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Equoy-Hutin Séverine, Mariani-Rousset Sophie

Sur les traces du secret : enquête sur la relation de soin et d’accompagnement de l’addiction

 




 Résumé

Cette étude s’intéresse à la notion de secret dans le cadre d’une enquête de terrain menée, dans une perspective pluridisciplinaire, au sein d’un Centre de Soin et d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA). Elle questionne la place du secret dans la relation entre usager et professionnels de la structure (éducateurs, infirmières, médecins, psychologues). À partir de l’analyse d’un corpus d’enregistrements et de dossiers de soin scannés, il s’agit de montrer comment le secret, dans ses différentes formes, conditionne à la fois la prise en charge de l’usager, son suivi mais aussi la mise en œuvre de la recherche de terrain.

Mots-clés : Enquête de terrain - interactions de soin - addictions - émergence de la parole - données sensibles

 Abstract

On the tracks of the secret : a survey on the relation of care and support of the addiction

This study focuses on the notion of secrecy as part of a field survey conducted, in a multidisciplinary manner, within a CSAPA (Addiction support and prevention health center). It calls into question the place of secrecy in the relationship between patients and the structure’s professionals (educators, nurses, doctors, psychologists). Based on a corpus analysis of recordings and scanned health-care case files, the aim is to demonstrate how secrecy, in its various forms, can condition both patient management and fieldwork implementation.

Keywords : Study focuses - care interactions - addictions - emergence of speech - sensitive data

Cet article rend compte d’un projet de recherche conduit pendant dix-huit mois au sein d’un CSAPA (Centre de Soin et d’Accompagnement et de prévention en Addictologie) de Haute-Saône par un groupe de chercheures issues de différentes disciplines : sciences du langage, sciences de l’information-communication, psychologie, sociologie et sociolinguistique  [1]. Ce projet s’intéresse à l’identité de l’usager toxicomane  [2] dans le parcours d’accompagnement et présuppose que la parole fait soin (Rossi, 2011), qu’il s’agisse de la parole du professionnel ou de celle de l’usager qui effectue un véritable ‘travail sur soi’ (Vrancken & Macquet 2006). Dans le cas de l’addiction, la parole, livrée dans le cadre d’interactions soignant-accompagnant/usager, devient un espace d’émergence d’un discours sur soi (Burger, 1994 ; Filliettaz, 2004 ; Chabrol, 2006 ; Charaudeau, 2009) – un soi aux prises avec la dépendance. Dans le parcours personnalisé dispensé en CSAPA, la frontière entre le retenu et le partagé, le non-dit et le dit, constitue un véritable enjeu : le professionnel, quelle que soit sa mission, se fait gardien d’informations que le contexte peut conduire l’usager à dévoiler.

La menace pénale et l’imaginaire social associé à la consommation de drogues, le suivi médico-psycho-social personnalisé des usagers (toxicomanes ou ex-toxicomanes) proposé dans ce centre, ainsi que la nature de la relation qui s’établit entre professionnels et usagers, incitent à interroger la place du ‘secret missionnel’ et des ‘informations à caractère secret’ ou ‘sensibles’ relevant de l’intimité (Rosenczveig et Verdier, 2011). Ce questionnement peut se développer tant sur le plan de la relation de soin et d’accompagnement que sur celui de la démarche de recherche. Il s’agit donc de réfléchir à la manière dont le secret, en tant qu’il intervient dans le processus, a pu conditionner de manière sous-jacente notre approche du terrain et orienter notre problématique de recherche, nos observations et nos interprétations.

Nous présenterons dans ses grandes lignes le projet de recherche en privilégiant une lecture croisée bi-disciplinaire de la problématique du secret : en sciences de l’information-communication et en psychologie. Puis nous tenterons de spécifier dans quelle mesure et avec quelles acceptions la notion de ‘secret’ constitue une entrée pour comprendre notre propre pratique et notre posture de recherche. Enfin, nous proposerons une analyse de trois composantes du corpus de façon à mettre au jour les lieux de son expression et de sa circulation.

 L’Escale et l’accompagnement des addictions

Notre projet vise initialement à saisir le processus de (re)construction identitaire qui se déploie au fil des interactions de soin et d’accompagnement [3] en structure pluridisciplinaire. La relation professionnel/usager y est particulièrement complexe car les structures de ce type proposent des parcours à plusieurs voix, où l’usager rencontre différents acteurs professionnels sur une durée qui peut être longue et à intervalles très variables.

Un terrain sensible

Globalement, la sensibilité de notre terrain s’appréhende au regard des représentations collectives associées à l’usage de drogues d’une part et des situations de fragilité et de précarité dans lesquelles la grande majorité des usagers fréquentant la structure évoluent au quotidien.

La structure dont il va être question assure une prise en charge globale et personnalisée des addictions, par une dispense de soins psychologiques, médicaux, infirmiers et un accompagnement socio-éducatif de l’usager de produits psycho-actifs. Elle propose la mise en place de traitements de substitution (méthadone, subutex…). L’équipe est constituée d’un assistant de direction (également éducateur), de cinq médecins, deux éducateurs, deux infirmières, deux psychologues et une animatrice à l’accueil. Le public se compose pour la plupart d’usagers d’héroïne et d’alcool, avec dans de nombreux cas, des poly-addictions.

Le plus souvent, l’usager sollicite la structure pour la mise en place d’un traitement de substitution – parfois imposé judiciairement. Au fil des contacts, d’autres ‘problèmes’ (d’ordre social, psychologique, psychiatrique, somatique, etc.) surgissent fréquemment, nécessitant une prise en charge spécifique, parfois même avant de pouvoir envisager un traitement substitutif. L’objectif est de stabiliser suffisamment la personne pour passer ensuite le relais au médecin traitant. Un certain nombre d’usagers est néanmoins suivi depuis plusieurs années. C’est précisément cet aspect de l’action dans la durée qui nous a conduit à élaborer un projet de recherche en collaboration avec ce centre, dans la perspective d’un suivi longitudinal des usagers (Ploog et al., 2016).

Le premier contact a toujours lieu avec un éducateur, qui s’assure de l’intégration de l’usager dans la société (couverture sociale, logement…). Une charte de confidentialité est signée entre l’Escale et les usagers, stipulant que rien de ce qui sera dit ne sera divulgué hors de la structure. La personne avec qui l’usager aura le plus de contacts sera dès lors l’infirmière. Après le test urinaire [4] qui donne au professionnel une information sur les consommations de l’usager sans lui laisser la possibilité de la lui cacher, elle lui délivrera la dose de produit de substitution prescrite par le médecin, tout en saisissant l’occasion de dialoguer. L’infirmière pourra ainsi être en mesure de proposer à celui-ci de rencontrer l’éducateur ou la psychologue.

La problématique initiale : la (re)construction identitaire dans le parcours de soi(n)

Considérant que le travail sur soi fait partie du processus de prise en charge de la dépendance, nous posons – au travers de nos deux approches complémentaires – que les professionnels participent à la (re)construction identitaire de l’usager par un accompagnement ciblé et différencié. Les règles implicites de conversations au cours d’interactions ont fait l’objet de nombreuses recherches (Kerbrat-Orecchioni, 2005). La conscience de soi est partie prenante de l’interaction avec autrui (Goffman, 1987 [1981]), l’identité n’étant pas une réalité en soi, mais résultant d’une rencontre entre deux altérités (Goffman, 1973 [1959]). «  Ce n’est qu’en percevant l’autre comme différent que peut naître la conscience identitaire » (Charaudeau, 2009 : 16) si bien que « ce jeu entre identité sociale et identité discursive, et l’influence qui en résulte, ne peut être jugé en dehors d’une situation de communication » (ib. : 23). L’identité d’un sujet ne peut se comprendre qu’en relation avec d’autres identités en interactions (Burger, 1994). Il existe une inscription des instances « d’agents, d’acteurs ou d’actants socialement spécifiés qui endossent des identités… dépendants des statuts sociaux et des rôles langagiers auxquels ceux-ci donnent accès » (Filliettaz, 2004 : 16). Le professionnel participe à l’émergence d’une parole dans laquelle l’identité de l’usager se construit. L’expression permet au sujet de développer sa pensée, dans sa rencontre avec l’autre mais aussi avec lui-même (Bonzi, 1996). Chabrol (2006) a montré qu’il existait une relation dynamique entre identités psychosociales et identités discursives. La présentation de soi est une « dimension intégrante du discours » (Amossy, 2010 : 7). L’identité verbale, loin d’être maîtrisée par le locuteur, est changeante, « plurielle et incessamment négociable » (ib. : 27). La présentation de soi se construit et se perçoit donc dans l’interaction et notamment au regard d’un ‘ethos’ préalable, c’est-à-dire de « l’image préalable que l’auditoire se fait de l’orateur en fonction de son statut, de sa réputation ou de ses dires antérieurs  » (ib. : 72). Cette identité se nourrit d’un imaginaire socio-discursif, de modèles culturels, de représentations collectives et de stéréotypes. L’identité verbale résulte toujours d’une négociation qui dépend du cadre de l’échange, ou du cadre de la prise d’écriture.

Nous postulons qu’il existe un lien entre la (re)construction identitaire et le secret dans le parcours de soin de l’usager-toxicomane. Quelle place le secret occupe-t-il ? Comment l’appréhender et le rendre observable au travers des constituants d’un corpus ?

Corpus et méthodologie du recueil

Notre méthodologie de recueil des données a été conçue de façon à respecter les particularités du terrain sans pour autant sacrifier le relevé rigoureux.

Trois genres constituent notre corpus : les interactions professionnel(s)/usager, les dossiers de soin, et les réunions hebdomadaires entre professionnels de la structure. Ces genres correspondent à trois situations de communication complémentaires.

  • L’enregistrement et la transcription d’entretiens usager/professionnels : les données orales ont été relevées par les professionnels, qui ont recueilli les consentements des usagers et géré les enregistrements. 345 interactions, 50 usagers et 7 professionnels sont représentés pour 88 heures d’enregistrements.
  • La numérisation des dossiers de soin d’usagers ciblés au regard de leur taux de fréquentation de la structure.
  • L’enregistrement de réunions hebdomadaires de l’équipe du centre, soit environ 10 heures.

 Addiction, secret d’usager et secret professionnel

Le secret est un phénomène social et communicatif. Il relève du non-dit, du ‘gardé pour soi’, de la dissimulation, voire de l’inavouable : « Le secret social trace une démarcation (…) en dressant des barrières entre ceux qui savent et qui ont accès à un savoir et à des informations et ceux qui ignorent le secret pour lesquels de telles informations demeurent inaccessibles. (…) La garantie de garder le secret ouvre, voire crée un espace de communication (…) » (Kaiser, 2004). Dans notre contexte, il n’est pas forcément aisé d’établir une frontière nette entre ‘informations sensibles’ et ‘secret’. Quelle relation établir entre les deux notions ? Par définition un secret ne circule pas, ne se répète pas : il est détenu par un protagoniste, acteur ou témoin d’un fait. Le secret n’est pas la propriété d’une information, il se définit dans la relation de communication entre un nombre limité d’acteurs. Il en va de même pour une information sensible : celle-ci n’est pas vouée à circuler dans un large périmètre. C’est parce qu’elles sont jugées sensibles – dans le sens de peu avouables, ayant un impact négatif, ou porteuses d’un risque au regard des normes collectives (juridiques, sociales, morales) en vigueur dans une société donnée – que certaines informations revêtent un caractère secret. Le secret lie ceux qui le partagent, crée une relation de connivence (Bryon-Portet, 2001) ; une information sensible, peut-être moins. La relation entre les acteurs tenus au secret a-t-elle toujours pour origine une information sensible ?

Admis dans l’intimité

Dans le secteur du travail social, la question du rapport à l’intimité des usagers se pose nécessairement (Dahmane, 2004). L’usager s’engage à entrer dans un processus le plus souvent long en fréquentant la structure de façon régulière.

‘L’espace personnel’ (Hall, 1978 [1966]) permet de maintenir un niveau approprié d’intimité. Le professionnel offre à l’usager la possibilité de s’exposer davantage, en parlant de lui. La distance posée mais fluctuante, adaptée entre les protagonistes, va conditionner la nature de la relation. C’est par le contrôle actif de son espace personnel que l’usager parviendra petit à petit à s’ouvrir aux professionnels, puis à la société dans son ensemble.

Révéler un secret, c’est ‘se révéler’ dans sa profondeur. L’important au cours d’une interaction de soin ou d’accompagnement n’est pas tant le ‘dire’ que ‘ce qui se fait’ en étant dit ou montré (Cosnier, Grosjean, Lacoste, 1993). Les mots échangés ne relèvent pas que des faits et du discours : des émotions, des histoires de vie sont en jeu. Que dit l’autre ? Que pense-t-il ? Que ressent-il ? Comment sa parole peut-elle être entendue ? Nous mesurons là l’écart possible entre le paraître et le non-dit (volontairement ou non), le discours (attendu) et la parole (vraie).

Proximité, intimité et confiance

Le suivi n’implique pas nécessairement que s’installe entre les partenaires une relation de confiance : la confiance en l’autre peut faire défaut, tant du côté du professionnel que de l’usager. « La confiance est un état intermédiaire entre le savoir et le non savoir » (Simmel, 1996 [1908] : 2). Le professionnel représente celui qui sait comment soigner/accompagner, l’usager celui qui ne sait pas comment réduire la complexité de la situation d’addiction. Sans adopter une position qui viserait à idéaliser la relation de soin et d’accompagnement, il convient de souligner que les acteurs coopèrent et s’engagent réciproquement dans un processus avec l’objectif de réduire cette part d’incertitude, d’instabilité et de risque liée à la consommation de substances illicites. Dans ce cadre, la problématique de la divulgation des informations secrètes, parce qu’elles relèvent du privé voire de l’intime, fait partie de la définition de la relation qui s’établit entre usager et professionnel. Certes les soignants peuvent considérer que « l’intrusion dans la vie du patient est inévitable pour assurer l’efficacité de l’acte médical ou de l’intervention psychothérapeutique  » (Maumaha Noune et Monzée, 2009 : 4). Mais cette posture est problématique car elle établit une relation directe entre le succès d’une intervention et un processus d’intrusion dans la vie privée de l’usager. L’addiction résulte le plus souvent d’expériences douloureuses dont l’usager a conscience ou non, et conduit à adopter des comportements qui relèvent d’une «  socialité décalée » (Jamoulle, Panunzi-Roger, 2001 : 2) : bien souvent, elle pousse à développer des pratiques clandestines et parallèles qui s’intègrent dans un « système de survie » (ib. : 18).

Nous faisons l’hypothèse que la dépendance (aux opiacés, à l’alcool, aux psychotropes) conduit l’usager à adopter certains types de comportements discursifs dans sa communication avec les professionnels. Ces comportements ont à voir avec l’intimité de l’usager, et avec le partage d’informations parfois peu avouables qui pourraient par exemple nuire à son ‘ethos’ ou l’exposer judiciairement, socialement ou moralement à un jugement.

Secret professionnel et partage d’informations sensibles

Le serment d’Hippocrate précise : « Admis dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me sont confiés  ». Quoi qu’il soit dit, la parole de l’usager relève du secret professionnel visant à respecter sa vie intime.

Le code Civil, le nouveau Code Pénal et le Code de la Famille et de l’Aide Sociale définissent le secret professionnel : toute personne a droit au respect de sa vie privée. Les professionnels de l’aide s’inscrivent dans cette culture du secret et de la discrétion et considèrent que le partage d’informations permet « la continuité du travail, de la prise en charge et contribue à son efficacité » (Dahmane, 2004 : 41). Dans le cas d’une structure pluridisciplinaire comme celle que nous avons fréquentée, le professionnel est nécessairement conduit à un partage des informations avec d’autres membres de l’équipe du centre (en réunion hebdomadaire) ou avec des acteurs ‘externes’ (médecin de ville, pharmacien, assistant social…). Il doit évaluer le caractère divulgable ou non d’une information, ainsi que la pertinence de son partage : il opère un travail d’interprétation, d’appréciation et de sélection des informations transmises par l’usager dans des discours souvent confus. La gestion du statut de l’information et son passage d’ ‘information livrée par l’usager’ à celui d’ ‘information à livrer à ses collègues ou interlocuteurs professionnels’ est liée à la nature de sa mission et au processus engagé. Ainsi, un secret partagé avec l’infirmière peut ne pas être en relation directe avec la finalité affichée du rendez-vous ; a contrario elle peut constituer une clé pour l’action du professionnel, à transmettre au collègue médecin ou psychologue.

La problématique ne se pose pas ici en termes de violation du secret professionnel dans la mesure où le partage d’informations entre collègues ne constitue pas une infraction. Mais elle peut se poser du point de vue de la diffusion de certaines informations par l’usager. L’enjeu se situe donc davantage dans la maîtrise et dans le contrôle, par l’usager, des informations qu’il délivre au professionnel. On peut ainsi se demander si des traces de cette maîtrise peuvent être relevées dans le discours circulant au sein de la structure.

 La posture du chercheur en terrain sensible

Pour comprendre ce terrain de recherche et conduire nos analyses, il nous a fallu adopter une posture particulière.

Les différentes étapes de la mise en place du projet

Nous avons opéré en plusieurs étapes :

• La première phase a concerné les premiers contacts établis avec les professionnels : un travail de sensibilisation et de médiation a été effectué, les professionnels de la structure, peu coutumiers de la recherche en sciences humaines, ayant besoin de comprendre les objectifs de la recherche et ses conséquences concrètes sur leur quotidien. La difficulté de convaincre les professionnels nous a permis de prendre conscience de la nécessité d’intégrer cette problématique du secret dans notre méthodologie. Notre objectif était de les rassurer, en précisant que les aspects éthiques et le secret professionnel seraient respectés. Nous avons également précisé qu’il ne s’agissait en rien de porter un quelconque jugement sur les pratiques des usagers ou des professionnels ni de divulguer des informations communiquées au cours des interactions. Au fil des rencontres, les craintes se sont apaisées : une convention a pu être établie et signée entre la structure, l’établissement universitaire et les chercheures impliquées.

• La deuxième phase a consisté en un ajustement du protocole avec les professionnels. Bien que ce soit eux qui aient procédé aux enregistrements [5] afin que nous n’interférions pas dans le déroulement des interactions, il s’agissait d’avoir une bonne connaissance du terrain. Nous avons mené des observations exploratoires de façon à bien comprendre ses spécificités. Ces périodes d’ ‘immersion’ ont été consignées dans un cahier de bord : les chercheures y ont noté leurs retours d’observations à chaud et discussions informelles. Nous sommes apparues – au travers du matériel – comme des ‘auditeurs autorisés’ (Goffman, 1987 [1981]), ayant un accès différé aux informations. Le partage du secret professionnel avec les chercheures a été basé sur la confiance. Un texte visant à obtenir le consentement éclairé des usagers a été rédigé par nos soins, dans un langage courant. Il a été lu par les professionnels et enregistré au début de chaque premier entretien conduit dans la phase de recueil [6]. Il a été décidé que les premiers entretiens d’un nouvel usager ne seraient pas enregistrés, pour ne pas le brusquer dans sa démarche. Même si nous perdons là une information précieuse, il était important pour nous de ne pas perturber la parole des usagers ni le travail des professionnels.

• La troisième étape, le recueil des données, s’est déroulée sur 18 mois. Nous nous sommes rendues régulièrement sur place pour récupérer les données stockées dans les cartes-mémoires des enregistreurs – de suite archivées et codées. Une première écoute rapide a permis de repérer les passages ‘sensibles’, qui ont fait ensuite l’objet d’une anonymisation rigoureuse et nous ont offert des pistes de réflexion. Les noms propres ont été bipés.

Cette étape a également permis de communiquer de façon informelle avec les membres de l’équipe et d’assister à certaines des réunions hebdomadaires. Nous avons eu accès à des informations qui n’ont pas fait l’objet d’enregistrement ou n’ont pas été consignées dans les dossiers.

Dans un second temps, la numérisation des dossiers des usagers préalablement sélectionnés s’est faite sur place dans la salle de réunion : les documents n’étaient pas voués à sortir de la structure. Certes la numérisation en tant que ‘copie’ implique la mise en circulation des données confidentielles. Mais les dossiers, de par leur matérialité et leur statut de documents premiers, appartiennent symboliquement à la structure. Leur perte accidentelle aurait été préjudiciable pour la structure.

• La quatrième étape concerne la suite à donner aux informations recueillies. En effet, les informations confidentielles doivent le rester dans la diffusion des travaux de recherche. Une charte a été rédigée et signée en interne, entre chercheures de l’équipe, afin que l’utilisation des données se fasse dans le respect de l’anonymat des différents acteurs ; un mot de remerciement adressé aux usagers a été affiché ; et une séance de présentation de nos travaux individuels a été organisée en juin 2015 à l’occasion d’une des réunions hebdomadaires des professionnels de la structure.

La position ‘méta’ de l’enquêteur

La sensibilité du terrain requiert un balisage et des prises de précaution dans la mise en place du projet – car le chercheur, sur le terrain ou détenteur de données de terrain, devient un témoin autorisé, un auditeur fantôme, un lecteur intrus. La position de l’enquêteur dépend de l’objectif de la recherche et des spécificités du terrain. Dans le cas présent, nous n’avons pas opté pour une méthode de type ‘observation participante’. Le caractère sensible du terrain et les objectifs de l’analyse centrés sur la (re)construction identitaire nous ont conduit à adopter une démarche empirique mais distanciée (Derèze, 2009). Nous avons été amenées à penser l’articulation entre une posture conventionnalisante (Genard, Roca i Escoda, 2010) – de façon à cadrer et sécuriser à la fois le projet et les acteurs, professionnels et usagers – et une posture déconventionnalisante pour garantir l’authenticité et la fiabilité ultérieure du corpus recueilli, et minimiser notre présence dans la structure. La position ‘méta’ qui tente d’articuler les deux points de vue, celui de l’usager et celui du professionnel, est certes difficile à tenir dans la mesure où nous avons été plus fréquemment en contact avec les professionnels, mais elle nous donne la possibilité de problématiser la place du secret dans ce contexte particulier et de tenter d’échapper à une posture dogmatique peu compatible avec les objectifs d’une recherche en sciences humaines.

Dès le début de l’enquête, nous avons pris conscience que le secret, qui peut se cacher derrière un mot, une phrase, un silence, est une composante à part entière de la relation de soin et d’accompagnement en situation d’addiction. Nous avons été en contact avec des informations habituellement tenues secrètes (dosage de produit, ressentis physiologiques, etc.), qui ne sont pas des secrets en soi mais qui relèvent du secret dans ce contexte. Nous observons un code professionnel institutionnel, fixé déontologiquement, lui-même englobé par l’éthique des professionnels.

Quid de la révélation (dans un texte ou un colloque) de ce qui a été ‘entendu’ au cours des ces interactions ? Qu’en faire, à qui en rendre compte ?

La position d’observation non participante permet de prendre une certaine distance – mais elle n’évacue par pour autant le problème du secret professionnel. Même sans avoir assisté aux interactions, la question de l’utilisation des informations recueillies peut se poser à tout moment. Comment être insensible aux informations qui sont délivrées ? Devons-nous toutes les transcrire ? Comment choisir tel ou tel passage ? Certains extraits doivent-ils être exclus sous peine de dénaturer le réel ou de délinéariser la progression de l’interaction ?

Dans le cas présent, les professionnels constituent les principaux intéressés par nos travaux. Mais il ne s’agit pas pour autant d’une volonté de dissimuler les résultats aux usagers : comment peuvent-ils être interprétés ? La relation de confiance ou de connivence avec les professionnels peut-elle être considérée par les usagers comme bafouée ? Nos résultats n’auront pas d’impact sur le secret des usagers, ni sur les causes de leur addiction ; mais la connaissance du processus est vouée à améliorer l’aide apportée par les professionnels, en espérant contribuer au développement d’une posture réflexive qui peut se traduire par exemple par un ajustement de leurs comportements discursifs et de leurs pratiques lors des interactions.

 (Ré)écouter, (re)lire le corpus à la lueur du secret

Le secret fait-il trace ? Nous allons dans cette dernière partie, reprendre les trois composants du corpus sous l’angle développé précédemment et proposer quelques extraits illustrant notre propos.

Les interactions de soin : jouer avec le secret

Dans les interactions entre professionnels et usagers, la finalité de la communication réside dans l’obtention d’une aide sous différentes formes. La dimension identitaire ne réside pas exclusivement dans les entretiens avec la psychologue, en général moins fréquents. De ce point de vue, les deux acteurs clés de la structure sont les infirmières et l’éducateur. Au cours du suivi, l’usager va être amené à communiquer, à livrer des informations liées à son parcours de vie, à sa situation de précarité, à ses modalités de consommation ou de résistance à la consommation, à son quotidien (fréquentations, conflits familiaux, problèmes alimentaires, mauvaises gestions médicamenteuses, handicap physique…). Ni le contrat de communication, par définition tacite, ni la charte de prise en charge signée par l’usager n’en font une obligation : il n’y a pas d’injonction à parler et il ne s’agit pas pour les professionnels d’en faire une condition d’admission. Un des objectifs de l’équipe est de développer davantage une relation sécurisante sur le long terme, si l’usager le permet.

Le secret se ‘positionne’ de différentes manières dans l’interaction – tantôt côté professionnels, tantôt côté usager : en n’ayant pas à se dire, en ne voulant pas se dire ou en ne pouvant pas se dire. Selon un des éducateurs, « il est rare que les gens qui viennent ici parlent tout de suite de leur addiction. Quand les gens viennent par obligation, ils ne se lâchent que très rarement, et plutôt à la fin de la mesure judiciaire, quand ils n’ont plus rien à craindre de la justice et commencent à avoir confiance (mais) c’est pas évident, il y a beaucoup de crainte (…), ils vont garder de la méfiance. »

L’usager teste, jauge, mesure à qui il peut parler en toute confiance ; le professionnel laisse le temps à l’usager de ‘prendre la parole’. Nous avons observé que l’interlocuteur choisi n’est pas toujours celui escompté par l’institution : certains parlent de leurs problèmes familiaux avec l’infirmière, tandis qu’ils abordent les aspects médicaux avec l’éducateur et les démarches administratives avec la psychologue. Le secret amène l’usager au clivage, à jouer avec les frontières. Que cette transgression soit une mise en échec ou un test, elle est toujours porteuse de sens (Estellon, 2005). Un jour, l’usager s’adresse à l’interlocuteur adéquat et parle de lui. Cela peut prendre beaucoup de temps mais sera alors une possibilité que le secret s’énonce. En regard de la souffrance, dont on dit qu’il ‘faut que ça sorte’, pour que la pensée s’exprime, il faut parfois savoir ‘sortir du cadre’. L’idée que le mensonge ne consiste pas uniquement à dire une chose fausse (Simmel, 1996 [1908]). Le but des professionnels est de montrer que l’on n’est pas obligé de tout dire ; que même s’il est possible de mentir ou d’omettre des informations, il est surtout possible de parler si on le souhaite. L’interaction professionnels/usager est génératrice de mouvements permettant de transformer le mensonge en ‘transgression positive’. Un ‘bon soignant’ peut-il être celui qui suit scrupuleusement les règles, les normes, alors que l’usager ne peut les affronter ? ou est-ce celui qui suit le chemin que prend la parole pour que le secret arrive au grand jour ? Il s’agit de taire une pratique nécessaire mais interdite par les instances décisionnelles. Tout n’a pas à être dit… ni écrit. Les professionnels d’ailleurs tiennent secrètes certaines informations de leur propre chef. L’important est que l’information soit connue et échangée lors des réunions hebdomadaires.

L’usager garde parfois volontairement pour lui des informations qu’il ne souhaite pas dévoiler. L’infirmière (en discussion informelle) dit par exemple : « M. me dit qu’il n’a pas le temps pour les RDV parce qu’il prend à 8h30, mais ce qu’il ne sait pas que je sais, c’est que je me suis renseignée : et il a un jour de disponible dans la semaine, pour faire ses démarches. » Autre exemple : « G. a reçu un coup de couteau de son ex. petite amie. Il a dit qu’il s’était empalé sur une grille pour la couvrir. Il est resté en service de réanimation plusieurs jours et on a découvert sa toxicomanie à ce moment-là parce qu’il a eu une crise de manque.  » Le professionnel, même s’il n’a pas une attitude de méfiance, reste attentif aux dires de l’usager, vérifiant parfois le vrai du faux. De son côté, l’usager projette que, s’il révèle un écart au contrat, c’est tout le processus qui est menacé : cela peut potentiellement se traduire par une exclusion et une rupture du suivi et, par là même, la fin de l’accès au traitement de substitution. Pour ne pas prendre ce risque et pour se protéger, il peut alors être amené à mentir ou minorer ses actions. Par exemple, lorsque l’éducateur demande à un usager s’il consomme encore, ce dernier répond : « Non, non… seulement de manière festive ». On peut le voir également dans les deux passages suivants :

  • extrait n° 1 :
 Je me suis tapé l’organisation toute la journée pour même pas profiter de la soirée parce que j’ai eu tellement peur euh quand j’ai vu du monde arriver euh je me dis voilà je vais boire… après, l’alcool ça va me désinhiber pis là ça va… désagraver les choses (…) on va se dire c’est pas grave (…) je sais très bien comme je fonctionne, ça maintenant j’ai compris…
  • extrait n° 2 (338 = usager, P2 = infirmière) :
338 : j’ai pas envie de reprendre des cachets c’est… (…) quand je suis vraiment pas bien euh (…) je le fais et tant pis euh je suis pas obligé d’en prendre cinquante hein

P2 : hm hm oui ben si tu as réussi à limiter c’est bien hein

338 : ah, ben ouais j’ai réussi ouais (…) mais je veux pas en prendre, mais quand je suis mal comme ça euh

P2 : hm hm hm

338 : (…) j’ai été angoissé, j’ai été très très mal hein (…) j’ai failli faire je sais pas quoi euh (…) alors je préfère prendre un petit cachet et que ça aille mieux (…) C’est des petits machins pas forts là euh (…) c’était un milligramme je crois

P2 : d’accord

338 : donc euh c’est pas… (…) je peux m’en passer

Minimisant sa prise de substance, l’usager cherche autant à persuader l’infirmière qu’à se persuader lui-même qu’il peut arrêter de consommer. L’accompagnement de l’infirmière, via la parole, consiste à relever ce qui se dit malgré tout.

Le secret ne peut pas toujours se dire jusqu’à être la source possible de l’addiction. L’événement douloureux, refoulé, ne doit pas refaire surface. Ce qui n’a jamais été symbolisé va se retrouver dans le comportement. Le ‘manque’ va signifier le déplacement effectué par l’inconscient sur ce qui n’a pu se dire et continue à vivre ‘à l’in-su’ du sujet. La levée du secret, dans un cadre thérapeutique, peut donc éventuellement révéler l’origine de l’addiction (McDougall, 2004). « (…) Les addictions sont les symptômes d’une grande souffrance, qui plonge généralement ses racines dans des traumatismes non résolus de la première enfance, qui continuent d’être actifs dans la vie présente de la personne » (Carpentier, 2010 : 2). Parler représente toujours un risque, rendant conscientes les raisons de l’addiction. Certaines choses ne se sont jamais dites… même à soi-même. L’usager va, par exemple, changer systématiquement de sujet lorsqu’on aborde un point particulier. Il se peut que le secret apparaisse tout de même, involontairement : une prise de conscience s’opère alors et un lien s’établit entre un événement du passé et le comportement actuel. Par exemple (extrait n° 3  : 564 = usager, P2 = infirmière A, P1 = éducateur, P3 = infirmière B) :

564 : il y avait toujours ce problème

P2 : d’accord… avec cette impression d’être suivi

564 : ouais

P1 : et toujours par la même personne

P2 : c’est une impression ou…

564 : je l’ai vue la personne je l’ai vue mais

P2 : et pourquoi elle vous aurait suivi… ?

564 : je me retournais je la voyais et quand je me retournais je la voyais plus (…) et ça m’a rendu malade

P1 : et tu as… c’est une impression que…

P3 : c’est quelque chose qui vous paraît réel ou vous… ?

564 : oui voilà (…) ça me paraît réel

P3 : et vous… comment vous vous sentez en règle générale actuellement là

564 : ben là ça va juste que depuis ce euh cette histoire-là je fais toujours attention maintenant

P3 : c’est-à-dire vous faites attention

564 : ben je je regarde toujours derrière moi je fais… au moindre truc qui me paraît suspect je fais attention

P1 : donc vous avez… ça ça c’est un nouveau comportement ça vous aviez pas avant

564 : j’avais pas avant ça ouais

P3 : d’accord mais est-ce que vous arrivez à définir ce qui vous fait peur ? c’est quoi ces peurs de vous… vous faire agresser par euh

564 : ben c’est le fait que euh oui le fait de se faire agresser le fait qu’il m’arrive le même accident qu’il m’est arrivé

P3 : hm hm oui c’était une agression ? vous…

564 : ouais

P3 : par cinq jeunes si je me souviens bien

564 : ouais c’est ça ouais

Les professionnels tentent d’amener l’usager à faire le lien entre ce qu’il a vécu auparavant et son comportement actuel. L’agression passée n’est pas un secret en soi puisqu’elle est partagée par l’ensemble des professionnels, mais elle reste déniée. La parole qui ne se dit pas devient ainsi un secret – essentiellement pour l’usager.

Les dossiers de soin : le secret peut-il s’écrire ?

Lorsque le professionnel renseigne le dossier, le plus souvent à l’issue d’un entretien ou d’une consultation, il s’adresse à la fois à lui-même – en vue d’un prochain contact avec l’usager -, à ses collègues – dans la perspective d’un partage d’informations –, mais aussi à l’institution : le dossier peut, par exemple dans le cadre d’une poursuite judiciaire, être amené à être consulté. Dans la structure qui constitue notre terrain, les dossiers s’organisent en sections dédiées à chaque discipline (médecin, éducateur, infirmières, psychologues). Chacun écrit donc depuis sa place et en fonction de ses missions. Le dossier retrace en quelque sorte la ‘biographie en abrégé’ (Laé, 2008) de l’usager.

L’écrit fait trace, fait preuve. Il atteste et assure la traçabilité de la prise en charge. Le dossier de soin présente des propriétés spécifiques liées à l’exercice du langage au travail (Borzeix, Fraenkel, 2005 [2001]) : abréviations, asyntacticité, style télégraphique, univocité interprétative… Il s’agit de rendre compte et de consigner l’essentiel de l’interaction qui vient d’avoir lieu. De quel essentiel s’agit-il ? Les professionnels n’écrivent pas tout : « Il y a des choses qui ne doivent pas être écrites (…), qui sont de l’ordre de l’intimité » (un éducateur). La question que l’on peut se poser est celle de la place et du statut du secret dans le dossier de soin.

Ce dossier semble s’en tenir aux informations les plus factuelles (dosages, démarches administratives…), excepté dans la section réservée à la prise en charge psychologique de l’usager. Les pages ‘psy’ peuvent constituer une première ressource intéressante dans la mesure où le sensible et l’intime font partie intégrante du contrat de communication local entre psychologue et usager, et de l’expertise professionnelle.

Dans le compte-rendu d’entretien suivant, les mentions « Ne parvient pas à couper totalemt ac les consos » et « Evoq sa mère, ses frères » suscitent le questionnement voire la curiosité.

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Figure 1 : Extrait de l’onglet ‘psy’, dossier 564.

Elles interrogent, pour l’une, les raisons possiblement évoquées concernant le maintien de la consommation de produits et, pour l’autre, les modalités avec lesquelles l’usager parle de sa famille. L’usager a-t-il livré des informations que le professionnel a omises ? De quelle nature sont-elles ? Sont-elles jugées secondaires par le professionnel, au contraire trop intimes pour être écrites ou font-elles tout simplement partie de leur histoire conversationnelle  [7] ? Les informations consignées sont-elles considérées comme simplement nécessaires et suffisantes pour une prise en charge globale ? Le fait est que les causes ou le ressenti face à l’impossibilité d’arrêter les consommations, la nature des relations entre l’usager et sa famille sont précisément de l’ordre de l’intime. Les contraintes situationnelles et la finalité de partage de l’information dans le dossier peuvent-elles expliquer ces omissions ? Nous pouvons en tout cas prendre acte de ces ‘traces d’absence’. Peut-on considérer que les informations délivrées lors du rendez-vous ne sont pas secrètes mais qu’elles le deviennent de par leur absence dans le passage de l’oral à l’écrit ? Doit-on pour autant considérer que le dossier de soin ne constitue pas une ressource pertinente pour observer le sensible, le secret, le difficile à dire et donc à écrire ?

La configuration du corpus permet justement de croiser l’écrit et l’oral, de distinguer : ce qui est resté dans le cadre du face à face à l’oral et de l’éphémère, et ce qui s’est fixé dans et par la prise d’écriture. Dans l’exemple précédent, les quarante-cinq minutes de l’entretien ont été résumées dans le dossier (fig. 1). L’écoute de l’extrait concerné permet précisément de découvrir un contexte familial difficile. L’usager est amené à reconnaître que sa consommation de drogue n’y est pas étrangère (extrait n° 4 - P5 = psy, 564 = usager) :

P5 : J’me souviens plus, x, vous avez des frères et sœurs, donc vous êtes tonton…

564 : ouais mais le frère avec qui je suis tonton on s’voit plus on s’parle plus parce qu’il est avec une femme… c’est un peu compliqué (…) C’est vrai que à l’époque là j’avais pas trop une vie euh bien… mais p’être qu’un jour on se r’parlera

(…) Voilà ouais à c’t époque là c’était compliqué, j’voyais plus euh la la drogue que l’travail après après je ne dis pas que j’y suis pour rien j’ai un peu ma part de responsabilité mais après bon ça

(…) Je m’esquivais un peu pour aller consommer la drogue ; des fois je m’endormais sur le travail enfin je m’endormais ouais enfin le travail était pas fait jusqu’au bout j’en avais marre.

L’identification de ‘blancs’ dans l’écriture donne accès à des informations non consignées mais délivrées dans l’entretien : l’usager y évoque en effet ces pratiques passées de consommation de produits sur son lieu de travail. En quoi ces informations peuvent-elles être considérées comme secrètes ? Les marqueurs d’euphémisation (« je m’esquivais un peu ») et les reformulations correctives (« je m’endormais sur le travail enfin je m’endormais ouais enfin le travail était pas fait jusqu’au bout ») témoignent d’une difficulté à dire, d’une hésitation ; sur le plan de la situation de communication, les informations sont livrées en face à face avec une psychologue habituée à ‘écouter’. Ce professionnel est à la fois tenu au secret et au contrôle de la circulation de l’information. Sur le plan de la temporalité, celui-ci n’est pas en position d’agir sur la situation : d’une certaine manière pour l’usager, l’information fait l’objet d’une prescription car elle ne le met plus en danger (risque de licenciement). Celui-ci peut donc la dévoiler sans risque, notamment parce qu’elle est construite en lien avec l’addiction et n’a pas d’impact concret sur sa prise en charge dans la structure. On voit enfin que l’information échappe à l’écrit : en ne la consignant pas, le professionnel se donne une place particulière. L’information pourra certes resurgir au cours d’une réunion. Mais, le professionnel qui écrit pour lui (sa mémoire), pour l’autre (les collègues) et pour l’institution, reste dans la représentation qu’il se fait de lui-même : un interlocuteur privilégié. Une information met en contact différentes situations et elle ‘fait’ secret dans le contexte toujours singulier de son dévoilement ou de son évocation.

Les réunions hebdomadaires : lieu de partage des informations confiées

La réunion permet aux professionnels de faire le point et de partager des informations pour diriger l’action de soin. Les professionnels de l’équipe sont entre eux et verbalisent des informations qui figurent dans les interactions mais qui peuvent provenir de professionnels extérieurs (pharmacien, assistante sociale…). Ces informations sont mises en circulation par les professionnels, à huis clos, dans la perspective de l’amélioration de la prise en charge. Elles restent confidentielles, les réunions ne donnant pas lieu à des comptes-rendus, ni à des enregistrements  [8]. Les informations recueillies au cours des entretiens peuvent être confrontées, complétées et mises à l’épreuve des différents points de vue.

L’écoute de ces réunions hebdomadaires nous conduit à émettre plusieurs remarques – notamment le fait que l’usager délivre des informations intimes sur ses pratiques en lien direct avec l’action des professionnels (extrait n° 5 : P8 = éducateur, P4 = médecin, P2 = infirmière, P5 = psy) :

P8 : on n’a pas beaucoup de leviers pour lui proposer des choses hein

P4 : non non… il est pas il est pas accessible au dialogue (…)

P2 : non non y a c’qu’il te dit… lui il te livre des choses mais tu peux rien en faire tu peux pas… (…)

P8 : il est pas disponible si y a pas quelqu’un (…). Il boitait l’autre jour (…)

P2 : c’était hier ça (…) il a attendu d’avoir bien plus mal et que l’hématome… voilà c’est aujourd’hui qu’il a voulu que je regarde un petit peu, que j’le soulage un tout petit peu quoi tellement il avait mal (…)

P5 : il va boire plus pour pouvoir calmer la douleur quoi…

Nous voyons à quel point le fait de se ‘confier’ fait partie des attentes du professionnel et du processus d’accompagnement (« il te livre des choses mais tu peux rien en faire »). De plus, la cause de l’hématome de l’usager ne semble pas connue de P2 – et à aucun moment de la réunion cette cause n’est évoquée par les professionnels. La réunion constitue également un espace de parole où la difficulté à obtenir des informations de la part des usagers est verbalisée par les professionnels (extrait n° 6 - P4 = médecin, P9 = psy, P8 = éducateur, P2 = infirmière) :

P4 : il vit chez un copain rue xxx, il est avec son chien il traîne tous les jours

P9 : enfin le copain je me demande si c’est pas quelqu’un de sa famille d’ailleurs le copain en question mais il veut pas le dire parce que… il veut pas

P4 : Il disait qu’il avait plus de liens avec la famille mais il a toujours été très très secret et puis la famille c’est je t’aime moi non plus et ils sont un peu tous comme ça (…)

P8 : sa peine elle est aménageable ?

P9 : je sais pas, parce qu’il dit pas trop (…) j’sais plus pourquoi c’est sa peine, tu sais, il t‘en donne un petit peu à chaque fois mais bon voilà quoi faut faut pas trop en demander à la fois

P2 : il a toujours été hyper secret, hyperméfiant donc euh…

L’échange autour de l’hôte qui héberge l’usager montre que les informations recueillies ne sont pas concordantes : une information factuelle (le lieu de résidence) devient une information sensible dans le sens où elle fait l’objet d’une confrontation liées à de possibles mensonges de la part de l’usager. La réunion, en tant que lieu de partage des points de vue, permet de considérer que le secret peut se cacher derrière les contradictions ou les informations ne faisant pas consensus pour les professionnels. Cette question du mensonge ou de l’omission revient à plusieurs reprises dans l’enregistrement suivant (extrait n° 7 : P2 = infirmière A, P8 = éducateur, P5 = psy, P4 = médecin, P3 = infirmière B) :

P2 : moi c’est surtout au gamin que je pense parce que elle bon un jour ou l’autre elle va être en manque enfin elle s’est quand même enfilé la semaine dernière euh elle a dépassé de plus de deux-cents milligrammes quand même la… ce qu’on lui avait donné

P8 : on sait pas on sait pas

P2 : enfin elle ou

P8 : j’ai des doutes on sait pas

P2 : oui voilà on sait pas oui c’est peut être pas elle parce que comme elle est physiquement…

P8 : j’ai des doutes parce que physiquement quand elle vient elle est impeccable hein

P2 : oui c’est surprenant aussi mais malgré tout on lui a fait avaler de la méthadone parce que hein c’est…

P5 : on sait pas

P4 : qu’est ce qu’elle en fait

P2 : elle en a peut-être pas vraiment besoin j’en sais rien

P8 : elle est toujours dans des situations avec des conjoints je sais pas c’est pas clair

P5 : le mec je sais pas s’il consomme moi elle me disait que non mais

P8 : ah ben tu penses bien qu’elle va pas t’dire qui consomme

P4 : non elle va pas nous le dire

P5 : j’y crois toujours

P8 : on sait pas elle nous raconte tellement d’histoires

P3 : qu’on ne sait plus où est la vérité, le vrai du faux

P2 : oui enfin c’est inquiétant pour les enfants d’une façon ou une autre pour celui à venir et les autres déjà là (…)

L’extrait montre comment les professionnels co-construisent une connaissance partagée des informations autour de l’infirmière P2, qui concerne la possible mise en insécurité des enfants présents au domicile de la mère.

 Conclusion

Dans ce projet de recherche, la problématique du secret s’étend sur deux niveaux intriqués : en effet, le secret constitue à la fois un objet inscrit dans une problématique plus vaste (la re-construction identitaire), et un paramètre conditionnant l’approche du terrain et la méthodologie à construire (fig. 2, en annexe).

Le secret hante la relation de soin et d’accompagnement dans l’addiction aux produits psycho-actifs : livré, entr’aperçu ou deviné, il est toujours lié à des épisodes de vie et à des situations qui surgissent dans le discours de l’usager – que leur relation avec l’addiction soit établie ou non. L’addiction conduit l’usager dans des modes de vie « clandestins » (Jamoulle, Panunzi-Roger, 2001 : 23) qui conditionnent sa prise de parole. Elle engendre un flottement, entre le vrai et le faux, entre le dit et le non-dit, entre le secret bien gardé et l’information trop vite livrée. Aborder l’addiction sous cet angle, c’est adopter une démarche indicielle qui vise à identifier des tactiques mises en œuvre par les acteurs – usagers et professionnels – pour canaliser, entretenir, circonscrire le secret et le ‘prendre au sérieux’. Les hésitations, la sous-détermination, la reformulation dans le discours de l’usager constituent des observables qui sont autant d’indices pour le chercheur. Les structures institutionnelles comme les CSAPA offrent de précieux espaces de parole : c’est toute la difficulté des usagers à partager l’information, et celle des professionnels à la recueillir, qui s’y donnent à lire ou à entendre. L’analyse des dossiers de soin permet de mesurer l’écart entre l’échange et ce qu’il en reste, et de s’interroger sur le déploiement de l’information, sur les modalités de sa circulation et de sa non-circulation.

Le secret conditionne aussi la manière dont le chercheur va appréhender le terrain, depuis la première prise de contact avec les différents acteurs jusqu’à la diffusion et la publicisation des informations en passant par la phase de recueil et d’analyse des données. Le chercheur se doit alors d’adopter non seulement une posture soucieuse du respect de la vie privée, du secret professionnel mais il doit aussi rester à distance et veiller à ne pas dénaturer la réalité dont il rend compte. En cela, sa mission est précisément de donner à voir et à comprendre les maux d’une société sans avoir à craindre d’ouvrir la boîte de Pandore.

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 Annexe

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Figure 2. La place du secret dans l’étude de la relation d’accompagnement en CSPA

Notes

[1] Respectivement K. Ploog, S. Equoy-Hutin, S. Mariani-Rousset, L. Pedersen et L. Grosjean, et S. Hezlaoui-Hamelin. Ce projet a reçu un Bonus Qualité Recherche de l’Université de Franche-Comté.

[2] Le terme d’usager – que nous faisons nôtre – est celui employé par les professionnels de notre terrain d’enquête. Il renvoie à la relation de l’individu au produit consommé d’une part et à la place qu’il occupe au sein de la structure. Il témoigne également de la représentation que les professionnels se font de leur public. Nous y voyons ici une marque de respect de la personne. Tout au long de cette contribution, le terme englobant d’usager sera utilisé pour désigner les consommateurs de substances toxiques accueillis dans la structure.

[3] Afin de clarifier cette distinction, nous considérons ici que le ‘soin’ est prodigué par les professionnels de santé (médecin, infirmière, psychologue) et que l’ ‘accompagnement’ renvoie davantage à l’action socio-éducative (éducateur) qui pose l’usager en acteur. Le maintien de cette distinction est certes critiquable d’un point de vue théorique, au regard notamment des politiques publiques qui ont été menées et qui ont privilégié différentes terminologies ; mais elle nous semble toutefois cohérente du fait qu’elle rejoint une de nos hypothèses de recherche concernant la complémentarité de l’action des différents professionnels.

[4] Voir les travaux de Devresse (2000, 2006), qui s’est intéressée au traitement judiciaire des usagers de drogues – et plus particulièrement à la place des outils de contrôle (test toxicologique) utilisés comme support de l’aveu et de l’évaluation du suivi. Ces tests objectivisent une relation subjective de confiance et accentuent le rapport de domination de l’institution.

[5] Les enregistreurs étaient placés sur les bureaux respectifs, visibles par les usagers.

[6] « Le ‘consentement éclairé’, reposant sur l’information et le volontariat des personnes impliquées, est (…) devenu la pierre angulaire de l’évaluation des travaux de sciences sociales » (Fassin, 2008 :15). De notre point de vue, le recours au consentement éclairé « ne se résume pas à l’obtention d’un accord » qui viserait à protéger les chercheurs (ib.  : 21). Il doit être pensé dans l’intérêt des enquêtés et adapté à la singularité du contexte. Nous avons donc fait le choix de faire recueillir des consentements oraux par les professionnels.

[7] C’est notamment le cas du « personnage » déjà mentionné dans le compte-rendu de l’entretien précédent.

[8] Excepté pendant la période de réalisation de la présente recherche.

Articles connexes :



-Enquêter sur les non-publics de la culture : quelle posture de recherche pour quel dispositif méthodologique ?, par Ghebaur Cosmina

Pour citer l'article


Equoy-Hutin Séverine, Mariani-Rousset Sophie, « Sur les traces du secret : enquête sur la relation de soin et d’accompagnement de l’addiction », dans revue ¿ Interrogations ?, N°22. L’enquêteur face au secret, juin 2016 [en ligne], http://www.revue-interrogations.org/Sur-les-traces-du-secret-enquete (Consulté le 19 mars 2024).



ISSN électronique : 1778-3747

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