Ce cahier se compose de deux parties. La première (« retour d’expérience : théorie et pratique. La canicule de l’été 2003. Auscultation des rapports d’enquête », pp.17-200), écrite par Lagadec, est une analyse pas à pas des différents rapports publiés entre août 2003 et mars 2004 au sujet de la canicule. La seconde (« La canicule 2003. Enquête sur les rapports d’enquête », pp.201-272), écrite par Laroche, est l’étude de la production d’explications plausibles à l’évènement à travers ces mêmes rapports.
Les systèmes de veilles et d’alertes (Institut de Veille Sanitaire, Direction Générale de la Santé…) n’ont pas su faire face à la canicule, crise qu’ils ont tardé à identifier. Les symptômes étaient peu lisibles et sujets à caution, les canaux informatifs étaient inhabituels,… bref le phénomène était hors-cadre. Pourtant des précédents d’une moindre ampleur existaient [1], leurs prises en compte auraient permis une plus grande réactivité et efficacité face à la situation. Cependant, les systèmes de veilles et d’alertes ne sont prévus que pour traiter des crises « normales », c’est-à-dire des évènements qui ont déjà été affrontés et dont on a retiré une expérience. Pour Lagadec, s’il ne fait aucun doute que, grâce au retour d’expérience, le système sanitaire français peut maintenant affronter de nouvelles canicules, en revanche, ce système n’a retiré aucun enseignement en terme de gestion de crise non- conventionnelle en général.
Si le diagnostic est bien établi (déni face à une situation incompréhensible, hiérarchisation rigide, défense des frontières professionnelles…), les solutions proposées ne sont que peu développées ici et laissent perplexes quant à leur application, se résumant souvent à une simple formule : il faut s’entraîner à faire face à l’imprévisible.
Même si l’auteur s’en excuse, tout en la justifiant par des visées pédagogiques, cet exercice pratique d’analyse des rapports d’expertise et de gestion de la crise est quelque peu fastidieux à la lecture. Malgré tout, cela n’enlève rien à l’intérêt de cette dissection d’une crise, et c’est avec impatience que nous attendons maintenant l’ouvrage théorique qui fera l’analyse et la synthèse des nombreux matériaux empiriques récoltés par l’auteur [2]2.
Laroche, quant à lui, a une approche épistémologique des rapports d’enquêtes. Il montre qu’il existe une trame identique à tous les rapports analysant la crise dans sa globalité : si les différents acteurs en charge de l’anticipation et de l’alerte sont responsables des dommages, c’est à cause « d’un état des « choses » dans lequel les comportements des acteurs sont avant tout le résultat de déterminations structurelles » (p.207). Les rapports sont doublés du récit d’une canicule qui submerge un système sanitaire déjà fort mal en point. La crise ne fait alors que souligner les carences pré-existantes et « se dissout ainsi dans une autre histoire […] : celle de la reforme du système sanitaire français et de l’ « intégration » du vieillissement dans la société et les institutions » (p.222).
Si le système sanitaire français est éminemment critiqué à travers les pages des différents rapports, en revanche sa parole n’est, pour ainsi dire, jamais mise en perspective avec d’autres voix, les enquêteurs y restant sourds. Les instances de l’Etat étant ici juges et accusées, les rapports sont écrits sur le mode défensif de l’institution devant se critiquer elle- même. « Le questionnement repose alors sur les seules capacités et volontés des enquêteurs, et les résultats dépendent des interprétations qu’ils sont capables et désireux de produire » (pp.266-267).
Les deux auteurs sont en accord sur l’analyse principale de ces rapports : les services sanitaires n’ont pas su développer une culture de crise permettant de faire face aux situations imprévues.
Il faut se garder de lire cet ouvrage comme un livre dont les parties auraient été pensées de manière à suivre le fil d’une démonstration, ce n’est pas l’ambition des cahiers du GIS. Cela étant, la complémentarité des points de vue des deux auteurs, nous font penser qu’un texte unique aurait été d’une grande pertinence. Mais il s’agit là d’un autre exercice.
[1] E. Klinenberg, « Juillet 1995, une vague de chaleur tue plus de 500 personnes. Autopsie d’un été meurtrier à Chicago », Le monde diplomatique, 08/1997. http ://www.monde-diplomatique.fr/1997/08/KLINENBERG/8956
[2] Entre autres : P. Lagadec « Retour d’expérience : théorie et pratique. Le rapport de la commission d’enquête britannique sur l’Encéphalopathie Spongiforme Bovine (ESB) au Royaume-Uni entre 1986 et 1996 », Cahiers du GIS Risques Collectifs et Situations de Crise, Juillet 2001, n°1. Les cahiers du GIS sont disponibles gratuitement : https://www.msh-alpes.fr/fr/catalogue
Schepens Florent, « Patrick Lagadec et Herve Laroche, « Retour sur les rapports d’enquête et d’expertise suite à la canicule de l’été 2003 » », dans revue ¿ Interrogations ?, N°1 - « L’actualité » : une problématique pour les sciences humaines et sociales ?, décembre 2005 [en ligne], http://www.revue-interrogations.org/Patrick-Lagadec-et-Herve-Laroche (Consulté le 5 décembre 2024).