Le colloque pluridisciplinaire organisé en octobre 2010 au Théâtre de la Mer à Sète s’est focalisé sur la thématique Femmes et Agriculture en privilégiant une optique académique et empirique. Placé sous la direction de Gilles Ferréol, l’ouvrage, qui a réuni une quinzaine de participants, universitaires, docteurs et spécialistes de terrain, regroupe douze communications regroupées en trois parties.
En ouverture, quelques éléments de cadrage et de contextualisation sont tout d’abord proposés. L’étude de la viticulture languedocienne donne l’occasion à Jean-Louis Escudier de mettre en évidence la forte discrimination dont font l’objet les femmes sur la période 1860-1980. Privées de la connaissance des savoirs techniques, elles n’ont pu faire prévaloir la qualification intrinsèque des tâches confiées et ont souffert de la division sexuée du travail, notamment en termes de rémunération où la norme « demi-prix » était encore appliquée au milieu du XXe siècle. En dépit d’avancées notables (songeons à la fréquentation massive des Écoles supérieures d’agronomie et des écoles d’œnologie ou à l’instauration d’un salaire minimum interprofessionnel garanti), les inégalités de genre n’ont pas totalement disparu en milieu viticole. Dans nos sociétés industrialisées, poursuit Alexandre Pagès, certaines femmes ont investi le « dehors » (exit) au prix de luttes souvent difficiles pour démontrer un savoir-faire, acquérir davantage d’indépendance ou revendiquer des droits (voice), tandis que d’autres, maintenues dans le « dedans », oscillent entre vie domestique et profession ou restent fidèles aux traditions (loyalty). Ces « lignes de fracture », révélées par l’abondante littérature spécialisée (travaux de Martine Segalen, Henri Mendras, Alice Barthez…), peuvent être lues, on le voit, de manière hirschmanienne et mériteraient des analyses européennes comparatives plus approfondies. L’apport des mythologies et de la cosmogonie, notamment gréco-latine, permet de révéler le rôle de tout premier plan joué par la femme dans les différents bouleversements subis par l’espace rural. Comme le précise Antigone Mouchtouris, l’époque contemporaine est marquée du sceau de la « renaissance » de l’acteur femme, celle-ci empruntant à Déméter, déesse de l’agriculture, sa force de création, fondatrice de civilisation. L’imposante et souriante littérature orale, recueillie par Michel Valière et Michèle Gardré-Valière dans le Centre-Ouest de la France, enrichit la réflexion et illustre le rituel des tâches féminines et des apprentissages en milieu rural. On découvrira, chemin faisant, l’existence de ruses, stratagèmes, « arrangements » et autres « contournements » des règles établies, censés tempérer l’empreinte masculine et rendre plus acceptables les conditions pénibles réservées aux femmes.
Les quatre chapitres suivants (deuxième partie) orientent la lecture vers l’étude de la division du travail et des rapports de genre. S’appuyant sur une série de portraits et d’entretiens auprès de familles rurales en Bourgogne, Justine Marillonnet analyse la transmission de valeurs entre les agricultrices et leurs filles. Cette recherche d’identité féminine et de production du genre, vue à travers les transformations des représentations, met en exergue des stéréotypes débouchant sur des « parades », des « figurations » ou des « mascarades ». Le problème de la domination masculine revient sous la plume de Christophe Giraud qui évoque le cas d’une femme d’agriculteur de Charente-Maritime. Malgré les efforts déployés pour construire un développement personnel et une forme d’émancipation, notamment par le contrôle d’activités marchandes en marge de l’exploitation familiale, le « communisme conjugal professionnel » et le choix d’une « autonomie dépendante » restent encore très prégnants. Le fonds d’archives sonores de la Villa Bissinger a constitué, pour Aurélie Melin, un excellent matériau pour témoigner de la difficile reconnaissance du travail « émietté » des « petites mains » de la viticulture champenoise dans les années 1930 à 1980. Croisant sources folkloriques et enquêtes ethnographiques, Laurent Sébastien Fournier note lui aussi le maintien de différences de rôles sexués, notamment dans l’organisation d’événements festifs (foires, défilés, banquets…), et précise que ces pratiques sont souvent utilisées pour « redorer le blason » de l’agriculture dans nos sociétés contemporaines.
Les contributions structurant la dernière partie de l’ouvrage portent sur l’ancrage territorial et les enjeux socioculturels. Magali Pagès, dans une composante artistique, met à l’honneur les diverses festivités traditionnelles de la micro-région du Vallespir, analyse les représentations imaginaires portées par certains chants ou poèmes catalans et montre surtout le rôle fondamental de la femme dans la conservation et la transmission de valeurs locales. Anne-Marie Granié, Hélène Guétat et Agnès Terrieux, quant à elles, dressent un état des lieux des initiatives de développement entreprises par quelques agricultrices installées dans la région audoise de la Piège. La diversification des exploitations, l’animation à la ferme et la vente de produits, la gestion technique et financière, l’implication dans les décisions d’aménagement ou encore le militantisme associatif ou syndical ont des retombées économiques et sociales non négligeables. Dans un contexte d’urbanisation croissante et de forte modernité, fait remarquer Jean-Luc Roques, les espaces ruraux tentent de préserver la vivacité de leurs propres cultures par le biais d’élites locales et de familles enracinées, si bien que la population féminine étrangère à ces territoires, où subsistent des codes communautaires, se trouve désorientée et exclue du monde du travail. Enfin, clôturant l’ouvrage, Pierre Sécolier rend hommage aux conchylicultrices de l’étang de Thau en lutte pour la reconnaissance et l’amélioration de leurs conditions d’existence. Misant sur l’« agritourisme » associant diversification des pratiques, transparence et relations humaines, ces « paysannes de la mer » ont su redynamiser les petits métiers lagunaires et se révèlent être des actrices essentielles du changement social dans ce coin de la Méditerranée.
Cette nouvelle publication dans la collection « Proximités-Sociologie » offre, on le voit, des analyses de terrain éclairantes et diversifiées. Au final, un excellent recueil porté par des auteurs fortement impliqués.
Malige Régis, « Gilles Ferréol (dir.), Femmes et Agriculture », dans revue ¿ Interrogations ?, N°14. Le suicide, juin 2012 [en ligne], http://www.revue-interrogations.org/Gilles-Ferreol-dir-Femmes-et (Consulté le 11 décembre 2024).