De quoi et comment la recherche est-elle constituée ? Est-elle une route bien tracée, régulièrement ponctuée de panneaux indicateurs, ou bien s’apparente-t-elle à un tâtonnement, un débroussaillement, à des allers et retours sur un chemin pas toujours clairement tracé, brumeux, parfois divisé en embranchements émergeant comme autant de questions nouvelles et inattendues ? Peut-on prétendre ne risquer aucun dépaysement, aucune perte de repères ? Cela est-il souhaitable ?
« Pratiquer l’interdisciplinarité n’est pas chose aisée », expliquent Eve Anne Bühler, Fabienne Cavaillé et Mélanie Gambino (2006 : 2) : l’interdisciplinarité, d’autant plus pour les jeunes chercheurs encore tâtonnants, est un inconfort, un engagement sur un chemin dont on ne sait pas toujours où il nous mènera ni d’où il part, « une démarche dont on connaît encore mal les tenants et les aboutissants » (ibid). Comment et pourquoi est-on amené à nous engager dans une recherche interdisciplinaire : complexification du monde, pluralité des savoirs (Charaudeau, 2010) ? Complexité des objets d’étude (Deffontaines, Hubert, 2004) ? Moyen par lequel élargir les perspectives et changer d’angle de vue (Bhüler, Cavaillé, Gambino, 2006) ?
Nous proposons dans cet article d’analyser, à partir de l’étude dans laquelle nous sommes engagée pour la réalisation d’un doctorat [1], le dialogue des disciplines en train de s’y écrire : comment, d’études en psychologie clinique, est-on amené à réaliser un doctorat dans un laboratoire d’anthropologie sociale et culturelle afin d’étudier un sujet, l’autisme, dont la psychopathologie s’est emparée jusqu’à présent, et ceci avec des méthodes relevant à la fois, et semble-t-il inévitablement, de la psychologie, de la sociologie et de l’anthropologie ? Discordance ou entente harmonieuse ?
Nos interrogations se déploieront tout d’abord à travers l’explication de la genèse de notre recherche ainsi que de nos réflexions méthodologiques, puis nous proposerons quelques éléments de réflexion autour du possible dialogue des disciplines.
Un fait est difficile à contester : l’autisme, en tant que syndrome nécessitant, dans de nombreux cas, des soins et des prises en charges, appartient aux domaines de la psychopathologie et des neurosciences, et la très grande majorité des études menées jusqu’à présent sur l’autisme l’ont été dans le cadre de ces disciplines.
Depuis l’article du psychiatre américain Léo Kanner, qui, en 1943, décrit le syndrome autistique, la compréhension de ce syndrome s’est grandement affinée et nuancée. Selon Liane Holliday Willey (2010 : 9) : « l’autisme couvre bien des réalités. Entre ses frontières se trouve une gamme étendue d’aptitudes et d’inaptitudes, une gamme étendue de différences. C’est un diagnostic souple qui n’a ni début précis ni fin certaine. » Elle-même a reçu un diagnostic de syndrome d’Asperger, une forme d’autisme qui, contrairement à l’autisme de Kanner, n’est pas associée à un retard ou à une absence de langage, mais plutôt à une précocité dans les aptitudes verbales, et dont les difficultés de socialisation et de communication sont moins importantes. On parle aujourd’hui de « puzzle de l’autisme » (Gepner, 2014 : 17) pour rendre compte de l’hétérogénéité du spectre de l’autisme ; il s’agit, selon Bruno Gepner, psychiatre et pédopsychiatre spécialiste de l’autisme, d’un « curieux mélange de déficiences, d’hypercompétences et de bizarreries » (2014 : 14).
Dans tous les cas, l’autisme est considéré comme un handicap [2] (Mottron, 2004), et ce sont les disciplines associées aux soins qui l’étudient majoritairement [3] : c’est d’ailleurs au cours de nos études en psychologie clinique que nous avons été introduite au vaste champ de l’autisme, et la première direction que nous avons prise au tout début de notre doctorat, bien que nous détachant des méthodes psychologiques en recourant à l’observation éthologique de terrain, restait associée à une visée thérapeutique : la médiation animale.
Nous partons donc d’un objet d’étude relevant de la psychologie et de la neurologie, considéré d’un point de vue déficitaire, étudié par une diplômée en psychologie clinique. Pourtant, nous allons le voir, un autre regard peut être porté sur l’autisme, ou plutôt sur les “personnes autistes” qui toutes à leur manière réinventent une manière d’être autiste qui leur est propre, tirant l’autisme de son état de syndrome circonscrit pour déployer une variété de manières d’être autiste et de composer avec le quotidien.
L’autisme est aujourd’hui classé dans le DSM-V (5e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, publié par l’Association américaine de psychiatrie en 2013) parmi les troubles neurodéveloppementaux, où deux critères centraux ont été retenus : déficit de la communication et des interactions sociales, caractère restreint et répétitif des comportements, intérêts ou activités. L’autisme est multiple et ses formes se situent sur un même continuum, allant du non-autisme à l’autisme de Kanner avec absence de langage et retard intellectuel (selon les tests utilisés pour la population moyenne des non-autistes), en passant par l’autisme associé à une condition génétique (syndrome de Rett, trouble désintégratif de l’enfance, etc.), l’autisme dit de ’haut niveau’ (d’intelligence normale), et le syndrome d’Asperger, se différenciant du précédent par l’absence de retard de langage (et même une précocité dans ce domaine).
Laurent Mottron, psychiatre et chercheur spécialisé dans l’autisme, explique que « la collaboration professionnelle avec quelques unes d’entre elles [personnes autistes], nous conduit à passer d’une conception de l’autisme comme handicap à l’autisme comme ’’différence’’ » (2004 : 7). Il rappelle que « les personnes autistes de haut niveau et Asperger sont en mesure de vivre de façon autonome » (ibid.). Par ailleurs, comme le fait remarquer Hugo Horiot (2018), comédien et écrivain autiste, les autistes non verbaux, dits ’’de bas niveau’’, présentent des compétences pouvant être exceptionnelles dans certains domaines, avec une mémoire et une perception des détails extrêmement étendues qui pourraient être développées et mises en valeur pour leur permettre de trouver un emploi [4].
Brigitte Chamak, sociologue et neurobiologiste, a étudié les transformations des représentations sociales de l’autisme (2009a ; 2009b ; 2011) et s’est interrogée sur l’expérience subjective de l’autisme à travers des témoignages (2005). Des revendications sont l’œuvre de personnes autistes qui, se fédérant, créent des associations [5] pour parler au nom des personnes autistes qui ne peuvent pas s’exprimer et pour proposer d’autres représentations de l’autisme : « une identité collective se construit et les mouvements activistes redéfinissent l’autisme comme un autre mode de fonctionnement cognitif » (Chamak, 2011 : 2). Émergent alors des mouvements sociaux défendant le droit des personnes autistes qui demandent à ne plus se voir attribuer un statut de patient et que l’autisme ne soit plus classé parmi les handicaps : il devient inévitable de prendre en compte les aspects positifs de l’autisme et de mettre en valeur le fonctionnement différent des personnes autistes et les compétences qui en découlent (Chamak, 2009a ; 2009b).
C’est précisément à ces différences en termes de fonctionnement cognitif et sensoriel que nous nous intéressons dans notre recherche : systèmes conceptuels et perceptuels atypiques caractérisés par une attention inhabituelle aux détails (Frith, 1996 ; Baron-Cohen et al., 2009), hyper- et hypo-sensibilités sensorielles variables et spécifiques à chaque individu, surfonctionnement perceptif général supposé être à l’origine de l’autisme (Mottron et al., 2003). C’est ce fonctionnement singulier que nous cherchons à explorer afin d’étudier les représentations que les personnes autistes se font de la nature et des animaux [6] : une interprétation de l’environnement particulière peut-elle être engendrée par ce mode de penser et ce fonctionnement sensoriel atypiques ? Peut-on envisager un lien entre cette manière d’entrer en contact avec le monde, un fonctionnement émotionnel intimement lié à une sensorialité exacerbée, et le rapport à la nature ?
C’est ainsi que, partant d’un cadre d’analyse axé sur la psychopathologie et les moyens thérapeutiques, nous sommes passée à un point de vue moins dirigé par les présupposés psychopathologiques, et plus vaste, dans la mesure où les personnes autistes ne sont “pas que” des personnes autistes, mais des individus particuliers, membres d’une société, d’une famille, acteurs et sujets, et constituent une communauté émergente apte à se fédérer et à faire entendre leurs voix, à revendiquer le droit à faire valoir leurs différences sans avoir à sacrifier leurs singularités sur l’autel de la normalité. Cette évolution a accompagné celle de notre objet de recherche : de nos premiers questionnements concernant la médiation animale, domaine étudié par le champ de la psychologie, nous sommes passée au domaine de la relation à la nature et aux animaux, c’est-à-dire que nous sommes sortie d’un questionnement à visée thérapeutique pour entrer dans une problématique questionnant les représentations subjectives et les pratiques concrètes d’une population en particulier, ce qui nous oriente vers une réflexion (et, comme nous allons l’aborder, vers une méthodologie) relevant de la sociologie et de l’anthropologie.
Les questions qui se posent alors sont les suivantes : dans quel champ disciplinaire notre approche de l’autisme s’inscrit-elle ? De quel cadre conceptuel les questions que nous posons relèvent-elles ? Pouvons-nous faire autrement que de nous engager dans l’interdisciplinarité ? Comme le demande le sociologue Jacques Hamel, qui a travaillé sur la question de l’interdisciplinarité (1995 : 62) : « l’interdisciplinarité est-elle nécessaire à cause d’un objet ? Prend-elle forme à l’invitation d’un objet ? ».
Nous rejoignons l’idée de Eve Anne Bühler, Fabienne Cavaillé et Mélanie Gambino (2006), selon laquelle l’interdisciplinarité permet « d’ouvrir les perspectives de la recherche, d’étoffer les moyens d’y répondre et d’aiguiser le sens critique » :
– « ouvrir les perspectives » dans le sens où nous cessons de placer d’office les personnes autistes dans un cadre relevant de la psychopathologie pour nous laisser mener par elles là où nombre d’entre elles revendiquent de se situer, c’est à dire hors champ du handicap par une requalification permettant de passer de la déficience à soigner à la différence à valoriser ;
– « aiguiser le sens critique » dans la mesure où agrandir notre angle de vue nous permet de réfléchir autrement et selon des voies alternatives : l’autisme n’étant plus abordé uniquement par le prisme de la psychopathologie, est-il encore pertinent de rechercher des moyens thérapeutiques sans nous adresser, puisque cela est souvent possible, directement aux principaux intéressés ? Ou bien ne gagnerait-on pas à travailler avec les personnes autistes en tant qu’interlocutrices compétentes sur la question de leur propre personne, et chercher à connaître leur fonctionnement intérieur pour comprendre leur manière singulière de s’insérer dans le monde et de percevoir la société ?
– enfin, « étoffer les moyens d’y [la complexité des objets de recherche] répondre » semble inévitable au vu de ce que nous venons d’évoquer ; nous allons à présent le développer.
Notre objectif, dans notre recherche doctorale, est d’explorer de manière approfondie la relation à la nature et aux animaux de quelques personnes autistes, d’analyser leurs représentations et leurs pratiques. Nous mobilisons une approche qualitative en nous fondant sur les témoignages de ces personnes et sur leurs récits, ainsi qu’en nous immergeant dans leur milieu de vie en recourant à l’observation participante. L’observation participante, dont Bronislaw Malinowski serait le premier théoricien (Lapassade, 2016) et qu’il appelait « observation scientifique des sociétés », est définie, selon Bogdan et Taylor cités par Lapassade (2016 : 2) [7], par « une période d’interactions sociales intenses entre le chercheur et les sujets, dans le milieu de ces derniers ».
Il s’agit alors de mener des enquêtes empiriques (rencontres de différentes personnes dans différents contextes), non codifiées (les situations rencontrées sont appréhendées avec un minimum de préparation et une ouverture à l’imprévu) et contextualisées (l’analyse des rencontres renverra nécessairement à la culture et l’actualité de notre société).
Selon Georges Lapassade, l’observation participante est en anthropologie « la voie royale en matière de méthodologie » (2016 : 4). En recourant à l’observation directe par immersion dans l’environnement des enquêtés, nous nous plaçons donc résolument dans un cadre méthodologique relevant de l’anthropologie, auquel nous adjoignons la technique de l’entretien compréhensif (Kaufmann, 2011) basée sur une co-construction du sens, où l’enquêté est considéré comme source et dépositaire d’un savoir [8], qu’il est amené à analyser avec le chercheur lors d’entretiens semi-directifs. Enquêtés dépositaires du savoir, intérêt centré sur leurs analyses, questionnements axés sur le « comment » plutôt que le « pourquoi », recueil de témoignages sans a priori ni hypothèses arrêtées, avec une primauté accordée au récit en première personne et à l’intersubjectivité. Comme l’explique le sociologue Daniel Bertaux (2010), l’enquête ne consiste pas ici à vérifier des hypothèses élaborées a priori, mais à comprendre le fonctionnement, les mécanismes de l’objet étudié.
C’est en ceci que nos acquis lors de nos études en psychologie clinique se sont avérés fortement mobilisés : la pratique de l’entretien semi-directif est au cœur du savoir-faire des psychothérapeutes, leur tact et leur souplesse permettant de laisser émerger l’imprévu et l’inattendu lors de séances où le matériel apporté par le patient, dépositaire de la connaissance qu’il a de lui-même, fait l’objet d’une analyse co-construite avec le clinicien. Or, les entretiens que nous avons pu mener l’ont été selon cette ’ligne de mire’, à ceci près que nous n’avions pas affaire à des « patients » mais à des « participants », experts à propos d’eux-mêmes, dispensant ces rencontres de tout objectif thérapeutique [9].
Le sociologue Salvador Juan évoque le rapprochement entre l’observation par immersion et l’entretien, parlant de « technique hybride d’investigation […] qui constituerait le noyau dur méthodologique de la socio-anthropologie » (2005 : 13). Comme l’explique Jacques Hamel (1997) en relatant la réalisation d’une étude sociologique dans le monde du travail, la sociologie et l’anthropologie ont connu un emmêlement de leurs méthodes et de leurs terrains, débouchant sur une « méthodologie interdisciplinaire » (1995 : 68) : la socio-anthropologie émerge alors, endossant un statut interdisciplinaire en jetant un pont entre la sociologie et l’anthropologie.
Mais alors, notre approche mobilisant aussi les apports de la psychologie clinique et de la psychopathologie relève-t-elle de l’interdisciplinarité ou de la transdisciplinarité ?
Notre enquête relève de l’anthropologie en ceci qu’elle s’intéresse à l’altérité, à une étude fine de cas particuliers, à un sous-groupe d’un sous-groupe (les personnes autistes en tant que sous-groupe de notre société, les personnes autistes s’exprimant par le langage en tant que sous-groupe du sous-groupe), contrairement à la sociologie qui questionne les faits sociaux à une échelle globale (Hamel, 1997). De plus, l’anthropologie est pertinente dans la mesure où nous nous intéressons à la perception particulière du monde (la nature, dans le cas présent) élaborée par une communauté de personnes au fonctionnement différent des non-autistes.
Pourtant, comme nous l’avons vu, les choses se compliquent doublement. D’une part, notre objet d’étude, l’autisme, relève très majoritairement du champ de la psychopathologie, mais nous y avons adjoint un questionnement anthropologique en nous intéressant à la manière qu’ont les personnes autistes d’entrer en relation avec le monde. D’autre part, notre méthodologie emprunte diverses voies : il s’agit d’une méthodologie interdisciplinaire relevant plutôt de la socio-anthropologie, bien qu’étant teintée de psychologie dans son aspect de mise en pratique (c’est-à-dire lors des entretiens), faisant une sorte de semi-retour à notre discipline première, la psychologie clinique, dans le sens d’un apport de l’expérience concrète que nous avons acquise grâce à notre parcours, et de laquelle il semblerait que nous ne puissions pas nous départir entièrement. « Interdisciplinarité composite » (Thompson Klein, 2011) ? Oui, dans la mesure où nous recourons à des compétences complémentaires avec un engagement dans une discipline circonscrite (ici, la psychologie clinique), tout en y adjoignant (par infusion, pourrait-on dire) un regard anthropologique (et même socio-anthropologique) permettant une mise en perspective réflexive du chercheur, c’est à dire procurant le recul nécessaire pour laisser place au point de vue des témoins rencontrés, afin de donner cohérence et d’organiser, dans un deuxième temps, l’ensemble des points de vue recueillis.
Et c’est aussi en cela que notre enquête semble correspondre à une des définitions de l’interdisciplinarité que propose Jacques Hamel, à savoir « l’utilisation combinée de quelques disciplines, combinaisons entraînant des transformations réciproques dans chacune d’elles » (1995 : 61). Pourtant, cela se complique encore : la socio-anthropologie ne relève-t-elle pas, à l’origine, de la transdisciplinarité ? Si l’on s’en tient à la définition qu’en fait Jacques Hamel (ibid.), c’est-à-dire une « interaction entre deux ou plusieurs disciplines aboutissant à la création d’un corps d’éléments composant une discipline originale », la socio-anthropologie pourrait bien relever de la transdisciplinarité, puisque, comme nous l’avons vu, elle émerge en tant que nouvelle discipline de par un emmêlement progressif de ses terrains et de ses méthodes.
Mais comment qualifier, de façon globale, la combinaison, ou plutôt l’interpénétration disciplinaire de notre étude ? « L’interdisciplinarité étroite se produit entre les disciplines dont les méthodes, les paradigmes et les épistémologies sont compatibles », écrit Julie Thompson Klein (2011 : 21). Notre étude s’inscrirait donc dans une interdisciplinarité « de proximité » (Jollivet, Legay, 2005), c’est-à-dire qu’elle se baserait sur un voisinage harmonieux entre disciplines compatibles, en reprenant et en faisant s’interpénétrer théories, terrains et méthodes appartenant aux sciences humaines et sociales afin, comme l’écrit Jacques Hamel (1995 : 59), de « mieux discipliner » et d’affiner notre démarche.
Nous venons d’essayer de retracer la genèse de notre approche en nous posant les questions du « où sommes-nous, d’où venons-nous et comment avançons-nous ». Cette courte “Odyssée” a permis de mettre en évidence le jeu d’emboîtements et d’interpénétration de disciplines voisines, d’analyser les soubassements d’une étude gigogne, guidée tantôt par une nécessité de mise en perspective critique dictée par notre objet d’étude, tantôt par nos propres compétences techniques acquises au cours de nos études de psychologie clinique (notamment la pratique de l’écoute et de l’entretien semi-directif), dont il est légitime de se demander si celles-ci ne nous mènent pas à notre insu sur certaines voies plutôt que d’autres.
Comme l’explique Jacques Hamel (1995), un sociologue est spécialisé en sociologie, et les notions qu’il puisera dans l’anthropologie ou l’économie resteront des bribes de connaissance profane. Ainsi, quelle est notre légitimité ? Peut-on prétendre traverser les frontières, explorer au-delà de notre domaine de connaissance et de compétence ? Sur quelles capacités nous fondons-nous ? Mais aussi, quelle est la part d’irréductibilité dans notre façon de penser, de réfléchir, qui pourrait nous mener à nous sortir de notre “condition disciplinaire” initiale, et à accepter de nous “compromettre” dans un incessant mouvement itératif de rééquilibrage et de bricolage ?
Eric Chauvier (2011) nous invite à prendre conscience de la part subjective inhérente à toute recherche dont il devient nécessaire de témoigner : pour cela, prendre le temps d’analyser le comment et le pourquoi d’une recherche en cours représente un travail fécond, afin de mettre au jour, tout en répondant à un devoir d’honnêteté, les différentes motions guidant la recherche du début à la fin, de démêler et de donner à voir les différentes voies empruntées, et pourquoi celles-ci plutôt que d’autres ; bref, de réaliser une « anthropologie de la recherche en train de se faire » (ibid.), dans une approche réflexive.
Baron-Cohen Simon, Ashwin Emma, Ashwin Chris, Tavassoli Teresa, Chakrabarti Bhismadev (2009), « Talent in autism : hyper-systemizing, hyper-attention to detail and sensory hypersensitivity. », Philosophical Transaction of the Royal Society B, 364, pp. 1377-1383.
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[1] « Phénoménologie de l’autisme dans ses relations à la nature et aux animaux », Université Libre de Liège, sous la direction de Véronique Servais.
[2] Selon la définition actuelle de l’Organisation Mondiale de la Santé, le handicap est « un terme générique pour les déficiences, les limitations d’activités ou les restrictions de participation » (WHO, 2001 : 3), définition notamment reprise dans le Code de l’action sociale et des familles en France (article 114 de la loi du 11 février 2005).
[3] Nous expliquons par la suite l’émergence de nouvelles approches.
[4] L’armée israélienne, par exemple, fait appel à des personnes autistes du fait de ces compétences, notamment dans leur unité d’élite de renseignements électroniques, où une perception fine des détails est nécessaire (Horiot, 2018).
[5] Par exemple, parmi les associations françaises : Satedi (Spectre Autistique, Troubles Envahissants du Développement - International), Asperansa(Association pour la Sensibilisation à la Protection, l’Éducation et la Recherche sur l’Autisme, et Notamment le Syndrome d’Asperger), AFFA (Association Francophone des Femmes Autistes), etc.
[6] De notre première orientation vers la médiation animale, nous avons élargi notre questionnement à la nature en général (dont les animaux, selon les représentations particulières à chaque personne rencontrée), en tant qu’environnement plus en adéquation avec les sensibilités sensorielles décrites par les personnes autistes et vers lequel elles se tournent très souvent (d’après les entretiens que nous avons pu mener) comme vers un lieu de refuge sensoriel et espace de non-socialisation. Quant aux animaux, ils représenteraient des interlocuteurs dont les comportements seraient plus faciles à décoder que celui des humains, hypothèse actuellement explorée dans le domaine de la médiation animale (voir notamment Grandgeorge, 2010 ; 2015).
[7] Bogdan Robert, Taylor Steven J. (1975), Introduction to qualitative research methods, New York, Wiley – Interscience.
[8] Comme l’écrit Eric Chauvier (2011 : 80-81) : « La reconnaissance immédiate et imprescriptible des témoins en tant que porteurs de savoirs légitimes constitue le fondement même de l’enquête. »
[9] Bien qu’une des participantes nous ait remerciée à la fin de l’entretien puis dans un mail pour l’avoir aidée à comprendre certains aspects de son fonctionnement.
Marchionni Anna-Livia, « L’autisme, de la psychopathologie à la socio-anthropologie : réflexions autour d’une approche interdisciplinaire », dans revue ¿ Interrogations ?, N° 26. Le médiévalisme. Images et représentations du Moyen Âge, juin 2018 [en ligne], http://www.revue-interrogations.org/L-autisme-de-la-psychopathologie-a (Consulté le 11 octobre 2024).
ISSN électronique : 1778-3747