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Dunand Marie

Blanc William, Winter is coming. Une brève histoire politique de la fantasy

 




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Blanc William, Winter is coming. Une brève histoire politique de la fantasy

William Blanc, historien du Moyen Age et spécialiste de sa réception contemporaine, s’intéresse à la représentation de l’imaginaire médiéval à travers différents médias (BD, cinéma, séries télévisées, jeux de rôles). Dans son livre, l’auteur propose un parcours général de la fiction en fantasy, allant du XIXe au XXIe siècle, articulé à une lecture historico-politique d’œuvres fictionnelles. Blanc définit la fantasy en opposition à l’idéalisation technologique narrativement mise en scène dans le genre de la science-fiction. Pour lui la fantasy représente la critique d’une « mythologie de la modernité » (p.14) fantasmée et illustrée par des récits de science-fiction comme dans les comics de super-héros (p.11-12).

Mobilisant un corpus issu de la littérature et du cinéma, Blanc procède à une analyse de contenu des œuvres avec une recontextualisation historique de l’histoire de vie des auteurs et de leur engagement politique. Sa démarche amène ainsi à se pencher sur deux thèmes qui restent encore peu étudiés conjointement : la fantasy et la politique. En termes de définition pour son axe politique, l’auteur se concentre sur la présence d’un discours fictionnel qu’il identifie comme écologique ou faisant écho aux mouvements de défenses de la nature et de l’environnement (p. 14). Il se propose ainsi de démontrer que la fantasy, loin de raconter des histoires qui n’existent pas, contient une critique à caractère écologique de la société moderne industrialisée (pp. 77-78). Pour ce faire, il tire des parallèles clairs entre la production de fictions – comme par exemple House of the Wolfings de William Morris (1890) – et des événements ou périodes historiques précises comme l’industrialisation de l’Angleterre au XIXe siècle. Pour Blanc, il y a dans cette œuvre fictionnelle des Wolfings la construction d’un discours de défense de la nature qui, en idéalisant le passé médiéval par une mise en scène particulière, constitue une critique du modèle sociétal capitaliste et industriel de cette époque (pp. 22, 30). Le Moyen Age dans sa réception devient un outil littéraire de contestation et de dénonciation socio-politique (p.17). Dans son traitement de House of the Wolfings, l’auteur met en évidence l’orientation politique de gauche de Morris (pp. 21-28). Il le fait en soulignant le rôle central que joue la maison des Wolfings comme lieu communautaire de rassemblement où le débat se fait en toute égalité : « William Morris fait des héros de The House of the Wolfings de quasi-socialistes avant l’heure » (p. 24). Blanc part donc à la recherche de manifestations fictionnelles à travers lesquelles les auteurs expriment des idéologies qui se sont développées de leur vivant. L’auteur de Winter is coming met à jour ces idéologies en portant son attention sur les événements qui jalonnent la vie d’un auteur – en regard de sa production écrite et appuyé par des exemples littéraires – et la réception de cette production. Par exemple, six ans avant la parution de The House of the Wolfings, Morris fonde avec Eleanor Marx – et l’appui de Friedrich Engels – le parti politique de la Socialist League (p. 21). Des années après la mort de Morris, Clement Attlee – Premier ministre du Royaume-Uni de 1935 à 1955 – inaugure en 1950 la William Morris Gallery (p. 32) qui témoigne d’un impact concret sur le plan politique et social de l’œuvre de Morris. Blanc montre avec l’exemple de Morris que la fantasy peut porter elle aussi un regard critique sur la société et dépasser le cadre exclusivement fictionnel pour toucher un imaginaire et des valeurs sociales.

Couplée à l’aspect politique, la fantasy peut donc sortir du cadre d’une analyse littéraire uniquement basée sur l’analyse des contenus d’un texte. L’ouvrage de Blanc montre que la réception du Moyen Age est un moyen d’étudier la fantasy dans des applications concrètes et contemporaines. Par exemple, dans le chapitre « Faire face à l’Hiver. G.R.R. Martin. » (pp. 59-76), l’auteur étudie le cas de A Song of Ice and Fire (1996-en cours) et la manière dont la présence d’une allégorie du changement climatique dans cette saga s’est construite (p. 75) – et ce, malgré les intentions premières de son auteur G.R.R. Martin expliquant qu’« à l’instar de Tolkien, je me refuse à écrire des allégories. Du moins intentionnellement. […] Si j’avais voulu écrire quelque chose à propos du changement climatique au début du XXIe siècle, j’aurais placé l’action de mon roman au XXIe siècle durant un changement climatique  » (p. 72).

Blanc démontre que la lecture téléologique du changement climatique pour A Song of Ice and Fire est le résultat de l’utilisation par le public d’une première réception de l’œuvre de Martin : la série télévisée Game of Thrones (Benioff, Weiss, Martin, 2011-2019). Cette utilisation a débouché, par exemple, sur la campagne de Greenpeace en 2015 qui transforma la devise de la famille Stark « Winter is coming » – famille héroïne de l’histoire – en « Winter is not coming  » (p. 75) contribuant ainsi à l’acceptation par le public, puis par l’auteur de la saga, de la présence d’une allégorie du changement climatique dans son œuvre littéraire : « [G.R.R. Martin] J’ai commencé à écrire Game of Thrones [titre du premier livre de la série] en 1991 avant que quiconque ne parle de changement climatique. Mais on peut faire […] un certain parallèle » (p. 75). Cet exemple souligne que les lecteurs contribuent à définir la signification attribuée à une œuvre et qu’elle peut différer du sens premier attribué par son créateur. L’approche de Blanc permet donc de montrer les liens qui se tissent entre un écrivain, les attentes de son public et la réception de son œuvre. De plus, l’auteur démontre que la fantasy est un champ d’investigation légitime et riche dans les possibilités d’étude qu’il offre. C’est un lieu où l’interdisciplinarité peut pleinement s’exercer pour obtenir des résultats originaux et intéressants.

Pour son analyse, l’auteur travaille avec beaucoup d’images tirées de l’interprétation visuelle du cinéma. Ces images peuvent véhiculer des généralités basées sur le processus d’interprétation scénaristique qui ignore certains détails analytiques. Par exemple pour The Lord of the Rings, l’image du film de la disparition de l’ennemi Sauron avec l’effondrement de sa tour permet la mise en scène de la fin de la guerre et de la libération de la Terre du Milieu. En mobilisant cette image, cela permet de comprendre pourquoi Blanc affirme que la destruction de l’Anneau a pour but la destruction du pouvoir (p. 66). L’Anneau et Sauron disparaissent, la menace que le Maître de l’Anneau représentait en termes de pouvoir aussi. En adoptant une perspective critique, on peut nuancer cette équation (destruction de l’Anneau = destruction du pouvoir) en disant que la destruction de l’Anneau ne vise pas la destruction du pouvoir mais l’annihilation d’une forme idéologique d’autolégitimation du pouvoir. Cette idéologie est incarnée par Sauron. Le pouvoir ne disparaît pas – la présence d’un roi après la chute de Sauron et du Mordor le montre bien. Cette lecture, différente de celle présentée par Blanc pour The Lord of the Rings, pousse à examiner de plus près le contenu littéraire de l’œuvre de J.R.R. Tolkien en y étudiant la forme que peut prendre le pouvoir – forme qui se traduit à travers l’expression d’une idéologie. Imaginé par Tolkien, le Gondor – l’Etat des Hommes en Terre du Milieu – est fondé et façonné par une forme idéologique particulière du pouvoir : ici, la royauté. La mise en scène que livre Tolkien de l’idéologie royale permet également de mener pour le lecteur une réflexion par contrastes sur son propre modèle actuel de vie. De quoi ce modèle est constitué ? A-t-il été choisi ou imposé de l’extérieur ? Par qui ? Pourquoi ? La fiction permet de réfléchir théoriquement sur le réel par l’exercice de l’imaginaire sur ces questions que les auteurs se posent eux-mêmes dans le processus de création littéraire.

On aurait pu souhaiter que l’auteur définisse sa catégorie d’écologie de la même manière qu’il le fait pour sa catégorie de la modernité (p. 10). Mobiliser une seconde définition pour cette catégorie qui se révèle centrale dans l’argumentation de Blanc, permet de clarifier pour le lecteur ce qui est entendu par « écologie » dans Winter is coming et de comprendre pourquoi l’auteur choisi un exemple plutôt qu’un autre. Un travail sur la définition donne accès à la carte mentale utilisée par Blanc. Cet ensemble de catégories formant sa grille de lecture permet à Blanc d’identifier sur le terrain fictionnel la présence d’un discours écologique particulier. Dans le cas de Winter is coming, les exemples mobilisés par l’auteur et l’analyse qu’il en fait sont souvent opposés à l’industrialisation et à la modernité : « Star Trek et sa science-fiction idéaliste représentent donc une foi, parfois naïve, dans les promesses du progrès et du futurisme. Le genre forme, à l’instar des super-héros, une véritable mythologie de la modernité, alors que, comme nous allons le voir, la fantasy, elle, représente sa critique » (p. 14). Ainsi les exemples que Blanc utilise prônent tous une certaine forme d’écologie traduisible en un retour aux choses simples et artisanales qui sont issues d’une collaboration positive et non-destructrice avec la nature environnante.

Pour aller plus loin dans la réflexion, une piste serait d’investir le domaine d’étude du mythe en sciences des religions avec, par exemple, l’ouvrage de Bruce Lincoln, Theorizing myth : Narrative, Ideology and Scholarship (1999) qui permet de pousser plus loin l’étude croisée de la fantasy et du discours politique. Mobiliser la définition de Lincoln des mythes comme « ideology in narrative form [de l’idéologie sous forme narrative] » (Lincoln, 1999 :147) ménagerait un passage pour identifier dans le contenu-même des fictions les idéologies animant leurs auteurs et venant alimenter par exemple le mouvement écologique de défense du climat.

Références :

Besson Anne (2007), La Fantasy, Paris, Klincksieck, coll. « 50 questions ».

Dunand Marie, Mythe et Etat dans la fantasy. Regards croisés autour du Lord of the Rings de J.R.R. Tolkien et du Malazan Book of the Fallen de Steven Erikson, mémoire en sciences des religions soutenu en 2019, Nicolas Meylan (dir.), non publié.

Erikson Steven (1999-2011), A Tale of the Malazan Book of the Fallen [10 volumes], London, Bantam Books.

Graeber David, Sahlins Marshall (2017), On Kings, Chicago, Hau Books.

Lee Stuart D. (2014), A Companion to J.R.R. Tolkien, Chichester, West Sussex : Malden, Mass, Wiley Blackwell, Blackwell companions to literature and culture.

Lincoln Bruce (1999), Theorizing myth. Narrative, Ideology and Scholarship, Chicago and London, University of Chicago Press.

Martin George R.R. (1996-en cours), A Song of Ice and Fire [5 volumes], New York, Bantam Books.

Pour citer l'article


Dunand Marie, « Blanc William, Winter is coming. Une brève histoire politique de la fantasy », dans revue ¿ Interrogations ?, N°31. L’hygiène dans tous ses états, décembre 2020 [en ligne], http://www.revue-interrogations.org/Blanc-William-Winter-is-coming-Une (Consulté le 19 mars 2024).



ISSN électronique : 1778-3747

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