Suma Sophie

Le rôle de l’image dans les urban cultural studies

 




Résumé Dans tous les domaines, les textes théoriques sont majoritaires dans la médiation de la recherche scientifique. Le plus souvent, les images illustrent le texte, ou sont étudiées comme objet. Que se passerait-il si grâce à un montage particulier, les images étaient elles-mêmes porteuses du discours de la recherche ? Si elles étaient la production scientifique ? Médiatiser la recherche universitaire est nécessaire dès lors que le chercheur souhaite partager son travail. Et si l’essai visuel pouvait être cet objet de diffusion de la recherche scientifique ? Quel serait alors le degré de scientificité requis pour que cette forme d’essai encore peu connue soit envisagée à l’université ? En s’appuyant sur le travail intitulé Learning from Las Vegas (1968-1972) des universitaires américains Denise Scott Brown et Robert Venturi, et sur celui de l’historien britannique Reyner Banham, Banham loves Los Angeles (1971-1972), mais également en précisant les définitions étymologiques et historiques de l’essai visuel, cet article vise à questionner un support médiatique qui pourrait bien rassembler culture visuelle et méthode pragmatique autour de la pratique scientifique de la recherche dans le champ des urban design studies.

Mots-clefs Essai visuel, Culture visuelle, Pragmatisme, Recherche scientifique, Études visuelles

Abstract In all fields, theoretical texts are in the majority in the mediation of scientific research. Most often, images illustrate the text, or are studied as an object. What would happen if, thanks to a particular editing, the images were themselves carriers of the research discourse ? If they were the scientific production ? Mediating academic research is necessary when the researcher wants to share his work. What if the visual essay could be this object of diffusion of scientific research ? What would be then the degree of scientificity required for this still little known form of essay to be considered at the university ? Drawing on the work entitled Learning from Las Vegas (1968-1972) by American scholars Denise Scott Brown and Robert Venturi, and on that of British historian Reyner Banham, Banham loves Los Angeles (1971-1972), but also by clarifying the etymological and historical definitions of the visual essay, this article aims to question a media medium that could well bring together visual culture and pragmatic method around the scientific practice of research in the field of urban design studies.

Keywords Visual essay, Visual culture, Pragmatism, Scientific research, Visual studies

 Introduction

Dans le monde anglo-saxon, depuis les travaux des sociologues de l’École de Chicago, un ensemble de recherches sur les espaces urbains regroupent plusieurs champs d’études, dont les urban cultural studies dans lesquelles il s’agit d’étudier les phénomènes urbains dans leurs expressions matérielles et culturelles. Ici, l’objectif est de questionner les problèmes liés aux injustices spatiales, aux problèmes anti-éthiques des grands centres urbains, aux discriminations localisationnelles, à la ségrégation résidentielle institutionnalisée, ou encore à l’empreinte des géographies coloniales. Ces questions intéressent Paul Davidoff (1965), Mike Davis (1997), ou la journaliste Jane Jacobs (2012 [1961]), mais également les acteurs de la géographie radicale comme entre autres David Harvey (1973) et Edward Soja (2010), et en France ceux de la philosophie et sociologie urbaines comme Henri Lefebvre (1968), ou Thierry Paquot (2013). Introduites aux États-Unis, notamment par Will Straw (2015), ou Benjamin Frazer (2015), les urban cultural studies recouvrent un champ interdisciplinaire qui mêle études urbaines et études culturelles, et qui consiste à explorer les rapports, les articulations, intersections et interactions entre un large spectre de pratiques sociales (populaires et politiques) et les environnements urbains, notamment à travers leurs représentations dans les productions culturelles ou la culture visuelle. Très vastes, ces recherches héritent de l’épistémologie des études culturelles (Maigret, Martin, 2020) [1], auxquelles on peut ajouter la contribution de l’historien de l’architecture anglais Reyner Banham avec ses analyses critiques du monde bâti. Il s’agit également d’interroger les formes des espaces urbains et leurs fonctionnements, ainsi que les discours dont elles sont porteuses, les idéologies qu’elles véhiculent ou les problèmes sociaux qu’elles produisent. Les sujets abordés peuvent également traiter de l’impact des pratiques et cultures populaires dans l’espace urbain, comme les travaux de l’architecte et urbaniste Denise Scott Brown mêlant méthodes empiriques d’observation d’objets du quotidien, théories urbaines et études médiatiques (Menking, Shaw, 2016). Née en Afrique du Sud, elle s’est notamment intéressée aux pratiques architecturales coloniales et aux formes urbaines vernaculaires (Scott Brown, 2006). Dans cette logique, elle a développé de nombreux ateliers (studio) de recherches sur la forme des villes dans plusieurs universités américaines (Scott Brown, 1971). Les parcours de Banham et de Scott Brown sont particulièrement intéressants, puisqu’ils produisent de nombreuses images de natures différentes dans leur recherches théoriques.

En 1968 et en 1972, accompagnée de l’architecte américain Robert Venturi [2], Denise Scott Brown conçoit consécutivement, une exposition de photographies [3], puis un article (Scott Brown, Venturi, 1968) et un ouvrage au sein desquels l’image tient une place très importante pour rendre compte d’une étude critique de la forme de la ville de Las Vegas. Aujourd’hui plus connue sous le nom de Learning from Las Vegas [4] (L’enseignement Las Vegas), ce livre regroupe des photographies, des plans, des schémas, des collages photographiques et des analyses graphiques que les auteur·rice·s ont produits et ajoutés à côté de textes théoriques académiques. Cet ouvrage exploratoire, témoigne d’un usage particulier des images qui viennent compléter et enrichir une théorie portée sur la forme urbaine (urban design studies). On remarque alors que ces montages graphiques ainsi que l’ensemble de ces documents visuels suffisent à traduire le processus de recherche et les résultats de l’étude, parfois même en se passant de texte. Cette forme de théorie visuelle est l’une des premières du genre et se partage la scène avec le film télévisuel de Reyner Banham (1972), diffusé la même année sur la BBC, et intitulé Banham Loves Los Angeles. Il s’agit d’une étude de la ville californienne prenant la forme d’un road trip, guidé par Banham lui-même au volant d’une voiture américaine. Accompagné d’un texte théorique intitulé Los Angeles : The Architecture of Four Ecologies et publié une année plus tôt, l’objet audiovisuel de Banham est paradigmatique d’une nouvelle posture critique des urban cultural studies. Diffusées la même année, ces productions prennent cependant deux formes différentes. Les travaux de Scott Brown et Venturi relèvent d’une production graphique valorisant l’image fixe, alors que la proposition audiovisuelle de Banham privilégie les images en mouvement. Or malgré leurs différences de format, ces deux études participent d’une même manière de considérer les images dans la recherche théorique. À cette époque, d’un point de vue institutionnel, les études visuelles n’en sont encore qu’à leurs débuts. Néanmoins, ces travaux posent quelques questions notamment au sujet du statut conféré aux images dans la recherche scientifique. Deux hypothèses s’ouvrent alors. La première suggère que ces productions sont de nature essayiste. À partir de ces deux travaux, il s’agit ici de définir une épistémologie de l’essai visuel dans les recherches prenant le monde urbain comme objet d’étude. La seconde suppose que leurs formats présentent une démarche scientifique où l’image est pensée comme une manière de faire de la recherche. Ici l’image est moins utilisée comme une illustration de la théorie, que comme le moyen de rendre compte d’une recherche en train de se faire.

Dans l’objectif de valoriser un certain usage de l’image dans les productions académiques, la question principale qui parcourt cet article est de savoir si l’essai visuel peut faire partie des formes visuelles de transmission scientifique des connaissances à l’université. C’est-à-dire des médias visuels, des supports créés pour faire circuler des connaissances, au même titre que les atlas et les systèmes visuels didactiques en leur temps utilisés dans les sciences physiques ou naturelles, et réinvestis aujourd’hui en dispositifs visuels, numériques ou multimédias. Mais également plus audacieusement au même titre qu’un texte scientifique. En partant des dispositifs visuels de Denise Scott Brown, Robert Venturi et Reyner Banham, il s’agit de définir ici le statut potentiellement scientifique du montage visuel et de l’étude par l’image, faite plus précisément en produisant des images nouvelles. L’objectif est ainsi d’établir dans quelle mesure ces travaux, en particulier, sont aussi des essais visuels permettant de construire la recherche de ses auteur·rice·s, qui est manifestement interdisciplinaire. Ces productions spécifiques sont sans doute également de puissants objets de médiation de la recherche scientifique et de démonstration théorique dans les études urbaines. À travers ces deux exemples, il est donc ici question de montrer que dans le cadre de ces recherches, l’essai visuel composé en réinvestissant la méthode pragmatique de l’activité scientifique, peut être considéré comme une production académique au même titre qu’un texte théorique, et comme une manière de fabriquer de nouvelles connaissances.

 I

Épistémologie de l’essai visuel dans les urban cultural studies

Denise Scott Brown et Robert Venturi sont deux architectes et urbanistes américain·e·s internationalement connu·e·s pour leurs travaux théoriques et architecturaux. En plus d’être actif·ve·s dans la conception de bâtiments par le biais de leur agence, Scott Brown et Venturi enseignent également la pratique et la théorie de l’architecture et de l’urbanisme dans de nombreuses universités américaines (Princeton, Yale, UCLA, Berkeley, Harvard, etc.). La première publication de leur livre en 1972 retrace plusieurs années de recherche in situ dans la ville de Las Vegas. Il peut être lu comme un journal de bord ou comme un traité théorique (Didelon, 2011). Il propose une enquête au pays du loisir, qui interroge plus particulièrement les modalités de communication et la signification des enseignes positionnés en façade des bâtiments et au bord du Strip (axe central de circulation). Ils·elles s’intéressent à la manière dont ces enseignes structurent la forme urbaine de Las Vegas, mais également à ce qu’elles disent des pratiques vernaculaires et populaires du site en totale rupture avec la pensée orthodoxe de l’architecture moderne qui domine alors. En plus des textes, le livre compte de nombreuses images produites par les auteur·rice·s : photographies, plans, croquis d’analyses, collages d’images comparatives, etc., qui contiennent des éléments importants de l’enquête. Accompagné de leur assistant Steven Izenour et de quelques étudiants de Yale, le binôme a également filmé un grand nombre d’images grâce à une caméra installée sur le capot d’une voiture. Mais ces vidéos ne sont finalement pas autant exploitées que les images fixes qui composent le livre. Bien que très empirique, la méthode choisie pour l’étude de terrain ne s’inscrit pas spécifiquement dans le cadre des sciences sociales (entretiens, recherches qualitatives et quantitatives). Il n’est pas non plus question d’utiliser des procédures ethnographiques. Les données historiques liées à la ville de Las Vegas ne constituent qu’une petite partie de leur travail de recherche, et les pratiques communicationnelles utilisées par les commerçants ne sont pas analysées sous le prisme de la réception du public. Les chercheur·se·s ont cependant privilégié l’herméneutique et l’analyse du site, d’images, de données visuelles, médiatiques et commerciales. Suivant cette posture de recherche, Scott Brown et Venturi ont donc proposé de rendre compte visuellement de tout leur processus d’enquête, ainsi que des résultats de leurs réflexions. Le sujet de leur recherche – le rôle de l’image dans la production de la forme urbaine – a donc influencé sa médiatisation.

Reyner Banham est certainement l’un des premiers à écrire une critique de l’architecture contemporaine de Las Vegas. Fils d’ouvrier, il intègre l’université où il fait sa thèse en histoire de l’architecture aux côtés de Nikolaus Pevner. Enseignant-chercheur en Angleterre, puis aux États-Unis, il s’intéresse alors aux objets du quotidien pour leur rapport direct avec les pratiques sociales et les représentations populaires. En 1963, dans l’article « Who Is This Pop ? », il élabore une nouvelle écriture critique interdisciplinaire engagée sur la remise en question de la pensée d’un design capitaliste véhiculée par certains objets de consommation. Les recherches qu’il élabore à partir de cette période s’inscrivent davantage dans les cultural studies (Highmore, 2017) [5]. Recherches visant, entre autres, à requestionner les pratiques vernaculaires, les discriminations spatiales et sociales, ou encore l’impact des produits de consommation sur les discours culturels. Très enthousiasmé par l’ouest américain en général, Banham rédige en 1965 un premier article intitulé « Kandy Kulture Kikerone », dans lequel il propose une critique positive du livre The Kandy-Kolored Tangerine-Flake Streamline Baby de Tom Wolfe, puis un second en 1967, « Towards a Million-Volt Light and Sound Culture ». Dans ces articles, Banham écrit sur les lumières de Las Vegas, il évoque une « architecture de lumière  » qui relègue les bâtiments à l’arrière-plan, derrière le projet global de la ville et de l’environnement technologique des enseignes. En 1969, il consacre aussi un passage à la ville de Las Vegas et à la communication lumineuse, dans l’un de ses livres les plus célèbres, L’architecture de l’environnement bien tempéré. Mais il ne développe pas son analyse sur Las Vegas car il s’intéresse davantage à Los Angeles. Il étudie son langage et sa forme à travers un road trip dont il rend compte en 1972 dans la série intitulée One Pair of Eyes programmée par la BBC [6]. La chaîne de télévision produit et diffuse alors le téléfilm de Banham, Banham Loves Los Angeles. Sorti juste après la publication en 1971 de son ouvrage intitulé Los Angeles : The Architecture of Four Ecologies, le téléfilm expose et développe la théorie du livre grâce à de nombreuses images tournées par Banham et son équipe. Les différentes scènes rendent compte visuellement de la forme de la ville définie par Banham en quatre écologies (types d’espaces psychosociaux). Le livre et le téléfilm proposent une analyse de l’architecture des formes construites, géographiques et topographiques, économiques, historiques et culturelles de la ville. L’auteur y met également en scène un ensemble de symboles qu’il interprète comme faisant partie intégrante de la culture de Los Angeles. Ce long projet (six ans entre le voyage, la première publication du livre et la diffusion du téléfilm) fait partie d’une série d’études sur le banal et sur un genre d’expression vernaculaire que Banham appelle « le vernaculaire pop  ». On retrouve d’ailleurs l’usage de cette expression dans les travaux de Scott Brown et Venturi. Alors qu’en 1965, Scott Brown conduit un atelier sur Los Angeles en tant que professeur invitée dans le département d’architecture et d’urbanisme de l’UCLA – au moment même où les violentes révoltes de Watts montrent l’échec de la ville à l’échelle urbaine – Banham est également convié à intervenir dans la formation pour enseigner ses premières observations sur la ville. Mais ils développent leurs travaux séparément. Bien avant l’étude sur Las Vegas, Scott Brown expérimente l’enregistrement photographique des espaces urbains, et saisit ainsi la ville de Los Angeles à travers son tracé, sa morphologie complexe et changeante (Lavin 2022) [7]. Le livre Learning From Las Vegas et le téléfilm Banham Loves Los Angeles défendent deux thèses très proches l’une de l’autre. Le premier soutient qu’à Las Vegas « les relations spatiales sont établies par des symboles plutôt que par des formes, l’architecture dans le paysage devient symbole dans l’espace plutôt que forme dans l’espace  » (Scott Brown, Venturi, Izenour, 2014 [1972-1977]). Le second affirme quant à lui que Los Angeles répond à un système temporel et géographique de quatre écologies humaines, psychospatiales et symboliques qui forment la ville. À l’aide d’images graphiques et photographiques, et/ou audiovisuelles, ces thèses semblent prendre communément la forme de l’essai visuel. Mais qu’est-ce qui peut bien les définir comme tel ?

Revenons d’abord sur les critères qui caractérisent l’essai visuel. L’entreprise n’est pas facile si l’on considère la polysémie des deux termes dont il tient lieu. Visuel est issu des mots latins visualis et visus, qui renvoient à l’action de voir. Ce qui est visuel relève de ce qui peut être vu ou perçu matériellement ou mentalement. Mais selon l’anthropologie des images de Hans Belting, par exemple ce qui est visuel est dissocié de ce qui est visible : « Notre perception est soumise au changement culturel, alors même que nos organes sensoriels ne se sont pas modifiés depuis des temps immémoriaux  » (2004 [2001] : 32). Pour Belting, ce qui est visuel fait donc référence à notre apprentissage culturel et à notre sensibilité esthétique. Dans ce cas, l’objet visuel n’est pas simplement visible et perçu par l’œil comme organe de vision, mais fait également référence aux points de vue et aux paradigmes que l’on mobilise quand on regarde. Il est donc intéressant d’envisager les portées culturelles et politiques du visuel (Bartholeyns, 2016). Le terme essai quant à lui semble encore plus problématique. Son étymologie renvoie au latin exagium qui correspond au pesage ou au poids, à la balance. Il est dérivé également du mot exigere, qui veut dire expulser, mesurer et gler, composé de ex- et de agere renvoyant au verbe agir, ou à l’action de conduire au-dehors et à ce qui est entrepris à partir de (Rey, 1992). En français il est lié aux verbes essayer, tenter ou il peut s’agir aussi d’une mise à l’épreuve, c’est-à-dire d’une première tentative, d’une expérimentation, ou d’une exploration, d’un test. Or en considérant l’œuvre de Montaigne (2019 [1580]), qui est admise comme la première du “genre” essayiste, l’essai est aussi une forme littéraire qui remonte au 16e siècle et qui prend justement son origine dans le parcours, le passage ou le processus de réflexion, mais également dans la transgression des codes et des genres littéraires. Pour développer un regard relativiste sur le monde et révéler l’altérité de toutes choses, Montaigne a donné une forme volontairement libre à l’essai. Irène Langlet définit l’essayisme comme une « attitude mentale  », et l’essai comme une « utopie philosophique », ou encore comme un « anti-genre  » (2016). Entre critique et suggestions d’hypothèses nouvelles face à quelques inquiétudes intellectuelles (Macé, 2008), l’essayisme est interdisciplinaire, il traverse les disciplines traditionnelles. Dans L’essai comme forme, Theodor Adorno précise que l’essai déjoue les normes, qu’il « […] ne se plie pas à la règle du jeu de la science organisée et de la théorie  » (1984 [1974]). Aussi aucune forme universelle en particulier ne définit l’essai. Adorno précise cependant que l’essai ne saurait se former sans références, sans l’expérience, sans l’histoire, sans l’usage de paradigmes. Georg Lukács, dans Nature et forme de l’essai (1910), le considère quant à lui comme une forme artistique, où fiction et subjectivité ont cours. Ici l’essai échappe à la lourdeur scientifique de certains textes académiques.

Les travaux de Scott Brown, Venturi et Banham tiennent de l’essai dans la mesure où ils se partagent deux objectifs importants. Tout d’abord, il s’agit de proposer une relecture des formes urbaines et architecturales de ces villes américaines en privilégiant leur expérimentation. Ils proposent donc de parcourir leur terrain, de faire l’expérience physique de leur objet d’étude. Car ces villes semblent échapper aux conceptions traditionnelles des grandes agglomérations de leur époque et dire quelque chose de la situation contemporaine à l’endroit de la visualité des villes de l’Ouest et de leur culture. Par leur formes exploratoires, ces études revendiquent la subjectivité de leurs auteur·rice·s et leur désir de révision des théories architecturales universalistes. Puis, requestionnent les modalités scientifiques et les types d’analyses “normales” pratiquées habituellement. Il s’agit effectivement d’expérimenter d’autres moyens de produire et de diffuser la recherche. Architecte et urbaniste, Scott Brown et Venturi se heurtent dans leur profession à une pratique rationaliste de l’architecture qui a cours depuis la fin du 19e siècle, et qu’ils remettent en question. Initialement historien de l’architecture, en marge de sa discipline académique, Banham voit les productions architecturales et urbaines comme des objets de la culture populaire. À travers de nombreux textes, il requestionne le design industriel et urbain. Il interroge la conception des environnements humains et étudie leurs effets sur les manières d’imaginer les rapports sociaux. Tous les trois font la critique du modèle industriel soutenu par les principes de l’architecture moderne dans la conception des objets et des espaces. Leurs essais proposent en creux d’expliquer l’orthodoxie capitaliste. Or leur autre objectif est de relier l’architecture, l’urbanisme et le design aux activités quotidiennes et populaires. Ils trouvent alors probablement dans l’essai, une forme plus adaptée pour médiatiser leurs propos communs sur les pratiques vernaculaires.

Notons d’ailleurs qu’en fonction du sujet ou de l’objet dont il traite, l’essai peut prendre des formes toutes aussi relatives que son exploration. On ne saurait alors donner de définition fixe à la notion d’essai, ni à son processus d’élaboration, d’autant plus qu’il faut considérer son extension immense : essai critique, essai littéraire, essai philosophique, essai personnel, essai cinématographique, etc., déclinaisons qui ne se ressemblent pas ni dans le fond ni dans la forme. Si l’essayisme prend sa source au sein de la critique, l’essai ne peut être intégré à une catégorie, et ne relève pas d’une méthode unique. Cependant, il concerne à la fois l’art (littérature, non-fiction, roman, etc.) et le discours scientifique. D’autant plus que les essayistes appartiennent à des disciplines différentes : universitaires, critiques, journalistes, cinéastes, artistes, etc., mais qui peuvent tous théoriser le monde à partir de lui. Si dans les essais de Montaigne le doute sceptique domine dans le parcours réflexif de l’auteur, on observe une posture bien différente dans les Essays de Francis Bacon publiés en 1597, qui à l’opposé emploie une méthode savante et rigoureuse (Langlet, 2016). Le premier, exploratoire et libre, aborde un large pan de sujets, du plus banal au plus sérieux. L’autre ambitionne de comprendre et de transformer le monde en étudiant des questions contemporaines importantes et problématiques. Les essais de Bacon ont un caractère scientifique, au moins s’expriment à travers une méthode rigoureuse dans sa forme pour en fixer un fond non moins rigoureux également. Mais ce qui peut bien rassembler les deux approches réside dans la mise en dialogue des débats contemporains et leur portée critique [8]. L’essai a donc une fonction dialogique. Ces deux textes fondateurs montrent qu’il n’existe pas de définition universelle de l’essai car sa forme finale semble dépendre du contexte qu’il traite.

En mesurant l’importance que revêt l’essai littéraire dans sa portée exploratoire telle que pratiquée par Montaigne et sa méthode critique explorée par Adorno ou son statut artistique par Lukács, ou encore en considérant la forme de l’essai théorique de Bacon, une question s’impose alors pour interroger et définir les essais visuels de Scott Brown, Venturi et Banham. Quelle valeur est conférée ici à l’image qui est la matière première de l’essai visuel ? Depuis longtemps dans l’histoire des recherches sur les formes urbaines, le croquis en premier (Sitte, 1989 - Geddes, 1915), puis la photographie (Mumford, 1934) et ensuite la vidéo (Whyte, 1958 et 1988) sont les médias favoris des chercheur·se·s pour étudier la visualité des espaces urbains. Aux États-Unis, le travail de l’architecte-urbaniste américain Kevin Lynch le confirme. Entre 1958 et 1965, il mène un programme de recherche sur la signification des images dans la ville et sur la forme urbaine. Il travaille sur la notion d’imaginabilité de la ville, un concept élaboré avec le théoricien de l’image György Kepes au M.I.T. qui permet de traduire les villes et ses quartiers en images mentales. Un peu plus tôt, dans le cadre d’une étude sur les paysages de bord de route (Lynch, Appleyard, Meyer, 1965), il conçoit plusieurs courts métrages filmiques, dont l’un a influencé Scott Brown et Venturi [9].

The View From the Road (1958) est une séquence de trois minutes tournées avec une caméra fixée sur le capot d’une voiture en train de rouler, qui permet au spectateur de voir la ville et le paysage depuis le centre de la route. On y voit le coude à coude avec les autres véhicules, et les enseignes, immeubles commerciaux, publicité, parcs, grands axes routiers, etc. On ne sait pas si la vidéo dénonce ou fait la promotion d’un espace public transformé par les affichages qui se succèdent et ponctuent la ville, mais le livre éponyme, que Lynch publie plus tard avec Donald Appleyard et John R. Meyer en 1965, s’intéresse à la valorisation des formes visuelles des bords de route et fait l’apologie de l’artificialisation de leurs aménagements. Dans ce court métrage, le sens donné par l’image est bien différent que celui qui organise les essais visuels de Scott Brown, Venturi et Banham puisqu’il s’agit d’un plan séquence, d’une scène non coupée, lue en vitesse accélérée. L’angle de vue est celui des personnes embarquées dans la voiture, mais l’absence de texte, de son, et même de montage ne permet pas de comprendre le point de vue idéologique diffusé par cet objet. L’image animée correspond davantage ici à un document de travail brut. Tout comme dans l’étude du sociologue et urbaniste américain William H. Whyte, dont témoigne son film intitulé Social Life of Small Urban Spaces en 1979, dans Learning From Las Vegas et Banham loves Los Angeles, au même titre qu’un texte, les images sont dialogiques. Articulées entre elles, les images mettent en scène le propos discursif de la recherche de ses auteur·rice·s.

 II

Lessai visuel comme montage intellectuel

Pour faire apparaître la scientificité des essais visuels étudiés ici, il faut peut-être d’abord les différencier de ceux faits par des artistes. Bien que différents dans leurs objectifs, ils se partagent cependant un type de montage particulier des images. Il s’agit du montage intellectuel, terme consacré du cinéma. Pendant longtemps, les historiens ont qualifié les artistes de producteurs d’images au sens large (Panofsky, 1969 [1955]). Si avant le 19e siècle, hormis les architectes seuls les artistes avaient le monopole de la production d’images, selon Peter Weibel les images ont gagné du pouvoir grâce aux avancées technologiques avec « l’apparition de la photographie, puis des médias visuels que sont le cinéma, la télévision, la vidéo et l’ordinateur  » (2012). Désormais tout le monde ou presque peut produire et distribuer des images. Learning From Las Vegas et Banham loves Los Angeles s’inscrivent à une époque où l’usage d’appareil photographiques ou de caméra s’est complètement démocratisé, y compris dans la recherche scientifique. Mais dans les pratiques artistiques, l’essai visuel ou visual Essay est un terme assez récent que l’on associe plutôt à la seconde moitié du 20e siècle. Au-delà du champ littéraire, l’essai est donc surtout produit par les artistes, les photographes ou les cinéastes, sous les termes d’essai plastique, d’essai vidéo, d’essai photographique ou d’essai cinématographique, conférant ainsi à ces productions un caractère essayiste et expérimental.

Dans sa composition, l’essai de théorie visuelle de Scott Brown et Venturi peut être rapproché du travail sur l’image de John Berger qu’il développe la même année en 1972 avec Richard Hollis en Angleterre, dans un ouvrage intitulé Ways of Seeing issu de l’émission de télévision éponyme produite et diffusée par la BBC. Sans objectifs de scientificité, les œuvres d’arts y sont analysées, comparées, apposées en face de publicités contemporaines. Berger repère les points communs entre plusieurs types d’images, et ce qu’elles semblent dire une fois rassemblées. Certains moments de l’ouvrage prennent la forme d’un essai visuel, où les images ne sont pas toujours accompagnées de texte. S’aventurant parfois sur le terrain de la critique sociale, il présente timidement les effets de la représentation des corps féminins et masculin dans l’art mais aussi dans les publicités contemporaines. Selon l’auteur, le corps est un objet de désir mais également une image qui aurait une certaine position dans la culture (Berger, 1972). Les essais visuels de Berger, et de Scott Brown et Venturi, montrent que le sens est produit grâce à une spatialisation des contenus qui vise à hiérarchiser l’information. Cette spatialisation relève de la conception, c’est-à-dire d’un design spatial qui opère visuellement et qui s’apparente à la pratique du montage. Le terme montage est relié au verbe monter issu lui-même du bas latin montare, correspondant à mont et à ascendere, soit à ce qui est ascendant. Le mot montage exprime aussi l’action d’assembler des éléments et notamment dans l’industrie du cinéma ou dans la pratique de la photographie. Ici donc, disposé d’une certaine manière, le montage d’images produit du sens.

L’essai visuel de Banham sur Los Angeles se situe quant à lui au croisement de trois formes audiovisuelles. Dans son aspect éclectique et démonstratif, il s’apparente au documentaire. La mise en scène de Banham lui-même en train de conduire, de déjeuner, de parler aux acteurs locaux et à la caméra, de visiter les lieux, ou de manger une glace avec ses collègues artistes dans un drive-in flirte avec la téléralité. Mais également avec une fiction qui traiterait d’un sujet contemporain et mystérieux, d’une visite de la ville, voire d’une enquête menée un peu à la façon d’Orson Welles dans son film F for Fake en 1973 quand il aborde les questions d’illusion et de mensonges. Devant la caméra, Banham se met en scène de plusieurs façons, parfois comme dans un film dramatique, notamment lors de la visite d’une maison où l’attend une jeune femme incarnant le rêve hollywoodien. D’autres fois, en jouant son propre rôle de professeur d’université donnant un cours sur Los Angeles dans un amphithéâtre. Les essais visuels audiovisuels partagent une esthétique spécifique de la critique visuelle, s’autorisant ainsi les emprunts de références et une grande liberté dans le style. La notion d’image dialectique proposée par Walter Benjamin (2006 [1934]) est une manière d’expliquer les références que l’on trouve dans les images (Buck-Morss, 1989) et d’ainsi contribuer à éclaircir la notion de montage d’images qui composent les essais visuels.

Au-delà de son rapport pratique au montage cinématographique, l’essai visuel de Banham, doit beaucoup au cinéma. Depuis le début de son histoire le cinéma regorge de productions essayistes : Alain Resnais, Chris Marker, Alain Cavalier, Frederick Wiseman, etc. Mais avant eux on peut citer Sergueï Eisenstein, Dziga Vertov, Jean Alfred Epstein ou même Man Ray. Jean-Luc Godard a lui-même qualifié son film 2 ou 3 choses que je sais d’elle (1967) – qui fait la démonstration de la critique des grands ensembles parisiens – d’« essai sociologique en forme de roman  » (1984 : 34). Godard, qui a énormément écrit et témoigné sur son travail, considère le montage comme une méthode de recherche, le cinéma comme un médium exploratoire, où l’essayisme permet de résister devant les productions commerciales. En s’inspirant largement de la notion de film-essai de Roberto Rossellini (Bonamy, 2017 : 10), ses essais cinématographiques convergent vers les sciences expérimentales et les sciences humaines incluant la littérature et la critique. Godard écrit que « l’essai, c’est la forme qui se pense  » (1998 : 58), qui peut transgresser les genres, et qui explore la controverse, la fiction et la non-fiction – s’inspirant parfois de la forme documentaire. Les films d’essais sont provocateurs, ils mettent en examen les convictions universelles et interrogent différentes formes d’énonciations (Liandrat-Guigues, Gagnebin, 2004).

Le montage est peut-être la démonstration visuelle la plus efficace pour relier images et discours. Le concept de « montage manifeste intellectuel  » d’Eisenstein met au premier plan la dimension intellectuelle de la construction d’un discours à travers les images (Vacher, 2001/2). Pour Eisenstein l’image n’est pas considérée comme un simple médium narratif dépendant d’un choix de plan, elle porte en elle un statut théorique, voire idéologique. La Grève (1925), son premier film, dans lequel le montage intellectuel de certaines séquences énonce un discours idéologique révolutionnaire est manifeste de la posture essayiste. Or le montage intellectuel ne semble pas essentiellement réservé à l’application cinématographique, il se lit de façon exemplaire dans le montage des images de Banham Loves Los Angeles. Le choix des images est toujours fait en lien avec le discours critique et théorique de l’auteur et dont l’essai est le médium. La voix de Banham guide la compréhension des images. Si les essais visuels qui nous intéressent ici ont partie liée avec la dimension créative et certains médias ou techniques employés par les artistes, ils diffèrent cependant dans leurs finalités. Henri Bergson expliquait l’art comme une pratique visant à révéler l’invisible, à mettre à l’épreuve notre rapport au réel (1938). Or les intentions de Scott Brown, Venturi et Banham dépassent largement cet objectif : ils proposent de produire des connaissances théoriques nouvelles médiatisées par des images. De quelle manière pouvons-nous alors les envisager comme des productions scientifiques ?

 III

L’essai visuel comme moyen de faire de la recherche

Le montage intellectuel ne va pas forcément de soi avec la pratique de théorisation scientifique, qui habituellement et traditionnellement, se concrétise par la rédaction de textes académiques, également caractérisé par un travail de montage des mots et des idées. Dans les travaux de Scott Brown, Venturi et Banham, l’image, mais surtout les représentations, deviennent l’outil d’analyse et de démonstration du procédé théorique. Les images qui composent Learning From Las Vegas et Banham Loves Los Angeles sont créés par leurs auteur·rice·s à partir de leur terrain de recherche. Ils s’intéressent à deux villes de l’Ouest des États-Unis, à leurs formes urbaines et architecturales, à leurs cultures visuelles et populaires, ainsi qu’à leurs fonctionnements. Pour leur étude sur Las Vegas, Venturi et Scott Brown récoltent un grand nombre de documentation sur place (publicités, ouvrages, textes, etc.), filment et photographient quelques zones spécifiques de la ville, puis réalisent une série de croquis d’analyse. Banham mène ses recherches sur Los Angeles à partir de l’architecture et de récits historiques et populaires des quatre espaces qui composent selon lui la ville, puis ajoute des entretiens avec des acteurs locaux. Les images produites ou récoltées constituent la base et l’articulation de la réflexion. À quel moment alors, la mise œuvre de ces images participe de la pratique de recherche de nos chercheur·se·s ? De quelle manière un essai visuel pourrait lui aussi accéder au même statut scientifique pour étudier les formes urbaines ?

Parfois plus explicites que le texte pour rendre compte du processus de recherche et des arguments de la thèse finale, les images fixes ou animées composées par Scott Brown, Venturi et Banham produisent indéniablement des connaissances sur leur sujet d’étude. Kevin Lynch et William H. Whyte avant eux l’avaient déjà bien compris en filmant les villes pour étudier leurs formes. L’anthropologie des sciences portée notamment en France par Bruno Latour, montre à quel point le visuel est un facteur très important dans la circulation des connaissances. Les représentations, les images et ce qui est visuel ont plusieurs fonctions, dont la traduction d’un contexte à un autre, d’un langage à un autre, et même d’une forme à une autre (Latour, 1989). Grâce aux diverses contributions de Latour, de W.J.T Mitchell (2014 [2001]), de Nicholas Mirzoeff (2011), ou encore de Susan Buck-Morss (2010), on sait désormais [10] que les médiations visuelles procèdent de la socialisation des savoirs (de leur mise en circulation dans le champ social) et de la représentation des connaissances culturelles. Tout cela est regroupé aujourd’hui sous le terme Culture visuelle. Depuis les sciences modernes, les images sont présentes dans les activités scientifiques. Lorraine Daston et Peter Galison (2012 [2007]) ou encore Francesco Panese (1996), rapportent que le 17e siècle voit apparaître une pratique médiatique spécifique pour partager publiquement le savoir en associant mots et images dans des classifications illustrées de type encyclopédique, comme par exemple l’Historiae Naturalis, du médecin polonais John Jonston, publié en 1657. Les botanistes, les astrophysiciens, ou encore les anthropologues, réalisent alors des atlas d’images et des illustrations naturalistes (Bauhin, 1650). L’atlas dans son expression la plus ancienne, est au sens strict un recueil de cartes géographiques, qui depuis le 18e siècle s’étend à de nombreux autres domaines du savoir (histoire naturelle, astronomie, anatomie, etc.). Il représente un moyen graphique de parcourir le monde du regard (Besse, 2003), d’en inventorier la diversité et d’organiser des objets. Dans la culture moderne européenne, l’atlas est au croisement d’expressions visuelles et discursives qui incarnent l’idée de collection et d’inventaire à l’échelle du livre, voire de la bibliothèque.

Rassembler ou collecter des images dans l’activité scientifique est souvent rapproché de la pratique de l’historien de l’art allemand Aby Warburg et de son Atlas Mnemosyne qui date de la fin des années 1920, à cause de la notion de collection d’images. D’un point de vue conceptuel, on peut considérer l’Atlas Mnemosyne de Warburg comme un proche parent de l’essai visuel en contexte scientifique. Car dans cette étude théorique on voit une histoire de l’art sans texte. Il s’agit d’une recherche sur la survivance d’un motif dans l’histoire. Le travail de Warburg relève bien d’une opération scientifique, puisqu’il propose l’usage de la forme atlas pour produire une science des représentations culturelles, une iconologie. Ainsi, Warburg produit une science de l’image. Mais l’Atlas Mnemosyne est aussi un travail discursif sur l’image dans l’histoire que Warburg décide de présenter en planches thématiques. Ce que l’on retient de sa méthode, c’est qu’elle vise à créer des liens et des rapprochements théoriques et conceptuels entre plusieurs images. C’est le caractère relationnel des images qui intéresse Warburg. Ces images sont d’ailleurs de différentes natures : dessins, gravures, peinture d’artistes, représentations scientifiques, photographies d’architecture, coupures d’articles de presse, fac-similés, etc.

La forme atlas, qui consiste à composer des planches d’images est une pratique d’agencement (design) spatial de la connaissance, qui relève également du montage si l’on se base sur l’explication donnée par Georges Didi-Huberman qui la définit comme une « connaissance traversière » (2011 : 13), c’est-à-dire une construction intellectuelle traduite visuellement et basée sur la « puissance intrinsèque de montage qui consiste à découvrir […] des liens que l’observation directe est incapable de discerner » (2011 : 13). Daston et Galison insistent bien sur cette tradition scientifique qui implique de produire des images et qui s’intensifie aux 19e et 20e siècles, dont la fonction était de construire le savoir. L’essai visuel hérite semble-t-il de quelques gènes de l’Atlas Mnemosyne notamment au regard de la circulation des références et de leur médiatisation. Or il n’est pas une collection d’images, la filiation s’arrête donc là où commence la composition, par le montage et la mise en relation d’images de sources, de natures et de formes différentes avec l’expérience critique d’un terrain de recherche. Même si elle semble prendre de cette pratique, on voit bien que la scientificité des essais visuels de Scott Brown, Venturi et Banham n’est pas essentiellement caractérisée par la collection d’images. Car elles sont plutôt ici considérées comme les dépositaires d’une expérience de recherche. Learning From Las Vegas et Banham Loves Los Angeles sont à la fois la restitution de l’enquête et la recherche en train de se faire. Plus précisément, ces essais visuels semblent être eux-mêmes une forme d’enquête que le texte seul ne peut suffire à montrer.

 IV

L’essai visuel comme montage pragmatique

L’enquête, cet aspect fondamental de l’essai visuel produit dans le cadre des recherches en contexte urbain se rapproche fortement des méthodes de recherches expérimentales. Tout comme le pragmatisme tel que défini par la philosophie américaine du siècle dernier, la forme de ces essais est ontologiquement exploratoire et expérientielle. Dans ce cas, si les productions visuelles de Scott Brown, Venturi et Banham participent d’une forme de montage intellectuel et théorique des images, l’hypothèse ici soulevée suggère que leur scientificité réside surtout dans le montage pragmatique des images et du discours. Mais qu’il y a-t-il de pragmatique dans l’approche de Denise Scott Brown, Robert Venturi et Reyner Banham ? L’étude sur Las Vegas débute avec l’hypothèse que le paysage urbain est structuré par le Strip et qu’il contient l’émergence d’une nouvelle forme d’architecture en train de se faire « in the making » : une architecture de la communication. Cette première intuition donne lieu à une enquête visuelle, que le livre présente. L’essai visuel rend ici visible plusieurs expériences qui constituent les investigations menées par Scott Brown et Venturi, et tout le processus de transformation de leur regard et de l’objet observé au fur et à mesure de l’avancement de leur étude. À la recherche des quatre écologies psychospatiales de Los Angeles, Banham va également mener une enquête de terrain. Pour donner une forme intelligible à sa théorie, et reconstruire l’histoire culturelle de L.A., Banham n’a pas d’autres moyens que de se rendre lui-même sur les traces laissées par les quatre mythes : Surfurbia (les plages), Foothills (les collines), The Plain of Id (la plaine) et Autopia (les axes routiers). Il scénarise alors une visite de L.A. à travers eux en voiture. Ici, les chercheur·se·s explorent physiquement et visuellement leur terrain de recherche.

L’expérimentation d’une recherche de terrain par l’enquête est au centre de ces travaux et a en effet beaucoup à voir avec l’approche pragmatique du philosophe américain John Dewey (2020 [1915]). Scott Brown rapproche d’ailleurs elle-même ses recherches de la posture de Dewey (Lavin 2022). Issu du grec pragma, et praxis, qui signifient action, relié au langage et à la communication, le pragmatisme selon Dewey, privilégie l’expérimentation comme moyen de défaire les pièges méthodologiques impliqués par le rationalisme, l’essentialisme et le positivisme (Zask, 2015 : 40). L’empirisme est alors au cœur de la pratique pragmatique qui vise à articuler théorie et pratique du terrain dans la recherche. Dewey soutient que si l’expérimentation permet de tester des théories préétablies, elle implique aussi la production de nouvelles hypothèses grâce à l’expérience de l’objet dans l’étude (2004 [1986]). D’ailleurs, la recherche pragmatique donne toute son importance au terrain, car ici on considère que le sens naît d’un contexte situationnel précis (Langshaw Austin, 1991 [1962]). Les comportements, les croyances et les systèmes de valeurs sont ainsi pris en compte. Ceci renforce également la question du regard et de la subjectivité, car en effet, le chercheur ne porte jamais un regard totalement neutre sur l’objet qu’il observe pour construire l’énoncé de ses hypothèses finales. L’approche pragmatique ne sous-estime donc pas le rôle transformateur du regard du chercheur ou de la chercheuse que l’expérimentation a justement pour fonction d’affirmer. Associée à une posture constructiviste, la recherche pragmatique inclue les représentations au cœur de l’étude scientifique. Les images produites par Scott Brown, Venturi et Banham sont directement issues de leur propre expérience des villes qu’ils explorent.

Tout comme Banham par Los Angeles, Scott Brown et Venturi sont fasciné·e·s par Las Vegas. À leur époque, ces villes ne répondent à aucune logique architecturale ou urbaine classiques. Elles semblent échapper aux traditions historiques européennes et s’inscrivent plus que jamais dans un présent sans cesse en mouvement, organisé par une profusion de signes et d’images. Grâce à leur forme exploratoire, les travaux de Scott Brown, Venturi et Banham donnent à l’image une fonction médiale qui peut bien aider à visibiliser les conditions de circulations des énoncés scientifiques et les soumettre à l’expérimentation. D’ailleurs, dans le but d’expérimenter leurs hypothèses, Scott Brown et Venturi vont développer ce qu’ils nomment dans leur livre une Recherche Appliquée. Pour servir leur étude du design urbain, leur Recherche Appliquée s’inscrit à la frontière des cultural studies, des field studies, et des visual studies. Pour institutionnaliser cette posture de recherche et de théorisation, avec le concours de quelques étudiants de l’Université de Yale, ils créent un atelier d’expérimentation (Scott Brown, 1979). Intitulé Learning from Las Vegas, or Form Analysis as Design Research (Las Vegas Studio), l’atelier débute à Las Vegas en automne 1968 (Scott Brown, 1990). Il est volontairement évocateur de la théorie visuelle que le couple défend : une recherche par l’image et faite à partir d’images. Leur enquête de terrain les conduit à élaborer plusieurs films, diapositives, cartes, plans, photographies. Une large étude iconographique est alors nécessaire en rentrant à Yale [11]. Une attention particulière est donnée à l’articulation de l’ensemble de ces documents de travail. Les rendus visuels qu’ils produisent à partir des images récoltées, sont pour eux un véritable dispositif de médiatisation de leur recherche. L’essai visuel comporte alors un enjeu important : présenter leur théorie visuelle naissante au public. La Recherche appliquée du projet Las Vegas tend ainsi à valoriser la recherche comme pratique à une époque où les études architecturales ou de design urbain sont encore peu institutionnalisées.

Avant que Banham n’imagine son téléfilm, ses analyses in situ sur Los Angeles prennent la forme de conférences, de discussions à la BBC, puis d’un texte publié en 1971. Même si plusieurs photographies prises par l’auteur sont présentes dans le livre, le téléfilm est un véritable prolongement théorique et scientifique de son étude. Dans L’art comme expérience, Dewey (2020 [1934]) présente le pragmatiste comme un enquêteur mais aussi comme un poète, dont l’art qu’il produit semble être l’une des conditions de l’expérience, ou plus précisément une esthétique du quotidien. La dimension esthétique de l’expérience se manifeste lors de l’apprentissage du monde. L’art et l’esthétique se matérialisent alors dans les nouvelles relations créées par le·la chercheur·se·s en mouvement. Lorsque Scott Brown et Venturi étudient Las Vegas, ils vivent une expérience esthétique avec elle et créent de nouvelles relations entre architecture et design urbain. Ils construisent les bases d’un rapport alternatif à la ville du 20e siècle, désormais moins pensée comme un objet fonctionnel que communicationnel. Quant à Banham, son expérience de la ville est autant esthétique que politique, puisqu’il plaide pour la valorisation des pratiques vernaculaires. Il est tout bonnement fasciné par la spontanéité des formes urbaines de Los Angeles, qui selon lui « menace le confort intellectuel et le gagne-pain de trop d’architectes, d’artistes, d’urbanistes et d’autres spécialistes de l’environnement : elle peut mettre en pièce toutes les règles d’urbanisme qu’ils promeuvent par leurs travaux, leurs écrits ou leur enseignement » (1971 : 206). Dans le travail de ses trois chercheur·se·s, le visuel tient plusieurs rôles. Il apparaît comme objet d’étude en incarnant les signes dans la ville ; comme outil, ou documents à étudier pour construire le discours de leur recherche (films, photographies, montages visuels, analyses graphiques, etc.) ; et enfin comme médium ou média de leur étude en se manifestant dans des essais visuels très innovants pour l’époque et qui médiatisent leurs travaux.

Aussi, ce qui fait la scientificité de ces productions visuelles répond à plusieurs conditions : la présentation d’une recherche en train de se faire, l’enquête comme moyen d’expérimenter l’objet d’étude, la transformation du regard du chercheur au fur et à mesure qu’il construit son sujet, la démarche empirique, et pour finir l’apparente liaison entre l’esthétique et la science, le fond et la forme de la recherche. Ainsi la dimension pragmatiste de l’essai visuel participe de sa scientificité. Learning From Las Vegas et Banham Loves Los Angeles contiennent bien les caractéristiques du montage pragmatique qui leur permettent d’opérer une étude de la ville et de ses formes sur un plan scientifique.

 Pour une production visuelle de la recherche scientifique

Pour conclure, Learning From Las Vegas et Banham Loves Los Angeles nous montrent la posture essayiste de leurs auteur·rice·s par leur évidente transgression des codes académiques, par leur capacité à remettre en question les savoirs universalistes et essentialistes de leur discipline, et enfin, en fabriquant des images correspondant directement à leur activité de théorisation. Avec leurs essais visuels, Scott Brown, Venturi et Banham ont produit de nouvelles connaissances. Leur démarche de valorisation de la recherche par l’image est cohérente avec l’étude des formes et des cultures urbaines. Ici, sans se substituer au texte, les images mises en relation dans ces essais visuels peuvent construire une narration théorique constituée d’arguments et d’un discours scientifique, tout en laissant libres plusieurs niveaux de lecture et de significations : symboles, formes, médiums, etc. Hiérarchisé par un plan laissant apparaître la problématique, les hypothèses, les objets et les références de recherche, ces travaux confirment que l’essai visuel peut être envisagé comme un projet scientifique. Ces essais sont également heuristiques et pédagogiques.

S’ils partagent avec l’essai littéraire, ou le texte de théorisation le fait de développer une réflexion approfondie sur un sujet spécifique, ils s’en distinguent par les formes que prennent cette réflexion, car la place de l’image y est particulièrement importante. Or elle y est envisagée comme un moyen, non moins légitime que le texte, de développer un discours. La force de Learning From Las Vegas et de Banham Loves Los Angeles réside dans l’agencement des images les unes par rapport aux autres, c’est-à-dire dans les relations qu’il permet de faire apparaître et de donner à comprendre aux lecteur·rice·s. Pour comprendre l’impact des formes urbaines sur la culture de Las Vegas et de Los Angeles, les auteur·rice·s ont choisi de faire agir les images comme un dispositif relationnel, pour faire advenir des correspondances surprenantes, intelligentes, nouvelles, entre les choses. Loin de n’être qu’une simple succession d’images, ces essais visuels nous aident à construire une culture sensible à l’image. Ils interrogent eux-mêmes les modalités de transmission de la connaissance par l’image. Ils transforment la nature de notre rapport à la science et rendent plus évident l’expérience de la recherche à l’œuvre pour lire les villes.

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Notes

[1] Les études culturelles ou cultural studies ont été développées en Angleterre par Richard Hoggart, Raymond Williams, Edward Thompson et Stuart Hall dans les années 1960.

[2] Leur assistant Steven Izenour a également participé à l’ensemble du projet, de la captation d’image à l’écriture de certains textes du livre.

[3] Intitulée From Rome to Las Vegas, l’exposition s’est déroulée en 1968 à la Philadelphia Art Alliance.

[4] Cet ouvrage a connu plusieurs rééditions (1972, 1977), et fut traduit dans une dizaine de langues.

[5] Selon Ben Highmore, les travaux de Banham sont proches de ceux de Raymond Williams (fondateur des cultural studies à l’Université de Birmingham). Highmore compare deux textes écrits à six ans d’intervalle : « The Atavism of the Short-Distance Mini-Cyclist » de Banham rédigé en 1964, et « Culture is Ordinary », écrit par Williams en 1958. Highmore propose de considérer les analyses de Banham et les études culturelles de Williams, « […] non pas comme deux domaines distincts, mais comme des projets alignés qui s’inscrivent dans une évolution beaucoup plus large de la production de connaissances, façonnée par des forces historiques variées. ». Traduction de l’autrice.

[6] Sa collaboration avec la BBC débute en 1968, où il présente quatre émissions sur Los Angeles.

[7] Malheureusement l’étude effectuée par Denise Scott Brown sur Los Angeles – et plus particulièrement sur Santa Monica – n’a jamais été publiée. Aussi le reste de cet article se concentre sur les travaux de La Vegas (Lavin 2022).

[8] Comme le précise Langlet, les journaux favoriseront la création du Periodical Essay : un média recevant et diffusant des essais de toutes natures (scientifiques, littéraires, etc.). Ils se répondent entre eux et contribuent à la circulation des idées.

[9] Le travail de Kevin Lynch est cité à plusieurs reprises dans Learning From Las Vegas.

[10] Mais je pourrais encore citer bien d’autres auteur·rice·s qui ont contribué au développement des visual studies depuis les années 1970.

[11] Dans la préface de la première édition de Learning From Las Vegas, elle précise que « de retour à Yale, dix semaines furent nécessaires pour analyser et rassembler les découvertes. »

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Pour citer l'article


Suma Sophie, « Le rôle de l’image dans les urban cultural studies », dans revue ¿ Interrogations ?, N°34. Suivre l’image et ses multiples états dans les collaborations arts/sciences, juin 2022 [en ligne], http://www.revue-interrogations.org/Le-role-de-l-image-dans-les-urban (Consulté le 13 décembre 2024).



ISSN électronique : 1778-3747

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