Comité de rédaction

Préface

 




Identité fictive et fictionnalisation de l’identité (I)

Numéro coordonné par Audrey Tuaillon Demésy

Ce numéro 15 de la revue ¿ Interrogations ? est consacré aux questions identitaires et interroge plus précisément l’identité « fictive ». Celle-ci apparaît comme un concept heuristique qui permet d’appréhender représentations et processus créateurs de sens de différentes manières. Ce sont également les présentations de soi qui sont questionnées : les identités « virtuelles » ou « narrées » forment ainsi des éléments essentiels pour comprendre la mise en scène individuelle ou collective. De même, les identités prises par « convention » peuvent être remises en cause et laisser la place à d’autres appropriations, d’autres rôles, autorisant une nouvelle définition de soi. Le rapport à autrui est, enfin, nécessaire à toute construction identitaire, qu’elle soit ou non fictive.

Ce thème est foisonnant, riche et multiple et peut être décliné selon plusieurs axes d’analyse, permettant la prise en compte de dimensions parfois largement oubliées par les sciences humaines. Ainsi, compte-tenu du nombre important d’articles reçus puis retenus pour publication, ce sont en définitive deux numéros (et non pas un seul, comme prévu initialement) qui seront consacrés à ce thème de l’identité fictive. Le second (n° 16) sera mis en ligne en juin prochain. Le présent numéro est, quant à lui, divisé en deux sections, organisant les différents articles selon deux axes de recherche.

Un premier regroupement d’articles est dédié à l’identité ludique et virtuelle. Jean-Emmanuel Barbier nous présente le fractionnement identitaire mis en place au cours d’une partie de jeu d’édition, entre aspect mécanique et aspect narratif. Un exemple précis permet de comprendre comment les joueurs se réapproprient plusieurs manières d’être autour de la table, utilisant les différents éléments mis à leur disposition par le processus ludique. Laurent Di Filippo, quant à lui, s’interroge sur les notions de « personnage-joueur » et de « roleplay » ayant cours au sein des jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs (MMORPG). Au-delà de la référence à un « avatar », l’auteur souligne ici l’importance des stratégies identitaires qui vont lier le personnage virtuel au joueur. Enfin, Ashraf Shawli aborde la question de la dichotomie pseudonyme/avatar en jeu au cours des échanges assistés par ordinateur en s’intéressant au tchat saoudien.

Le second regroupement de ce numéro se consacre à l’identité plurielle et aux projections identitaires qui peuvent en découler. En premier lieu, Caroline Boquet présente le rôle double de la caractérologie astrologique dans le processus de construction identitaire individuelle. Entre recherche d’identité et mise en récit de soi à travers le thème astral, l’astrologie favorise une appropriation identitaire forte. Sonia Gérard s’intéresse ensuite aux enjeux de la notion d’identité en psychologie et, plus particulièrement, aux nouvelles configurations, entre réalité et fiction, que peuvent apporter les fonctions essentialistes et constructivistes. Entre littérature et sociologie, Frédérique Giraud expose l’importance du double littéraire, fiction qui permet à l’auteur de se mettre en scène différemment et de donner à lire aux autres une image différente de soi. Josette Larue-Tondeur montre, quant à elle, comment « le défaut du sentiment de soi » et le malaise identitaire peuvent être adoucis par le processus de création littéraire. Noga Raviv questionne, dans un autre registre, les replis identitaires et les identités doubles dans le cas de migrations et s’appuie, plus spécifiquement, sur l’exemple des Juifs en France et des Français en Israël. Du côté de la linguistique cette fois, Edit Bors nous propose un travail sur les verbes de remémoration. Pour ce faire, deux exemples pris chez Gide et Sarraute, permettent de mener l’analyse sous l’angle du discours autobiographique. Claudine Sagaert examine par la suite la notion d’identité dans l’œuvre de Paul Auster et révèle ainsi la philosophie de l’identité en jeu dans ses créations. Enfin, Clément Poutot nous donne à voir les mécaniques du Théâtre de l’opprimé, mettant en avant le rôle essentiel de la projection identitaire du spectateur qui devient alors acteur. Ces manières de faire pouvant autoriser, par la suite, la modification des identités individuelles, mais aussi de groupe.

Au final, les approches du thème de l’identité-fiction et de la fictionnalisation de l’identité sont plurielles, et de nombreuses disciplines sont représentées, qu’il s’agisse de sociologie, de psychologie, d’ethnologie, mais aussi de littérature, de sciences du langage ou de philosophie. Travailler la notion fuyante d’identité à partir d’une approche pluridisciplinaire est donc non seulement possible mais même nécessaire et doit permettre la production de connaissances nouvelles, tout en encourageant le dialogue sans frontières disciplinaires, l’identité étant, par essence, un concept faisant appel à différents points de vue et nécessitant le regard d’autrui.

La Rubrique Varia accueille deux articles. Dans l’un, Éric Delassus interroge à l’aune de l’éthique spinoziste le suicide assisté. Si le suicide chez Spinoza peut être pensé comme l’acte d’un homme libre, peut-on mobiliser la philosophie spinoziste pour légitimer ou même défendre le suicide assisté ou l’euthanasie ? Nicolas Jouvenceau choisit quant à lui de repartir de l’expression « servitude volontaire » et de la décortiquer par une approche pluridisciplinaire, et en analysant le texte de La Boétie lui-même. L’auteur cherche à comprendre la réalité, le sens, les conditions d’un « désir d’aliénation » sans jamais tomber ni dans le simplisme ni dans le fatalisme.

La rubrique Fiches techniques propose trois contributions. Dans la question Cisgenre, Arnaud Alessandrin montre comment, en questionnant la notion de cisidentité, la diversité des subjectivités Trans et des cultures transidentitaires questionne les représentations de genre. Puis Pascal Fugier présente les auteurs-clés et les racines intellectuelles et idéologiques de la tradition socio-anthropologique de Chicago, courant de pensée qui a inspiré sociologues américains et français, en particulier ceux inscrits dans les paradigmes interactionniste et ethnométhodologiste. Enfin, Agnès Vandevelde-Rougale introduit l’organidrame (ou organiscope), un dispositif collectif clinique d’intervention et de recherche qui mobilise l’improvisation théâtrale et l’exploration du ressenti des participants au service de la compréhension de la complexité des organisations.

Ce numéro comprend enfin cinq notes de lecture. Sont ainsi présentés les ouvrages suivants :

• Danièle Kergoat, Se battre disent-elles…, par Alain Bihr ;

• Bertrand Bergier, Pas très cathodique. Enquête au pays des « sans-télé », par Franck Dubois ;

• Liliana Fosalau (dir.), Dynamique de l’identité dans la littérature francophone européenne, par Brîndusa Grigoriu ;

• Hélène Weber, Du ketchup dans les veines. Pratiques managériales et illusions. Le cas McDonald’s, par Agnès Vandevelde-Rougale  ;

Lecture croisée  : « Le savoir narratif face à la technoscience », par Goulven Oiry

(Groupe Oblomoff, Un Futur sans avenir. Pourquoi il ne faut pas sauver la recherche scientifique, Montreuil, Éditions L’Echappée, 2009 ; Roland Gori, La Dignité de penser, Paris, Les liens qui libèrent, 2011& Alain Damasio, La Zone du Dehors, Paris, Gallimard, 2007).

Que soient ici remerciés les chercheurs, enseignants, enseignants-chercheurs, membres ou non du comité de lecture, qui ont permis, par le temps qu’ils ont consacré et les compétences qu’ils ont apportées, la mise en ligne de ce numéro :

Lisa Anteby, Jacqueline Barus-Michel, William Berthomière, Stéphane Bikialo, Élodie Bouygues, Gilles Brougère, Jacqueline Carroy, Alain Chareyre-Méjan, Laurence Charton, Andrée Chauvin-Vileno, Pauline Chevalier, Bernard Couty, Claude Debon, Bertrand Degott, Jacques Dubois, Francis Farrugia, Jean-Yves Feberey, Pascal Fugier, Ilaria Gaspari, François Gavillon, Sébastien Genvo, Oiry Goulven, Stéphane Haber, Jean-François Jeandillou, Sophie Laveran, Christian Le Bart, Jean-Pierre Longre, Danilo Martuccelli, Christine Méry, Hugues Pentecouteau, Perla Petrich, Guillaume Pigeard de Gurbert, Martial Poirson, Julio Premat, Bénédicte Rey, Patrick Schmoll, Laurent Tremel, Jean-Michel Utard, Audrey Valin, Joël Zufferey.


Pour citer l'article :

Comité de rédaction, « Préface », dans revue ¿ Interrogations ?, N°15. Identité fictive et fictionnalisation de l’identité (I), décembre 2012 [en ligne], http://www.revue-interrogations.org/Preface,196 (Consulté le 6 novembre 2024).



ISSN électronique : 1778-3747

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