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Filiod Jean-Paul, Kueny Claire, Tang Jade

Dynamique des images et mouvements de la recherche. L’exemple des chantiers de rénovation domestique

 




Résumé

Le présent article revient sur les modes opératoires qui se sont instaurés entre trois membres d’une équipe de recherche dont le travail portait sur les chantiers de rénovation domestique. Centrée sur les images de chantier, cette recherche a donné lieu à de multiples approches (enquête sociologique, création d’un site internet…), que les autrices et l’auteur développent, depuis leur rencontre et les premiers “labos” jusqu’à leur dernière d’exposition en 2021.

Il s’agit ici d’analyser la place qu’occupent les images de chantier, les divers rôles qu’elles ont joué dans le travail de terrain, les divers formats auxquelles elles ont été et sont soumises au gré des contextes, les différents discours auxquelles elles sont articulées, pour nourrir un argument situé au carrefour de l’analyse scientifique et de la démarche artistique.

Mots-clefs

Image - Interdisciplinarité - Collaboration - Chantier - Site internet

Abstract

This paper looks back at the modus operandi of three members of a research team whose work focused on home renovation projects. Focused on images of building sites, this research gave rise to multiple approaches (sociological survey, creation of a website…), which the authors are developing, from their meeting and the first ’labs’ to their last exhibition in 2021.

It is a question here of analyzing the place occupied by images of construction sites, the various roles they have played in the fieldwork, the various formats to which they have been and are subjected according to the contexts, the different discourses to which they are articulated to feed an argument situated at the crossroads of scientific analysis and the artistic approach.

Keywords

Image - Interdisciplinarity - Collaboration - Worksite - Website

 Introduction

Cet article rend compte d’une collaboration entre une artiste plasticienne, une théoricienne de l’art formée à l’histoire de l’art et un sociologue formé à l’anthropologie. Elle est le fruit de rencontres et d’envies, tant de la part de l’artiste, soucieuse de multiplier les regards sur un travail de prises de notes, par l’image, de chantiers de rénovation domestique, que de la part de la théoricienne de l’art et du sociologue, intéressés par le travail en commun. Cette collaboration, inscrite dans un certain contexte intellectuel, scientifique et culturel, se déploie selon trois mouvements : la logique interdisciplinaire ; les échanges entre mondes scientifiques et artistiques ; la dynamique de diffusion numérique des informations, des connaissances et des savoirs.

Il est rapidement apparu évident aux membres de cette équipe que la production de connaissances était une activité collective qui obligeait les disciplines ou les domaines qui les composent à communiquer, pour se saisir de questions à la fois théoriques et pratiques. Les dernières décennies montrent un effet réel de ce qu’ont généré des mouvements intellectuels et scientifiques relevant par exemple de la « pensée complexe » (Morin, 1991) ou du pragmatisme (voir les très nombreuses traductions récentes des œuvres de John Dewey), tant chez les chercheur·es que, plus récemment, chez les artistes (Kreplak et al., 2020). Ceux-ci et celles-ci, en s’emparant de l’« enquête » (Dewey, 1993 [1938]) sont devenus des « chercheurs » (Delacourt et al., 2016) « pas comme les autres  » (Hermès, 2015).

La distinction que fait émerger cette expression peut toutefois être réinterrogée à la lumière de ce qu’Isabelle Stengers présente comme la « transdiscipline », à entendre comme « la recherche d’un type d’alliance où l’on utilise l’autre pour en apprendre à son sujet, pour mieux comprendre le sens de ce que l’on fait en reconnaissant le choix dont on procède » (Stengers, in Dosse, 1997 [1995] : 387-388, entretien avec l’auteur). Tandis que, toujours selon elle, « l’interdiscipline, c’est un peu un partage de propriétaires » (ibid  : 387).

Les rapprochements entre science et art ne manquent pas d’être mis à jour, certains allant jusqu’à considérer la science comme une « forme d’art » : « Il faut ici prendre conscience de ce que la science est fondamentalement une forme d’art. C’est une forme de création, qui n’est pas assimilable au fonctionnement systématique d’une machinerie intellectuelle. Notre épistémologie est un peu embrouillée aujourd’hui et ne sait plus exactement sur quel pied danser. (…) Le but fondamental de la science, il ne faut jamais l’oublier, est l’invention, et son seul critère, la fécondité. » (Moscovici, 1998 : 22). Le mouvement dit de « recherche-création », initié en Amérique du Nord, anglophone comme francophone (Gosselin, Le Coguiec, 2006 ; Chapman, Sawchuk, 2012), indique combien les échanges sont féconds, y compris sur le versant de la « recherche-création médiatique  » (Paquin, Noury, 2020). L’univers du numérique et ses développements invitent chercheur·es et artistes à se rencontrer pour renouveler les connaissances sous des formes singulières. Pour notre équipe, ce sont des images [1] de chantier de rénovation domestique [2] qui ont constitué l’objet commun.

Après avoir brièvement présenté comment les images faisaient partie de l’univers de chacun des membres de l’équipe, cet article montrera comment les images se sont insinuées dès le début de la recherche menée en commun (Filiod, Kueny, Tang, 2020).

Le récit des premières rencontres, qui montre une centration sur la nature documentaire de l’image, se poursuivra jusqu’à la présentation de la construction de la recherche et son caractère double d’enquête sociologique et d’exploration iconique, générant les vies parallèles de l’étude Saisir le chantier par l’image et du site internet saisirlechantier.com [3].

Enfin, nous mettrons en avant les questions posées par la restitution de la recherche, qui s’est déployée à la fois dans l’écriture d’articles, l’exposition et sa scénographie, et la co-organisation et la participation à des rencontres à caractères scientifique, professionnel ou public. Comment chaque membre de l’équipe, porté par sa discipline, sa profession, son métier, ses savoir-faire et habitudes de travail, a-t-il été déplacé, voire dérangé par les manières de faire impliquées par la « co-laboration » (Filiod, 2018 : ch. 4 et 5) ? Que cela dit-il de la place et du statut des images dont nous accompagnons la diffusion sous divers formats et discours ?

Figure 1. Chantier chez Manu et Christelle, détail

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 Préfiguration : les images en elles-mêmes, des supports à partager et discuter

Saisir le chantier par l’image trouve sa genèse dans le projet Perspective Résidentielle de l’artiste Jade Tang. Il démarre en 2013 lorsqu’elle commence à documenter des chantiers en s’intéressant à ce qu’elle désigne comme des espaces-temps intermédiaires dévoilant des formes sculpturales éphémères.

Au moment où Jade Tang portait son attention sur les dimensions sculpturales du chantier, elle s’est tournée vers Claire Kueny pour partager des interrogations à ce sujet. Claire Kueny venait de démarrer une thèse de doctorat sur l’utilisation des ombres projetées dans la sculpture contemporaine (Kueny, 2017). Dans les œuvres étudiées, appelées « sculptures d’ombres », les ombres permettaient d’interroger le rapport des artistes à la sculpture, mais aussi à l’image, selon des approches artistiques, historiques, philosophiques, anthropologiques, scientifiques et politiques.

En amont, Claire Kueny et Jade Tang s’étaient rencontrées lors de la mise en œuvre de l’exposition collective Faire Faire, à Kaysersberg (2012). Déjà, elles partageaient des préoccupations communes pour la sculpture contemporaine, les pratiques d’ateliers [i], les dimensions matérielles de la production artistique (techniques, espaces et modes de production) et celles, plus immatérielles de la sculpture lorsqu’elle fait intervenir des phénomènes naturels ou qu’elle est éphémère, discrète, infime.

Avec Perspective résidentielle, Jade Tang passait plus de temps sur les terrains, en les photographiant et en recueillant des témoignages de celles et ceux qui y œuvrent tout en y habitant. De cette première collecte d’images, de sons et de dialogues, elle a observé la relation interdépendante qui s’instaure entre l’habitant·e [4] qui façonne son espace de vie et cet environnement existant qui influence sa façon de vivre.

Figure 2. Perspective_Résidentielle © Jade Tang, 2013

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La dimension habitée de ces chantiers lui a alors donné envie de rencontrer Jean Paul Filiod, dont elle a découvert les travaux sur le site internet de Leroy Merlin Source (LMS dans la suite du texte), organisme créé en 2005 et dont l’objectif est de constituer un « pôle de réflexion et de recherches sur les savoirs de l’habitat » [5]. Le site y publie des recherches, dont celle que Jean Paul Filiod a menée avec sa collègue Hélène Subrémon. Intitulée Histoires de projets. De l’intention à la réalisation d’un aménagement par des particuliers, elle rend compte de deux terrains ethnographiques menés en parallèle, avec pour objet le suivi de chantiers de rénovation domestique et un usage significatif des images, fixes comme animées (Filiod, Subrémon, 2013). Celles-ci jalonnent le parcours de Jean Paul Filiod, qui s’est intéressé, alors qu’il est associé à un laboratoire d’anthropologie, à la place de l’image dans la recherche dès ses premiers travaux sur l’espace domestique. Lecteur d’ouvrages sur les liens entre images et sciences sociales, il initie une étude sur « la place et les usages de la photographie dans le domaine ethnologique » que financera la Mission du patrimoine ethnologique (Filiod, 1998). À une publication issue de sa thèse de doctorat et portant sur le « désordre domestique » (Filiod, 2003) fera suite une recherche au long cours sur des résidences d’artistes en milieu scolaire. Ces travaux échelonnés sur plusieurs années laissent penser à la plasticienne qu’une rencontre est possible.

Après plusieurs mois d’échanges avec l’une et l’autre, Jade Tang propose, en 2016, de réunir cette possible équipe pour une journée de travail. Dans un atelier, pas dans un bureau. Ce sera un “labo”. La journée se veut sans ordre du jour ni enjeux définis. La salle, située au sein d’une friche artistique détruite depuis, propose plusieurs espaces de travail : deux tables, des murs couverts de bâches prêtes à recueillir toutes inscriptions spontanées, et aussi le sol. Parmi les objets à manipuler, des feutres, des feuilles, du scotch. Une photographie imprimée en grand format est accrochée sur une des cloisons, quelques amorces de pièces artistiques apparaissent, et l’intégralité des photographies de chantier prises par Jade Tang est imprimée au format 10 x 15 cm. Durant la journée, ces images sont brassées, triées, assemblées, jouées, juxtaposées. Au fil de discussions libres sur les images produites par la plasticienne, qui s’interroge sur leur statut (documents ? œuvres ? corpus d’images ? sources d’inspiration ?…), elles deviennent des supports vers l’émergence de potentielles catégories. Chacun·e des trois protagonistes oublie ses appartenances statutaires, professionnelles, culturelles, on discute de ce que ces images montrent et invitent à désigner et à décrire, sans conceptualisation préalable. Les manipulations successives questionnent la possibilité de regrouper ces images. Mais sur quels critères ? Qu’y voit-on qui permettrait de les associer ou de les distinguer en groupements thématiques concrets ou induits ? Y a-t-il des formes, des lumières, des outils, des matières ou des couleurs qui s’en dégagent et amèneraient vers des pistes significatives ? Ce premier rendez-vous a permis de mettre l’équipe au travail, en faisant, à partir de documents et d’un dispositif disponible pour une manipulation et une réflexion communes.

Figure 3. Labo 2016, manipulation des photographies.

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Figure 4. Labo 2016, deux œuvres et des dizaines d’images.

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Figure 5. Labo 2016, regard sur quelques groupements d’images.

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Figure 6. Labo 2016, annotations.

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Des échos de ce premier labo arriveront jusqu’à LMS, dont Jean Paul Filiod est l’un des « correspondants  » (universitaires et professionnel·es lié·es à l’habitat) depuis sa création en 2005. Depuis l’étude Histoires de projets (cf. supra), il est identifié, au sein du groupe Usages et façons d’habiter, comme s’intéressant à l’image, aux pratiques artistiques et aux analyses du faire-ensemble. Ainsi, après cette première journée fructueuse fut suggérée aux coordinateurs de cet organisme l’idée d’un projet d’étude sur les images de chantier ; il sera mis à l’essai lors des IVe Assises de l’Habitat Leroy Merlin (Paris, 20-21 juin 2017), biennale que LMS organise depuis 2011. Jade Tang y expose Perspective Résidentielle #4, dernière version de ce travail aux dispositifs évolutifs. Un espace de la Cité des sciences et de l’industrie, où se tiennent les Assises, est consacré à l’exposition, tandis que dans ce même lieu, un bureau réunit le trio pour prolonger la réflexion, tout en accueillant des personnes curieuses, invitées à parler de leurs expériences de chantier et à apporter quelques images.

Figure 7. Espace de travail collectif dans l’exposition Perspective Résidentielle #4

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À ce dispositif d’accueil et de présentation s’est ajouté un « atelier participatif », animé par l’équipe. Une vingtaine de personnes y ont participé, architectes, travailleuses sociales, ergothérapeutes, psychologues, chercheur·es, consultant·es… toutes concernées par des problématiques liées à l’habitat. Des images de chantier produites par des artistes (J. Tang, F. Schramm, E. Atget, R. Adams, G. Matta-Clark, M. Bonvicini, S. Couturier…), des architectes et des habitant·es ont été projetées sur écran. Un temps de travail en sous-groupes s’est alors engagé afin de faire émerger quelques réalités que ces participant·es trouvaient significatives lorsqu’on parle de chantier, qu’on en relate les expériences vécues ou subies. L’engouement suscité par la présentation des images, qui a apporté “une autre vision du chantier”, et la qualité des échanges avec les participant·es, ont enjoint à formuler un projet d’étude pour LMS dont l’orientation a été élaborée en suivant les perspectives amorcées depuis le labo initial jusqu’à l’issue de ces Assises.

Ce travail en “trio inter-” autour du chantier et de ses images s’est donc inscrit dans une dynamique nourrie autant d’explorations libres que de possibilités de rencontrer des pratiques, des questions, des problématiques vécues et pensées par d’autres. La pluralité disciplinaire ou/et professionnelle s’est donc étendue au-delà de celle portée par l’équipe ; des dimensions renouvelées du chantier et de l’image de chantier sont apparues.

 Construction de l’objet d’étude : des images de chantier prises par d’autres

Le titre initial du projet rédigé indiquait d’emblée l’orientation donnée à l’étude  : Saisir le chantier. Images et paroles d’acteurs de l’habitat, de l’art et de la recherche. À la recherche des significations portées par les images de chantier, notre [6] méthode s’est concentrée sur la collecte d’images de chantier, couplée au recueil des points de vue de leurs auteurs et autrices. Une partie des témoignages portait sur les images en elles-mêmes, qui servaient parallèlement d’appui aux récits des expériences de chantier. Il s’agissait de mettre à l’épreuve la pluralité de ces images et son étendue, à la recherche de significations particulières.

L’idée a donc été de solliciter des acteurs et actrices ayant un certain rapport au chantier, qu’il ait été vécu, travaillé au corps, réfléchi, interrogé, étudié. Pour cela, nous avons rencontré des personnes ayant pour point commun d’avoir pris elles-mêmes des images de leur espace en chantier. Nos interrogations portaient sur ce qui les motivait et sur les formes et figures récurrentes que l’on y trouvait.

Notre équipe s’est alors animée d’une double préoccupation :

– compiler un nombre conséquent de ces images, les rassembler sur une plateforme numérique (qui deviendra le site internet saisirlechantier.com dont nous parlons ci-après) et les indexer ;

– rencontrer les auteurs et autrices de ces images de chantier pour qu’elles expriment les raisons pour lesquelles elles les ont faites.

Appartenant nous-mêmes à des univers professionnels où de telles images existent, nous nous sommes interrogé·es sur ce qui motivait artistes et chercheur·es à prendre des images de chantier. Les habitant·es devaient évidemment être pris·es en compte, et les artisans [7] nous sont apparus tout aussi incontournables, leurs motivations pouvant être différentes.

Nous avons ainsi établi quatre catégories d’acteurs et actrices : habitant·es, artisans, chercheur·es, artistes. Nous les avons appelé·es acteurs et actrices pour valoriser l’action de ces personnes sur les lieux, générée par leur position vis-à-vis de l’habitat concerné. Volontairement, nous n’avons pas souhaité étendre cette catégorie aux architectes, qui, selon les profils, sont considéré·es dans la catégorie des artisans, des artistes ou encore des chercheur·es.

Au départ de cette enquête, c’est la question du « pourquoi » de ces images qui nous a amenée à envisager des catégories d’acteurs et actrices et à élaborer des hypothèses sur lesquelles nous appuyer pour l’analyse, selon une méthodologie de recherche impulsée par Jean Paul Filiod. Les apports de celui-ci sur les méthodes visuelles en sciences sociales, notamment la photo elicitation (Collier, 1967), nous ont amené à employer cette technique qui consiste à conduire les entretiens avec des photographies et d’autres visuels comme objets médiateurs de l’échange. Couplée à l’élaboration des hypothèses par catégorie, ce bagage méthodologique des sciences sociales a alors été fondamental au développement de la recherche.

Ainsi, nous avons construit quatre premières hypothèses générales sur les raisons pour lesquelles chaque catégorie d’acteurs et actrices prendrait a priori des images de chantier [8]. Par ailleurs, nous avons pris en compte le fait que, même si chacun·e peut être caractérisé·e par un statut social, une catégorie professionnelle, tous et toutes sont également des habitant·es. D’ailleurs, coïncidence ou non, chacun·e de nous a vécu un chantier pendant les deux ans que l’étude a duré. Comment, dans ces conditions, ne pas nous sentir conforté·es dans l’envie de comprendre ce que d’autres habitant·es ou d’autres personnes concernées par le chantier en disent, parce qu’elles l’auront, non seulement vécu, mais aussi pensé, réfléchi, étudié, projeté ? Et bien entendu, “comme tout le monde”, pendant ces chantiers, nous avons fait des images, sans forcément penser à l’étude, mais parce que “ça se fait”, dans un mouvement culturel de multiplication de prises de vue liée à l’usage croissant d’outils numériques permettant captures et diffusions dans des temps très courts. Comme l’analyse l’historien des cultures visuelles André Gunthert, « la numérisation, en réduisant la matérialité des images, leur confère une plasticité et une mobilité nouvelles. Sous l’espèce de fichiers faciles à copier ou à manipuler, l’objet iconique devient image fluide. » (Gunthert, 2014 : 31). Tou·tes les utilisent aussi pour communiquer, que ce soit pour parler de soi, exposer des savoir-faire, via des blogs, tutoriels et autres plateformes (pinterest, instagram, tumblr, etc.) ou pour échanger avec des proches. Ces activités numériques donnent ainsi à réfléchir aux formes de restitution choisies par certain·es pour rendre compte du chantier : l’image, par ses formes, signes et figures, peut ainsi devenir un moyen d’expression autre que celle passant par des mots.

Toutes ces raisons ont fait que, au-delà des hypothèses assignées à chacune des quatre catégories d’acteurs et actrices, nous en avons formulé une cinquième, centrée non plus sur les spécificités de la prise d’images par catégorie, mais sur les points communs pouvant exister entre les images produites, quel que soit le statut social ou la catégorie professionnelle des auteurs et autrices. Les images de chantier sont ainsi devenues parallèlement pour nous un répertoire de formes, de gestes et de traces de vies qu’il nous fallait explorer à partir des détails communs aux images. Ainsi, à la manière de Daniel Arasse qui s’intéresse, parmi d’autres détails, à la présence des mouches et à son sens dans les tableaux du XVe au XVIIe siècle (Arasse, 1992 : 117-126), nous avons observé la présence de mains et de pieds dans les images de chantier, celle d’enfants ou d’animaux domestiques, ou encore celle de bâches, de gravats, d’outils, d’escabeaux par exemple – autant de détails recensés dans la liste des mots-clefs du site internet saisirlechantier.com – pour faire émerger des traits communs et des éléments d’analyse du chantier, non plus des images de chantier.

Sans doute est-ce dans cette partie de la recherche que se sont matérialisées avec le plus de vigueur, à la fois les singularités de nos approches disciplinaires et professionnelles et la dimension “inter-” de nos réflexions.

 Collecter : l’étude sociologique et la création d’un site internet

Le travail de terrain : une modalité collective

Si l’élaboration d’hypothèses réparties selon les catégories d’acteurs et d’actrices répondait à une proposition méthodologique émanant de la sociologie, très vite toutefois, nous avons été impliqué·es dans une logique de l’inter-. Jamais il n’a été question de suivre une démarche pluridisciplinaire qui aurait supposé que le sociologue fasse les enquêtes et que l’historienne de l’art et la plasticienne prennent en charge l’analyse des images recueillies.

Dès lors que les images de chantier furent désignées comme le point de départ de l’étude, les entretiens à mener allaient donc tendre vers une modalité peu directive et pas nécessairement déterminée par une technique de construction du guide d’entretien maîtrisée par le seul sociologue, d’autant que l’historienne de l’art et la plasticienne sont familières, chacune à leur manière, d’une forme d’entretien.

Claire Kueny, qui mène également une activité de critique d’art, a rencontré à maintes reprises des artistes en vue de rédiger des textes sur leurs démarches. De même, ses recherches sont basées sur les recherches bibliographiques autant que sur des entretiens avec des artistes, chercheur·es ou professionnel·les de l’art.

Jade Tang, elle, mue du souci d’arpenter des chantiers domestiques, a glané sur ses terrains de recherches des informations à travers différents médiums, dont un enregistreur de sons. Rarement assise à une table avec ses interlocuteurs, elle mène ses entretiens à la volée au cours de visites de chantiers, entrecoupés de bruits de machines, ouvriers et habitant·es racontant et se confiant au gré des jours. Les données recueillies s’apparentent à ce que certain·es chercheur·es en sciences sociales font sur leurs terrains, comme l’ont initié les ethnologues en leur temps (et qui perdure).

Cependant, incité·es par l’envie de rencontrer des professionnel·les d’autres “mondes” que les nôtres, nous avons souhaité mener le plus souvent possible les entretiens en binôme. Le premier choix de « travailler ensemble » sans en avoir défini les contours nous a mené spontanément à instaurer des moments réguliers de dialogue, de partage de l’expérience d’entretien et de discussions sur les images collectées à l’issue de l’entretien. D’emblée, la place des images nous a paru cruciale. Avant chaque entretien, nous demandions aux personnes interviewées de rassembler leurs images de chantier et d’en faire une sélection si leur nombre était trop important. L’entretien venu, la personne présentait ses images (en album, imprimées en vrac, sur ordinateur, smartphone ou tablette) qui devenaient alors supports de discussion dans un climat plutôt détendu : avoir dans les mains, et sous les yeux, un support familier réalisé par soi-même, semble en effet permettre d’alléger le format parfois très officiel de l’entretien, voire, pour les habitant·es, de partager aisément une intimité engagée par le caractère quotidien habité du chantier.

L’usage de questions très concrètes et empiriques n’entraînait pas une forte exigence sur la formation en méthodologie. Nous avons plutôt manifesté un souci de l’échange, de l’explicitation, et favorisé une pratique de l’écoute, de l’attention aux autres et aux environnements, laissant le flot de paroles dérouler une histoire, laissant une image en appeler une autre. Bien sûr, il fallait parfois relancer une discussion ou pointer un sujet précis, et interroger de manière récurrente les motivations à l’origine de la prise d’une image. De même, le fait d’assurer parfois l’entretien à deux plutôt que seul·e permettait de relancer l’entretien en couvrant des questionnements qu’une personne seule aurait pu laisser de côté.

Le site internet : troubles chez le chercheur en sciences sociales

Avant même de débuter les entretiens, nous avons distingué deux modes d’existence des images :

– les premières étaient supports de dialogue avec les personnes interviewées ;

– les mêmes, augmentées des autres images collectées deviendraient des documents destinés à alimenter une banque de données iconiques de notre étude.

Cette réalité nous a conduit à envisager la création d’un outil nous permettant de collecter et d’avoir accès à ces images simultanément.

L’idée d’un site internet pour compiler des documents numériques a émergé très vite, alors que l’enquête suivait le rythme habituel et plutôt long des enquêtes en sociologie : prendre rendez-vous, passer l’entretien, transcrire, traiter…. Cette idée a été suggérée par Jade Tang. Son expérience du projet Perspective Résidentielle compilant plusieurs centaines de photographies réalisées sur divers chantiers domestiques, l’en avait convaincue. Et pour cause : les images existent dans les dossiers de deux disques durs externes, on peut les faire défiler les unes après les autres à l’écran d’ordinateur, mais il est impossible de les voir ensemble. Après avoir tenté de toutes les imprimer en noir-et-blanc sur papier A4, puis de les tirer en couleur au format “bandes de lecture” (6 x 9 cm), il fallait encore un grand mur ou une surface au sol conséquente pour en avoir une vue globale. Et quand bien même, avoir une vue d’ensemble nécessitait de prendre un tel recul qu’on ne pouvait plus rien lire dans les images. En outre, nous travaillions dans deux villes distinctes et, pour partager les images, Jade Tang imaginait déjà l’aventure des messageries électroniques et des plateformes numériques se profiler, avec l’embarras du stockage dans nos ordinateurs respectifs. Or, l’outil numérique qui permet de rassembler des images, de les voir ensemble et de contribuer respectivement à la collecte, c’est le site internet ; au moins cela pouvait-il figurer un support plus simple à utiliser.

Probablement par sa formation en arts appliqués, Jade Tang se chargea du dialogue avec un studio de graphisme (Zenner Issard) et un développeur (Gauthier Mesnil-Blanc). Très rapidement les modes d’existence du site internet se posèrent : devra-t-il être public ou non ? qui le modérera ? sera-t-il un outil de communication, et si oui, pour qui ?… Petit à petit se dessina un statut pour ce site, qui devint un support de recherche public, mais suscita pour les coordinateurs de LMS un certain scepticisme quant à la lisibilité et la prise en main « utilisateur » du site. Du parti pris graphique, que nous avons volontairement laissé libre aux concepteurs, se dégage une identité engagée, d’ailleurs reprise dans des expositions et leur communication, comme si l’étude-même avait une identité. Du fait de son caractère public, le site s’est toutefois d’emblée tourné vers des usagers extérieurs qui pouvaient tout autant le consulter que l’enrichir par des apports propres, quand bien même sa fonction de communication fut limitée, contrairement à son usage interne à l’équipe en tant qu’outil de recherche.

Nous nous affairions donc aussi bien à la création du site internet devenu un outil de travail pratique et nécessaire à faire avancer la réflexion, qu’à côtoyer des acteurs et actrices au cours de nos enquêtes de terrain. Surtout, nous pouvions prendre du recul grâce à la manipulation d’images via le site. Celui-ci nous a permis d’envisager autrement la relation entre penser et faire : « on aurait tort de croire que le [théoricien] ne fait que penser tandis que le [praticien] ne fait qu’agir : en vérité, l’un fait en pensant tandis que l’autre pense en agissant. Le théoricien pense et applique ensuite ses manières de penser à la substance matérielle du monde. Par contraste, le praticien cherche à laisser la connaissance croître à la faveur d’une observation et d’un engagement pratique auprès des êtres et des choses qui l’entourent. Cette pratique est ce que j’appelle l’art de l’enquête. » (Ingold, 2018 [2013] : 31) Si l’on considère cet art de l’enquête et ses modalités du faire, alors l’ensemble de nos outils et de nos données, aussi bien analogiques qu’en ligne, pourrait constituer notre art de l’enquête pour saisir le chantier. Mais cela ne va pas sans quelques turpitudes.

En effet, au moment de l’élaboration du site, ces jeux de frontières et temporalités entremêlées ont révélé nos habitudes professionnelles. Pendant que Jade Tang proposait de “pratiquer” les matériaux d’enquête par le site, Jean Paul Filiod était moins à l’aise quant à la mise en route du site et sa conception, tout en tentant d’y rester investi. Faisant part de ce trouble à ses deux collègues, il tenta de l’analyser et en vint à ce constat : en sociologie et dans les sciences sociales (au moins), en général, les sites sont créés une fois les recherches achevées ou quasiment, une fois les résultats connus. Les savoirs sont diffusés à leur aboutissement et liés à une certaine manière de voir et de montrer la science : une logique linéaire qui mène souvent à ne communiquer, surtout si c’est une mise en images ou en scène, que lorsque les résultats sont tangibles.

Pour notre “trio inter-”, ce site internet agissait donc non seulement comme un support pour montrer le travail en train de se faire, mais aussi pour trier des images, les regarder, les mettre côte-à-côte via un système de mots-clefs, les comparer, nommer ce qu’on y voit, ce qu’on sait des images, ce qu’on en retient. En somme, les analyser, dans ce double mouvement qui nous permettait de faire en pensant et de penser en agissant. C’est le chantier de la recherche elle-même en plein travail, et dont la nature mouvante est visible et sensible en ligne, notamment grâce au choix structurels et graphiques qui a été mis en œuvre, et partagé publiquement.

Figure 8. Site internet, affichage aléatoire en plein écran.

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Figure 9. Site internet, mot-clef “charpente” sélectionné.

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D’avance nous savions que l’usage des mots-clefs nous aiderait à distinguer ou rassembler des images, sans pour autant figer un agencement. Avant de les manipuler, elles s’affichent sur la page d’accueil du site, construit sans arborescence, dans un mode aléatoire. Puis, pour voir les images de plus près, on module les affichages selon les mots-clefs que l’on souhaite additionner ou soustraire à loisir. Par moments, cela devenait presque un jeu. Au fur et à mesure de l’étude, chaque membre de l’équipe se familiarisait avec le support et y ajoutait des images épinglées de mots-clefs désignant ce qu’on y voit et ce que l’on sait d’elles à partir des commentaires recueillis en entretien ou d’échanges de mail avec des contributeurs et contributrices. Au sein de l’équipe, nous nous fixions la consigne d’attribuer, chacun·e de notre côté, des mots-clefs, tout en ré-utilisant ceux déjà créés. La plasticienne et l’historienne de l’art s’y engageront plus vite et plus souvent que le sociologue, un peu déboussolé par ce nouvel ordre des choses. Il fallut bien des mois pour se faire à cette nouvelle manière de travailler : envisager qu’un support traverse toute la durée de la recherche, y compris au-delà de son terme, puisque le site est aujourd’hui encore mouvant et continue d’être alimenté par nos soins.

Des « motifs » en question

Au bout de six mois d’usage, le bandeau supérieur alignant les mots-clefs avait envahi la page d’accueil. Nous décidions de faire un point. Un labo devint propice pour une phase d’harmonisation presque à mi-étude. Il faut donc s’ajuster continuellement à ce que nous produisons sur le site. Tout comme l’usage du site nous a obligé à rénover notre analyse. Par exemple, dans la multitude de mots-clefs, nous avons parfois utilisé deux termes différents pour une idée similaire. « Mais alors pourquoi ce mot plutôt que l’autre ? On les fusionne ? Peut-être, mais alors avec quel autre ou quels autres mots ?… ». Ainsi le mot “preuve” a remplacé “litige”, doté d’un sens juridique inapproprié en regard des images concernées.

La recherche s’est donc développée dans un ballet incessant entre un questionnement sur les mots-clefs (réalisé en même temps que les transcriptions d’entretiens) et les catégories d’analyse qui émergeaient petit à petit au cours de l’enquête, les images jouant un rôle permanent d’opérateurs des discussions, des décisions et des orientations données à la recherche. Cela nous a amené à interroger un mot dont le double sens seyait bien à ce que nous faisions : le mot motif. La polysémie du terme “motif”, qui dit la raison (pour laquelle les gens prennent ces images) comme la figure (la forme, le sujet, un détail, présent dans les images), illustre bien ce croisement permanent et dynamique entre la parole et l’image, le langage et la représentation. C’est cette démarche qui a prévalu dès le premier labo, les significations des images de chantier ayant été dégagées, analysées, discutées sans séparer, d’un côté, la rationalité des acteurs et actrices (le motif comme raison) et, de l’autre, l’esthétique des images (le motif comme figure). Motifs-raisons et motifs-figures se sont entrelacés, ce dont rendent compte la coexistence et l’évolution parallèle du site internet et de l’analyse des données obtenues par entretiens. Ils continuent de s’entrelacer et d’être réinterrogés dans les occasions qui nous ont été données de restituer cette recherche, dans différents contextes : articles scientifiques, expositions, rencontres avec un public. Mais, quelle place les images ont-elles pris dans ces contextes et comment les avons-nous traitées (la manière dont elles sont exposées, la reconnaissance de leur auteur ou autrice, nommée ou restant anonyme…) ? Quelles positions et mouvements cela implique-t-il pour les membres de l’équipe ?

 Exposer la recherche : les images dans différents contextes de restitution

Pour répondre à ces questions, nous nous appuyons sur l’exposition Chantiers domestiques, réalisée au Syndicat Potentiel à Strasbourg, du 28 septembre au 19 octobre 2019, dans le cadre des Journées européennes de l’architecture.

Cette exposition présentait des données et des résultats de Saisir le chantier par l’image, afin de montrer quelques éléments représentatifs de ce que serait un chantier domestique, sujet plutôt marginalisé dans les disciplines respectives des trois chercheur·es de l’équipe [9]. Aussi avons-nous fait le choix de montrer – dans un lieu d’art, qui plus est – seulement des images collectées dans le cadre de l’étude Saisir le chantier par l’image.

Outre le fait d’avoir sélectionné et exposé des images qui n’étaient pas les nôtres, celles-ci n’avaient, pour aucune d’entre elles, le statut d’« œuvre », y compris lorsqu’elles ont été réalisées par des artistes : dans ce cas-ci, elles avaient en effet valeur de “document”, d’où le terme “données” utilisé plus haut, pour dire ce qui est connu, admis et qui sert de base à un raisonnement. Ce premier constat nous a amené à nous poser la question de comment publiciser une image dont la vocation originelle est d’être confidentielle et à nous interroger sur la pertinence du format d’exposition, notamment car le site internet permet de voir toutes ces images depuis chez soi. Des questions techniques se sont ajoutées : les images nous ayant été adressées au format numérique “jpg”, quel format et quels supports choisir pour les rendre visibles dans une exposition ? Fallait-il les imprimer, les projeter dans l’espace, les consulter sur un ordinateur, ou proposer simultanément plusieurs de ces modalités ? S’agissant d’impression, sous quel format, sur quel papier serait-ce le plus judicieux, et ce afin de mettre en évidence ce que nous avions repéré sur les images (qu’il s’agisse de détails, d’esthétiques particulières, de motifs…) sans pour autant figer voire attribuer aux images, un statut d’œuvre d’art ?

Sans jamais hiérarchiser les images, nous avons fait le choix de varier leurs tailles et leurs supports : impressions dos bleus, ou noir et blanc sur papier jaune, ou affiche à emporter avec soi ; images projetées, ou publiées dans une micro-édition, ou à consulter, comme en famille, au format argentique 10 x 15 ; déambulation en ligne sur le site retransmise en direct dans l’espace. Certaines images étaient à regarder face à soi, soit au mur, soit marouflées à la surface d’un mur ou sur des panneaux OSB [10]. D’autres étaient à manipuler et à faire défiler devant soi, sous la forme de livret ou, tout simplement, dans des boîtes de photos. Cela essentiellement pour engager le spectateur à travers différentes postures et donc différents regards.

Figure 10. Vue de l’exposition Chantiers Domestiques, images de “chantiers quotidiens”

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Figure 11. Vue de l’exposition Chantiers Domestiques, visiteur regardant les photographies argentiques « dès le plus jeune âge » sur fond du site internet vidéo-projeté en direct.

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Figure 12. Visiteur regardant l’édition de « Wiki au chantier » (chienne de l’une des familles)

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Figure 13. Vue de l’exposition Chantiers domestiques, « sculptures de chantier »

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Figure 14. Vue de l’exposition Chantiers domestiques, « une pièce en plus »

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Nous nous sommes longtemps interrogé·es sur les critères justifiant de mettre en avant une image plutôt qu’une autre. Aussi, nous avons fait le choix de nous concentrer sur des “images-limites”, qui dessinent les contours de ce que serait un chantier domestique. Nous avons voulu montrer les images qui ont suscité des débats, qui nous ont surprises, ou au contraire, celles qui confortaient nos représentations du chantier domestique. Les images choisies avaient pour objectifs de montrer que le chantier s’inscrit dans un quotidien, que l’acte d’habiter ne s’interrompt pas sous prétexte que l’habitat est en train de se transformer ; que faire la vaisselle après avoir nourri l’équipe de chantier fait partie des tâches du chantier ; que le chien qui passe et qui s’entend souvent dire Pousse-toi de là, fait partie du chantier, comme ses empreintes poussiéreuses qu’il laisse après avoir déambulé dans une zone pourtant délimitée et interdite aux visiteurs le temps des travaux ; que l’enfant que l’on allaite ou que l’on baigne dans l’évier de la cuisine parce que la salle de bains n’est pas finie est un acteur important du chantier. Les images choisies avaient aussi pour objectif de souligner que le chantier domestique ne se limite pas à la maison, mais s’étend également au jardin, presque toujours utilisé comme un espace de stockage, voire de travaux. On y entrepose les matériaux de construction, ainsi que ceux que l’on a retirés de l’espace en transformation, comme les gravats. C’est aussi l’endroit où s’empilent les outils (brouette, étais, bétonnière, tréteaux…). On ne peut parfois presque plus y circuler. Véritable atelier, on y fait des travaux salissants, poussiéreux : découpes de bois, béton… Ainsi marqué par ces encombrements, le jardin est lui aussi dévisagé durant le chantier. Enfin, avec les images de “sculptures de chantier”, nous avons voulu montrer qu’il ne revenait pas qu’à l’artiste de savoir regarder attentivement son environnement et reconnaître la valeur esthétique indéniable du chantier, sous une certaine lumière, dans certains agencements. C’est donc en pensant différents espaces, mettant en évidence chacune de ces thématiques, que nous avons construit l’exposition. Il n’était plus question qu’apparaissent ni nos disciplines / métiers / points de vue, ni celles/ceux des auteurs et autrices des images, mais bien de présenter l’objet d’étude dans ce que les différents regards pointent de commun.

Là où, en revanche, les spécificités disciplinaires/professionnelles ont en quelque sorte pris le dessus, c’est dans la mise en œuvre plastique de l’exposition. L’artiste a non seulement largement orienté les réflexions sur le choix des formats et des supports d’impression des images, mais surtout pris en charge la réalisation graphique de la communication, conseillé les imprimeurs et autres professionnels techniques et assuré l’essentiel du montage et du démontage de l’exposition. L’historienne de l’art a, quant à elle, pris en charge l’écriture des éléments de communication et été aux côtés de l’artiste dans les décisions formelles et graphiques de même qu’au moment de l’accrochage (pour participer aux choix scénographiques comme pour accrocher ou fabriquer des socles), quand le sociologue a été un peu moins présent dans le temps du montage.

La durée de l’exposition a cependant permis d’envisager une présence coordonnée sur les lieux, les trois membres de l’équipe ayant été présents ensemble, notamment pour la table ronde prévue pour accompagner le moment du vernissage. Ainsi, si les spécificités de chacun·e ont été bien activées, il était hors de question que le sociologue ne vienne que pour le temps de la table ronde, enfermé dans une spécificité d’”universitaire”, d’”intellectuel” ou d’orateur [11]. Se rendre compte de ce qu’il faut faire pour monter une exposition faisant partie du jeu, il lui a donc bien fallu, durant ses quatre jours de présence en amont de l’événement, passer à la papeterie et transporter des kilos de fournitures dans la valise à roulettes qui servit pour son voyage, grimper avec le responsable du lieu pour disposer un videoprojecteur en hauteur, reprendre la même échelle pour tenir la grande image marouflée avec soin par la plasticienne assistée de l’historienne de l’art.

Figure 15. Montage à six mains de l’exposition Chantiers domestiques.

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De manière symétrique, la plasticienne s’est trouvée elle aussi poussée dans ses retranchements lors de la rédaction d’articles, et fut entraînée par le sociologue et l’historienne de l’art dans cet exercice. Si l’écriture n’est pas étrangère à ses pratiques professionnelles, la question se posait pour elle du style de l’écriture, du ton, des règles universitaires. Bien que variables, voire très variables d’une revue à l’autre, cela correspondait à une pratique de l’écriture plus lointaine par rapport à celle enseignée en école d’art. Dans ses travaux, elle pratique plutôt une écriture d’observation du quotidien, habitée par ses doutes et ses réflexions en lien avec sa pratique du moment ; une écriture intime, au sens où celle-ci est spontanée et non envisagée comme une publication universitaire ; une écriture qui n’a pas besoin d’expliquer et de démontrer, quand bien même elle comprend une dimension réflexive et théorique [12]. Toutefois, alors que la recherche co-laborative était dans sa dernière phase, Jade Tang a intégré, pour l’année universitaire 2019-2020, le Master en arts politiques (SPEAP) fondé par le sociologue et philosophe Bruno Latour au sein de l’Institut d’études politiques de Paris. Cela montrait bien sa volonté de penser autant que faire, et vice versa, et d’éprouver le sens des « œuvres-enquêtes », en s’accompagnant d’un bagage théorique original et adapté aux questions posées par l’actualité. Il reste que, malgré cela, la plasticienne et le sociologue se trouvaient grosso modo chacun·e à un des deux pôles, l’historienne de l’art était plus familière des deux formes auxquelles l’équipe était confrontée : l’exposition artistique et l’article scientifique. Ce n’est pas si étonnant car la recherche en art, et c’est peut-être une de ses particularités, permet d’envisager d’autres formes d’exposition de la recherche que l’article scientifique : l’exposition y est une activité de restitution de la recherche à part entière.

L’équipe était donc soumise à des régulations, le plus souvent imperceptibles, mais jamais exclues des discussions entre ses membres, conscient·es de l’importance de la réflexivité collective dans un tel contexte de recherche. La densité heuristique générée par le travail avec les images a accompagné avec bonheur cette modalité du travail en inter-, favorisée par une continuité du rapport entre images et textes-paroles, langage verbal et non verbal, qui a guidé cette recherche.

 Conclusion

Au terme de la présentation de ce parcours et des analyses auxquelles il nous a invité, nous proposons de revenir sur le sens de ce travail en commun, fortement défini par la présence d’images et par leurs manières d’exister et de circuler.

L’usage que nous avons déjà fait du mot « co-laboration » (cf. supra) renvoie à la nécessité de ne pas assimiler le travail présenté ici à la mode du “collaboratif”, ce « champ de pratiques » très diverses (marché de l’occasion, mise en commun de connaissances, échange de compétences, covoiturage…), entre « économie du partage » et « économie de la fonctionnalité », et pouvant « se situer dans le monde associatif et solidaire comme dans le domaine marchand » (Béja, 2015 : 6). Lorsqu’une équipe de recherche se constitue à partir de positions différentes (discipline, profession…), le mot collaboratif vient à l’esprit, et sans doute encore plus à notre époque lorsque le numérique sert d’interface. Le fait de (re)scinder le verbe co-laborer veut insister sur le laborer, écho au labeur, voire au laborieux, qui renvoie à une chose à la fois concrète et difficile, liée à la nature-même du faire-ensemble : accepter les discussions, les controverses, s’engager dans la réflexivité collective quoi qu’il advienne, faire des choix ensemble, assumer une position « compositionniste » : « Le monde commun est à composer, tout est là. Il n’est pas déjà là enfoui dans une nature, dans un universel, dissimulé sous les voiles chiffonnés des idéologies et des croyances et qu’il suffirait d’écarter pour que l’accord se fasse. Il est à faire, il est à créer, il est à instaurer. » (Latour, 2011 : 40).

Dans cet article, nous avons insisté sur la continuité de la réflexivité collective, nécessaire pour mieux comprendre les raisons des développements de la recherche et les connaissances qui en résultent. Tout au long de ce parcours, les images ont joué un rôle central, et comme nous l’avons montré, elles ont constamment été mobiles, confrontées aux textes, aux paroles, et bien entendu entre elles, déplacées aussi dans leur statut (confidentielle, publique, documentaire, artistique…). Cette logique d’entrelacement des supports et des composantes de la recherche s’est manifestée tout au long de celle-ci, mais avec des densités différentes selon le contexte et l’étape du travail (collecte, analyse, écriture finale, restitutions diverses).

Quoi qu’il en soit, nous nous sommes pris au jeu du faire et des flux qui l’entraînent, et ce, grâce aux images, le présent article témoignant de notre souci que les images ne soient jamais vraiment considérées comme des objets finis. La nature de cette recherche et son cheminement ont en effet évité que « le processus de production » soit « comme englouti par l’objet fabriqué » et « le processus de vision, par les images regardées » (Ingold, 2018 [2013] : 33). Images, textes, paroles semblent avoir été tissées, voire à certains moments métissées, de même pour les spécialités et spécificités des membres de l’équipe. De toute évidence, les images ont été l’élément moteur de toutes ces composantes de la recherche et de ses mouvements.

Cette expérience de co-laboration interroge par ailleurs la logique, assez commune en milieu universitaire, qui consiste à caractériser ce genre de travaux d’“interdisciplinaires”.

Toute co-laboration interroge sur le degré de rapprochement des pratiques engagées, ses formes étant prises entre deux bornes : la juxtaposition et la dilution. Dans le premier cas, la production est parallèle et mise en commun à terme ; dans le second, elle existe dès le début, faisant disparaître les éléments initiaux qui la composent. Les préfixes pluri- et trans- résument ces deux formes de travail en commun. Nous avons à plusieurs reprises utilisé le préfixe inter-, car il présente l’avantage de toujours penser, plutôt que les identités des sujets en présence (chercheur·es, disciplines, professions…), ce qu’il y a “entre” eux : à savoir des objets, et en l’occurrence, des images. La manière dont I. Stengers définit la « transdiscipline » (cf. supra, introduction) peut convenir, mais le préfixe trans- peut donner cette impression de dilution des disciplines dans un objet commun circonstanciel qui évolue sans qu’on le maîtrise vraiment. Sans compter que ce même préfixe suggère une traversée sans escale, sans occasion de vraiment se poser, arrêter, réfléchir, traiter les problèmes. Or, c’est parce qu’il y a de l’inter- qu’on peut le faire, cet inter- devant être pensé, non en lien avec la logique disciplinaire, mais selon les objets, méthodes ou paradigmes mis en commun [13]. Les concepts d’« interobjectivité » (Latour, 1994) et d’« interméthodologie » (Bourdon, 2011 : 166 sq.) semblent ainsi plus adaptés pour définir ce que nous avons fait avec les images, au carrefour des arts et des sciences.

Une autre question se pose de savoir si le mouvement de recherche qui nous guide, et ce, d’autant plus suite à la dernière exposition à laquelle notre équipe a été conviée [14], a une parenté avec le courant récent de la « recherche-création » évoqué en introduction de ce texte. Sans pouvoir dire précisément si cette parenté est lointaine ou non, nous n’avons cependant jamais assimilé consciemment ce mouvement à notre travail collectif. Si la composition de notre équipe relève plutôt de circonstances heureuses, nous avons surtout souhaité développer une conscience intellectuelle de ce qui se jouait au fil du parcours, sans que l’idée de créer, au sens artistique le plus fort, soit l’objectif premier. Ainsi la logique documentaire qui a présidé aux échanges du premier labo présenté en début d’article a évolué vers une pensée en pratique dont les mouvements essaiment jusque dans les travaux actuels de chacun·e d’entre nous [15]. Dans ce travail mené depuis cinq années maintenant, chaque format de valorisation nous pousse à repenser nos moyens d’action pour progresser dans notre recherche, négocier des détails, requestionner nos méthodes passées, envisager quelques futures, les confronter à d’autres élans scientifiques, artistiques et culturels, en continuant d’interroger ce qui arrive par et depuis le milieu (Manning, Massumi, 2018 [2014] : 8).

 Bibliographie

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Notes

[1] Le terme d’images prévaut sur tout l’article. Même si le corpus d’images de l’étude contient majoritairement des photographies, il compte aussi d’autres images fixes (dessins, schémas, plans, annotations), des vidéos et parfois des montages photographiques (exemple : “avant / après” ou une page de site présentant une association de photographies).

[2] Dans la suite du texte, les « chantiers de rénovation domestique » seront simplement appelés « chantiers ».

[3] Le même verbe indique à la fois une préhension (saisir en étant proche de l’objet) et une visée de compréhension (saisir en se mettant à distance de ce même objet).

[i] Pratiques d’ateliers est aussi le nom d’un cycle de rencontres organisé par Claire Kueny en 2018 sur invitation de l’atelier collectif Panpan, à Pantin, dont Jade Tang était co-fondatrice et résidente. En invitant des artistes aux pratiques d’ateliers variées, il était question d’interroger les différentes manières de “faire à l’atelier” (quels outils, quelles co-laborations…) et de “faire atelier” (bureau d’étude, artist run spaces, studio…).

[4] Nous utilisons l’écriture inclusive sans préjuger de l’éventuel rapport entre une majorité et une minorité. En faire usage nous semble important, afin de souligner la réalité de la mixité, par exemple pour les habitant·e·s. De même, nous utiliserons la règle de proximité qui dicte d’accorder l’adjectif avec le nom le plus proche.

[5]  https://www.leroymerlinsource.fr/qu…

[6] Le passage au nous à ce moment de l’article relève autant de la commodité que de la nécessité de parler en tant qu’équipe à la première personne. Les développements qui suivent montreront comment cette équipe a œuvré ensemble, tout en précisant, quand nécessaire, les spécificités disciplinaires ou professionnelles de chaque membre de l’équipe.

[7] Les artisanes, absentes dans notre étude, restent plutôt rares dans le monde des professionnel·les de l’habitat. C’est pourquoi nous n’utilisons que le masculin pour les désigner dans le présent texte.

[8] L’hypothèse concernant les chercheur·es a été de penser qu’ils et elles produisaient des images de chantier pour documenter leur recherche.

Du côté des artistes et de celles et ceux qui en analysent le travail, nous ne sommes pas loin de la motivation supposée des chercheur·es. Certain·es artistes s’emparent assez tôt des images pour en faire des analyses comparées. Néanmoins, la différence entre chercheur·es et artistes porte sans doute sur le fait que les chercheur·es en tirent une interprétation scientifique, quand les artistes s’en serviraient pour conceptualiser une démarche.

L’hypothèse concernant les artisans était qu’ils faisaient des images de chantier dans un but technique (pour le suivi matériel des travaux et les éventuels détails) et dans un but de communication (valoriser un travail réalisé via un site internet, montrer des exemples à de potentiels clients pour les aider à se projeter, etc.). Enfin, l’hypothèse pour les habitant·es était centrée sur l’idée qu’ils et elles prenaient des images de chantier pour en garder la mémoire, sur le plan matériel et technique (les étapes) comme sur le plan affectif (les souvenirs). Pour un approfondissement sur ces quatre hypothèses, voir Filiod et al., 2020.

[9] Les arts plastiques ont en effet privilégié le chantier urbain, laissant de côté l’acte d’habiter, tandis que les sciences humaines ont traité de manière subsidiaire le temps du chantier dans l’acte d’habiter.

[10] Ces panneaux, utilisés pour la construction et pour la décoration, sont composés de couches de lamelles de bois collées et compressées.

[11] À ce propos, la question de la prise de parole en public n’a pas fait l’objet de questionnements particuliers, chacun·e ayant été conduit·e à le faire par le passé.

[12] L’alignement des écoles d’art sur le système LMD dans la lignée de la Déclaration de Bologne de 1999 sur l’harmonisation des systèmes de l’enseignement supérieur au sein de l’Union Européenne a toutefois modifié les exigences à l’égard des pratiques d’écriture dans la formation des artistes et attendent peut-être davantage de justifications scientifiques et universitaires, et ce, même si les pratiques d’écriture restent relativement libres selon les écoles.

[13] Ce constat est fait dans d’autres champs disciplinaires, comme le droit, où certains font le « constat que des disciplines distinctes partagent souvent un même paradigme (empirique, herméneutique, fonctionnaliste, etc.) » et ainsi « qu’il y a parfois plus de proximité entre deux disciplines distinctes partageant un même paradigme qu’entre deux écoles paradigmatiques opposées au sein d’une même discipline. » (Bailleux, Ost, 2013 : 44)

[14] À l’invitation de la Galerie municipale Jean Collet, Centre d’art contemporain de Vitry-sur-Seine, notre équipe a participé à l’exposition Le chantier#1 : La construction du champ. (28 mai – 17 octobre 2021). Sur la base de travaux de Jade Tang sur le thème du chantier, au-delà de l’étude conduite par notre équipe, des extraits de celle-ci ont été intégrés, l’ensemble étant mis en dialogue avec le travail d’un artiste centré sur une œuvre de Spinoza et celui d’un anthropologue à partir de son doctorat sur l’habitat écologique au Mali.

[15] À titre d’exemples, Jade Tang travaille à la création d’un site web qu’elle envisage comme œuvre, quand Jean Paul Filiod se trouve engagé dans la réalisation d’un site web prolongeant une recherche sur l’éducation musicale en milieu scolaire, tandis que Claire Kueny engage de nouvelles approches de l’image dans le cadre de son enseignement de l’histoire de l’art.

Pour citer l'article


Filiod Jean-Paul, Kueny Claire, Tang Jade, « Dynamique des images et mouvements de la recherche. L’exemple des chantiers de rénovation domestique », dans revue ¿ Interrogations ?, N°34. Suivre l’image et ses multiples états dans les collaborations arts/sciences, juin 2022 [en ligne], http://www.revue-interrogations.org/Dynamique-des-images-et-mouvements (Consulté le 28 mars 2024).



ISSN électronique : 1778-3747

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