De Coninck Frédéric, Guillot Caroline
La sociologie classique a abordé l’étude du temps à travers une vision prioritairement holiste. Le temps industriel uniforme a laissé la place à des temps plus flexibles, moins synchronisés et donc plus individualisés. Cela dit, même si le temps semble être moins préformé qu’avant, on continue à penser que la société guide les comportements des individus dans leur rapport au temps. La production flexible engendrerait l’homme flexible et le téléphone portable l’homme improvisateur. Pourtant les enquêtes qualitatives montrent que les individus et les familles effectuent un important travail sur le temps. L’usage du temps est, en fait, devenu un bon objet pour dessiner les contours de l’individualité sociale dans la conjoncture historique actuelle. Les individus résistent à l’injonction de la flexibilité, de la rentabilisation et de l’improvisation permanente et tentent de regagner des marges d’action en échappant ainsi au simple holisme. Ils adoptent des attitudes face au temps qui ne se réduisent pas aux contraintes qu’ils vivent à un moment donné. On observe, notamment, des formes d’éthique du temps qui structurent le comportement des individus sur le moyen terme et qui résistent aux contextes de court terme.
Mots-clés : individualisation, désynchronisation, organisation du temps, rapport au temps.
Traditional sociology has approached time questions mainly through a holist vision. Uniform industrial time has left the place to a more flexible, less synchronized and thus more individualized time. However, even if time seems less preformed than before, one continues to think that employers’ logic still guides individuals’ way to manage time. The flexible production would generate the flexible man and the portable telephone the improviser. However the qualitative investigations show that the individuals and the families carry out an important work over time. The use of time has, in fact, become a good object to draw contours of social individuality in the current historical economic situation. The individuals resist the injunction of flexibility and try to regain agency while thus escaping the simple holism. They adopt attitudes vis-à-vis the time which is not reduced to the constraints that they live at a given time. One observes, in particular, forms of ethics of time which structures the behaviour of the individuals on medium term and who resist the contexts of short term.
Keywords : individualisation, de-synchronisation, organisation of time, time management.
Si l’on parle d’individu ou d’individualisation il faut dire d’emblée qu’en sociologie classique l’analyse du temps est plutôt l’occasion de développer des considérations holistes. Les sociologues ou les anthropologues relèvent, dans les sociétés traditionnelles ou dans les sociétés pré-modernes tout ce qui relève du temps rituel, des fêtes religieuses, ou des rythmes sociaux. Ils sont attentifs aux grands moments de ferveur collective qui surviennent à intervalles réguliers, aux temps marqués par le calendrier. Le temps pour eux, est d’abord le temps des grands rendez-vous sociaux qui marquent l’appartenance sans faille de l’individu au corps social. Mais l’analyse de la société industrielle n’est pas en reste, en matière de holisme. Le temps de l’horloge se substitue au temps rituel mais la société dicte toujours son temps à l’individu. La vie quotidienne est structurée, mise en forme, traversée par le temps de l’horloge, par la discipline d’usine, par l’exigence de ponctualité.
Dans les années 70, après plusieurs décennies d’exode rural intensif, la sociologie française décrit une société où l’usine dicte son rythme à la vie [1]. La société dite « fordienne » construit le temps « fordien », temps rigide, avec ses heures de pointe, au moment où tout le monde se rend au travail de concert. C’est le temps de la rythmicité, de la synchronisation progressive du travail, le temps uniforme et borné des horaires prévisibles et réguliers [2]. La figure des usines Renault qui ferment pendant le mois d’août, obligeant tous les salariés à cesser le travail au même moment, domine l’horizon. La régularité et la généralité du temps de travail semblent alors avoir rangé définitivement la question du temps du côté du holisme. Les temps hors-travail emboîtent pense-t-on alors, le pas au temps de travail. Il est vrai que la période fordienne a correspondu à une forte division du travail domestique et à des activités de loisir peu développées qui se déroulaient pour l’essentiel à proximité du domicile dans les trous laissés par le travail et l’autoproduction domestique [3].
A partir de la fin des années 70 le contexte change. Le temps social s’émiette et se fragmente peu à peu. Le temps fordien se confronte à des nouveaux temps sans borne, sans mesure et moins prévisibles. On parle de désynchronisation des calendriers et des horaires quotidiens, ainsi que de « l’éclatement des temporalités vécues » [4]. Le holisme fordien n’est plus dominant mais la consistance des individus dans leur rapport au temps n’est, pour autant, pas toujours mise en avant. On continue implicitement à supposer que les individus endossent pour eux-mêmes les formes du temps macro-social.
Le changement de conjoncture économique, au milieu des années 70, conduit progressivement à la flexibilisation du temps de travail. On emploiera couramment le mot de flexibilité du temps à partir des années 80. Les contrats de travail précaires se multiplient de même que les horaires décalés, ou encore les horaires de nuit et de week-end. Pour coller de plus près à la demande des clients les entreprises de service modulent leurs horaires d’ouverture. Les supermarchés font varier d’heure en heure leurs effectifs de caissières. Les entreprises industrielles cherchent à rentabiliser leurs investissements et elles étendent, pour ce faire, leurs horaires de travail. Le travail en équipe se développe. Le temps partiel explose, lui aussi, à partir du début des années 80. Dans la plupart des grandes villes on remarque que les pointes se sont considérablement étalées. Il y a, manifestement, un émiettement des temporalités individuelles qui rend de moins en moins prévisibles les rythmes collectifs. Pendant ce temps les horaires familiaux se sont considérablement complexifiés. L’activité professionnelle des femmes échappe à la sphère domestique à partir du milieu des années 60. L’entrée des femmes dans le salariat conjuguée au décalage des horaires de travail conduit à une désynchronisation des horaires au sein de la famille. La famille connaît la fragmentation des temps sociaux et doit s’adapter aux divers rythmes personnels de ses membres. Les rythmes sociaux se diversifient et le temps de travail, même s’il garde son importance, devient un temps parmi d’autres. De nombreuses ruptures temporelles opposent non pas seulement le temps de travail au temps hors travail mais un ensemble de rythmes diversifiés et fractionnés.
Ensuite la diffusion du téléphone portable à partir du milieu des années 90 et le développement de la mobilité de travail comme de loisir font émerger une nouvelle figure : celle de l’homme flexible qui passe son temps à jongler d’une activité à l’autre, d’un événement à l’autre. Cet homme sans attaches semble improviser en permanence, en reprogrammant sans cesse sa journée. Le téléphone portable permet de laisser ouvertes des décisions jusqu’à la dernière minute, c’est-à-dire de vivre des plages de temps comme un flux d’événements géré en temps réel, et donc d’improviser. A l’opposé de la figure du temps fordien on se retrouve face à la figure d’un individu pour lequel le temps n’a plus de consistance [5].
Dans cette ligne de pensée on suppose que les individus ne font que refléter les grandes mutations sociales : le temps flexible du travail aurait produit mécaniquement des individus flexibles ; l’optimisation économique se serait répercutée sur le temps personnel qui serait optimisé en permanence ; les outils de télécommunication et les moyens de transport auraient produit des individus versatiles et improvisateurs. Dans toutes ces figures l’individu n’a pas vraiment de capacité d’action : il se borne à répercuter les transformations macro-sociales.
Pourtant lorsque l’on fait des enquêtes de terrain sur l’usage du temps on recueille des discours qui contredisent largement une telle passivité. Les individus parlent de leur rapport au temps avec une force et un engagement personnel qui ne peuvent manquer d’impressionner. Il s’agit d’une affirmation, souvent lourdement chargée d’émotion, sur la manière dont il convient de se tenir dans le temps, de l’habiter et de le travailler, afin de se reconnaître et de se sentir soi-même, d’être à l’aise dans le temps. Telle personne arrive 5 minutes en avance par rapport au rendez-vous fixé pour l’entretien. Très vite elle exprime qu’elle n’aime pas être en retard. « Quand je suis en retard, je suis mal ». Telle autre arrive 10 minutes en retard et s’excuse à peine en mettant son retard sur le compte des difficultés à se garer, par exemple. En parlant de leur gestion du temps pendant la semaine les uns vont disent qu’ils aiment programmer. D’autres, au contraire, dirons qu’ils aiment l’imprévu. Donnons deux citations contrastées, extraites des enquêtes que nous avons menées :
« J’aime quand on improvise. Improviser c’est vrai, c’est vivant ! Je n’aime pas tout ce qui est prévu à l’avance, même s’il faut prévoir, des fois on est quand même obligé. La vie c’est pas ça, c’est pas tu discutes avec quelqu’un et là il te dit : alors on peut se faire une bouffe dans une semaine. Non ! Quand tu es bien à un moment donné, là tu improvises quelque chose ».
« Moi ce que j’aime c’est programmer ! C’est dans ma nature, c’est ma personnalité. Je me souviens quand j’étais petite, ma mère me le disait, elle voulait elle aussi que tout soit préparé, que tout soit organisé, elle ne voulait pas que les choses se fassent à la dernière minute. C’est avec elle que j’ai appris à consulter et utiliser constamment l’agenda, c’est pas qu’à l’école ».
Bien sûr tous font état de contraintes diverses qu’ils doivent gérer au niveau tant professionnel que familial. Tous parlent des outils qu’ils utilisent (l’outillage technique, comme la nature et le niveau de leur équipement, la mise à disposition et contexte d’usage des instruments de gestion du temps mais aussi l’outillage social, comme le fait de pouvoir compter ou non sur une tierce personne pour parer aux imprévus). Mais chacun revendique un rapport au temps qui lui appartient et qui ne se réduit ni à ses contraintes ni à ses outils. Ces affirmations fortes qui sont, au reste, parfaitement lisibles dans la manière dont les individus vivent leur semaine, renvoient à un mode d’être dans le temps qui doit quelque chose à une position éthique. Il y a ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Il y a une manière de faire qui semble juste et une autre qui est source de malaise ou d’inconfort. Les engagements que l’on a pris à l’égard des autres sont compris d’une manière plus ou moins rigide. Cette éthique du temps varie d’un individu à l’autre et elle ne se réduit de loin pas toujours à une morale classique de la ponctualité [6]. Pour certains la disponibilité au présent importe plus, par exemple, que la ponctualité. Bref il y a l’affirmation forte d’un travail individuel sur le temps qui importe aux individus concernés et qui résiste à des contraintes ou à des injonctions macro-sociales.
L’usage du temps est donc devenu un bon objet pour dessiner les contours de l’individualité sociale dans la conjoncture historique actuelle. Il échappe au simple holisme, mais il échappe également à un individualisme plat qui se limiterait à un individu optimisateur et/ou dépourvu de tout lien social. Car même s’il y a une individualisation du rapport au temps, du fait des multiples cercles d’appartenances qui fait que l’individu doit gérer son temps personnellement, cet individu fait un travail éthique sur le temps, qu’une vision économiciste qualifierait parfois de sous-optimal. Pour accéder à ce rapport au temps, celui dans lequel il se sent à l’aise, il est prêt à perdre du temps.
Pour dire en quelques mots la vision de l’individualisation du rapport au temps que nous défendrons ici : les individus sont pris dans un jeu d’allers et retours entre les contraintes temporelles qu’ils subissent ou qu’ils endossent et leur propre travail d’organisation de leur temps. Les individus sont organisés autant qu’ils s’organisent. Ils négocient, ils modifient leurs modes de vie, ils acceptent des contraintes provisoires, mais ils font tout cela sur fond d’un rapport au temps qu’ils tentent de maintenir, au moins sur le moyen terme, au-delà de telle ou telle péripétie particulière. Les individus s’emparent certes des outils techniques à leur disposition, ils construisent également des formes d’outillage social pour pallier certaines contraintes, mais ils font tout cela en tentant d’organiser un rapport au temps qui leur convient. L’individu que nous décrirons est un individu organisé autant qu’organisant.
On peut, naturellement, s’interroger sur la portée de discours aussi volontaristes de la part des individus. Qui les entend proférés avec autant de force est porté à leur faire crédit. Mais l’épreuve pratique reste importante. Un bourdieusien dirait que les individus « font de nécessité vertu » en revendiquant pour eux-mêmes ce qui n’est que le produit des contraintes du moment [7].
Pour commencer à répondre à ce type d’objection tout en débutant notre description des figures du travail individuel du temps, il faut dire tout d’abord que quiconque s’intéresse à la question du rapport au temps des individus relève, de manière empirique, des rapports au temps éclatés et pluriels d’un individu à l’autre. Il est donc devenu impossible de parler d’un rapport au temps homogène ou même dominant dans la société contemporaine. Bertrand Montulet s’est ainsi penché sur le rapport au temps d’habitants de l’agglomération de Bruxelles [8]. Il a dessiné l’émergence d’une pluralité de types de rapport au temps : les routiniers, les planificateurs souples, les planificateurs rigides, les improvisateurs réactifs, les improvisateurs impulsifs, les stochastiques. La catégorie des stochastiques qui regroupe uniquement des personnes en situation de grande précarité ne dit pas grand chose de plus que l’expression des contraintes sociales. Mais les autres catégories ne s’y réduisent pas purement et simplement. De fait on observe des individus qui planifient plus ou moins. Au sein de ceux qui planifient les uns le font à minima les autres revoient leurs plans plus souvent. Les routiniers se contentent d’un schéma qu’ils reproduisent de jour en jour tandis que les planificateurs varient davantage l’organisation de leurs journées. D’autres préfèrent improviser soit à partir d’une trame qu’ils adaptent assez largement soit à partir d’une trame pratiquement inexistante.
Il est donc clair, au minimum, qu’il n’existe plus aujourd’hui de rapport au temps dominant dans notre société. Cela ne veut pas dire, pour autant, que le rapport au temps échappe à toute détermination macro-sociale. Mais il est clair, à tout le moins, que les rapports au temps se sont fragmentés et que les individus se côtoient en véhiculant des rapports au temps hétérogènes et qui sont, de ce fait, susceptibles de se heurter en permanence. Bertrand Montulet ne prend, au reste, pas totalement parti quant à savoir s’il faut attribuer ces typologies à des histoires individuelles construites sur le long terme ou s’il faut les attribuer au contexte du moment au sein duquel les individus évoluent. Il parle de temporalités individuelles mais génériques en ce sens qu’« elles n’ont pas qu’une validité conjoncturelle car ce sont des logiques d’attitudes temporelles qui si elles sont incarnées à un moment seulement de leur cycle de vie par des acteurs concrets, n’en restent pas moins présentes plus tard chez d’autres » [9]. Cette citation incline plutôt à rendre compte d’un rapport au temps qui dérive de la conjoncture. Mais dans d’autres passages Montulet vise plus des rapports au temps stables pour un individu donné.
Vincent Kaufmann observant lui aussi des rapports au temps hétérogènes avait noté que les pratiques les plus flexibles relevaient souvent de cadres supérieurs qui « collaient » plus que les autres à la temporalité de l’économie mondialisée [10]. Il voyait donc dans ce rapport particulier au temps, l’expression d’une position dans l’entreprise mâtinée peut-être de choix individuel, d’un choix de carrière, par exemple, mais se déduisant quand même largement du temps de l’entreprise. Là encore on saisit l’interrogation sous-jacente : faut-il réduire ce genre de typologies à des structurations sociales qui les dominent ou bien faut-il également donner du poids à l’histoire des individus ?
On observe, à un moment donné, des rapports au temps hétérogènes mais cela est peut-être simplement le signe de clivages temporels macro-sociaux qui traversent notre société ici et maintenant.
Nous avons mené récemment trois enquêtes qualitatives sur les usages du temps par les individus [11]. Il est clair que les emplois du temps d’un grand nombre d’entre eux sont remplis de contraintes. Les typologies ne se remplissent pas au hasard. Il faut le souligner pour commencer.
Les seules personnes qui improvisent vraiment sont les personnes vivant seules. C’est déjà, au départ, une limite posée aux théories qui voudraient que l’homme hypermoderne improvise en permanence. Dès que les personnes vivent en couple ou qu’elles ont une relation suivie avec quelqu’un leur emploi du temps se rigidifie considérablement. Le simple fait de se fixer des rendez-vous ou d’avoir à se coordonner pour changer ses projets limite les possibilités d’improvisation. Le téléphone portable permet, naturellement, de modifier ses projets en restant en contact avec l’autre mais « cela ne se fait pas ». On peut le faire mais on ne le fait pas trop souvent sinon on pense manquer de respect à l’autre. C’est là, notons-le au passage, une déclinaison de l’attitude éthique : le souci des autres.
La présence d’enfants en bas âge vient rigidifier encore l’emploi du temps. Les rendez-vous à la crèche, chez la gardienne ou à l’école ponctuent les journées. Un homme divorcé qui s’occupe de ses enfants à temps partiel décrit bien la différence entre la vie avec enfants et la vie sans enfant : « Si les enfants sont là je suis plus attentif à ce qu’ils mangent. Moi je peux me contenter de manger un sandwich mais eux il faut qu’ils aient à manger régulièrement ».
Les horaires de travail plus ou moins souples produisent des horaires hors-travail du même ordre. Par exemple, une organisation imposée de la journée de travail conduit à organiser sa vie privée sous le mode routinier. Le type de zone urbaine où l’on habite autorise lui aussi une plus ou moins grande improvisation. Un homme, vivant dans une grande ville de province et ayant déménagé du centre ville pour habiter en banlieue nous parle des courses : « C’est l’inconvénient de la périphérie, c’est qu’il faut prévoir un peu plus ». De fait, les personnes vivant en centre-ville effectuent plus de petits déplacements, programment moins leur courses et improvisent plus facilement que les autres.
Enfin les femmes, récupérant une partie plus importante de l’organisation domestique se trouvent devoir prévoir, organiser et programmer davantage que les hommes. Elles prennent en charge la plus grande partie des activités de gestion du temps familial et de socialisation des enfants aux normes temporelles (temps du repas, du sommeil, coordination des rythmes et des activités de la famille, etc.). De fait, elles sont amenées à avoir un rapport beaucoup plus réflexif au temps afin de planifier leurs activités et celles des autres membres de la famille.
Il est donc vrai, au moins pour partie, de dire que les types de rapport au temps sont le fruit de conjonctures sociales différentes et donc de contraintes différentes. Ces types sont hétérogènes parce que la société l’est devenue : elle fait cohabiter des types de vie familiale, des types de partage des tâches dans les ménages, des types d’horaire de travail ou des lieux de résidence hétérogènes et tout cela produit des rapports au temps hétérogènes.
On peut repérer de grands clivages : les femmes programment plus que les hommes ; les célibataires improvisent plus que les personnes vivant en couple. Au fur et à mesure que le nombre d’activités différentes augmente on passe de la gestion par la routine à la gestion par la programmation souple. Plus précisément, on passe d’une attitude plutôt passive à l’égard du temps à une attitude d’ouverture aux nouveautés et aux changements, avec un arbitrage plus réflexif entre les temps alloués. Cela implique, par exemple, que les cadres qui ont des activités diverses dans leur travail se retrouvent davantage dans la programmation souple.
Pour autant les individus même s’ils sont pris dans une conjoncture donnée acceptent rarement d’être « pris par le temps » et de se trouver emportés dans un rapport au temps qui ne leur convient pas. L’homme divorcé, que nous avons mentionné ci-dessus, compare sa nouvelle vie à l’ancienne : « Je ne fais pas de grosses courses ; c’est suivant l’endroit, les gens. Avant mon divorce j’habitais Montpellier et là on faisait les courses avec une glacière pour toute la semaine. Mais ce n’est plus la même vie. Ce n’est pas que ça me convienne mieux, c’est juste que c’est plus adapté à ma nouvelle vie ». Cette déclaration semble montrer qu’il a changé son rapport au temps sans heurt. Pourtant, quelques minutes plus tard, il exprime son malaise de vivre dans ce temps informe et sans limite : « C’est lourd de gérer son temps, c’est très lourd. Aujourd’hui comme tout est imbriqué, les courses autant que le travail, j’ai tout le temps l’impression de travailler. Même en me baladant j’en profite pour porter un devis. Et en me promenant je repère des clients potentiels. J’ai beaucoup de temps libre mais je ne suis pas très disponible non plus ».
Nous retrouvons là une figure récurrente dans ce type d’entretien : celle de l’individu qui se sent mal dans son vécu actuel du temps et qui cherche à en sortir. Cela commence parfois par l’évocation d’un manque de temps mais très vite c’est autre chose qui surgit : la difficulté à positionner les unes par rapport aux autres les différentes activités auxquelles on tient. Les uns regrettent de ne pas être plus disponibles pour leur famille, les autres se forcent à couper avec leur travail pour respirer, d’autres encore parlent avec chaleur des activités auxquelles ils tiennent et qui les ont conduit à renoncer à d’autres activités. Chacun veut pouvoir organiser son temps en limitant les moments de débordement.
Les uns y parviennent simplement en structurant des routines dans lesquelles les différentes activités viennent prendre une place stable. Les autres négocient davantage au coup par coup et se construisent des sous-programmes alternatifs qu’ils endossent au cas par cas, suivant la situation. D’autres devant gérer un grand nombre de contraintes passent du temps, chaque semaine, à positionner leurs différentes activités. La plupart gardent malgré tout des moments d’improvisation mais la position de ces moments est, elle-même, rarement laissée au hasard. Des choix professionnels de long terme viennent parfois soutenir ces priorités : certains choisissent de travailler moins ou de refuser un poste à l’étranger ; d’autres limitent les longs déplacements professionnels ; d’autres s’astreignent à accompagner leurs enfants à l’école eux-mêmes pendant un temps. La figure de l’individu qui laisse purement et simplement les événements venir à lui sans les positionner les uns par rapport aux autres est exceptionnelle.
Les individus tentent, au contraire, de se positionner dans le temps en développant des « capacités à » : différer des actions, élaborer des programmes d’action personnelle (projets sur courts, moyens et longs termes), négocier et ajuster leur organisation temporelle personnelle, relier les différents compartiments de leur vie (privée et professionnelle), coordonner les agendas, gérer les activités fixes et fixées, bloquer des marges de temps longues ou courtes, multiplier des activités sur un même créneau horaire, hiérarchiser ses activités, improviser, etc. C’est là que les individus mobilisent des outils divers ou élaborent des dispositifs sociaux qui leur permettent de faire face. Au sein de la sphère familiale, chacun apprend à synchroniser son temps et ses activités avec son conjoint et/ou avec le reste de la famille mais aussi à se doter d’instruments de gestion temporelle. Chaque membre du couple synchronise ses activités propres avec ses outils propres mais il doit également rentrer dans un dispositif mutualisé où chacun synchronise avec et pour le couple. On voit alors surgir des supports communs : des post-it sur le réfrigérateur, le planning des activités familiales affiché dans la cuisine, ou des pratiques communes : un coup de téléphone à des moments convenus dans la journée pour se coordonner, l’usage du e-mail pour préciser un point en cours de journée, etc.
Au-delà de l’usage de tel ou tel outillage technique, chacun tente de construire son outillage social et, de fait, son réseau social. Certaines personnes peuvent, par exemple, faire appel à un voisin, à un parent pour faire la soupape en cas d’imprévus et aller chercher leur enfant chez la nourrice.
Bref tout n’est pas possible à un moment donné compte tenu des contraintes dans lesquelles on est pris, mais tout le monde essaye d’organiser sa vie pour que les activités auxquelles il tient aient la place qu’elles méritent.
Or c’est en observant la manière dont les individus s’organisent que l’on ne peut manquer d’être frappé par des singularités individuelles qui ne se réduisent pas aux contraintes du moment. A contraintes données les individus essayent plus ou moins de rester dans une routine ou, à l’inverse, tentent plus ou moins de pouvoir continuer à improviser.
Dans une situation qui les pousserait à improviser (par exemple), ils tentent de rester le plus possible dans une programmation contrôlée. Ils mobilisent, pour ce faire, les outillages techniques à leur disposition, ou bien ils construisent des formes d’outillage social qui leur permettent de faire face à un éventuel imprévu. Un homme nous raconte ainsi comment il rentre du travail lorsqu’il doit aller chercher ses enfants à la sortie de l’école. Le fait que ce soit son tour de le faire relève de la programmation. Il alterne, suivant les jours, avec son épouse. Le fait de ne pas recourir à un mode de garde à la sortie de l’école relève de leur choix familial. Tout le reste repose sur un jeu d’alternatives bien établi : « Avant de partir je regarde l’état de la circulation sur Internet (il habite et travaille en région parisienne et doit parcourir une cinquantaine de kilomètres pour rentrer chez lui). Si l’A86 est bouchée je prends la Francilienne. Cela fait 20 km de plus mais ça roule mieux. Si vraiment ça ne va pas je peux toujours appeler une voisine au portable pour récupérer les enfants, mais j’évite de le faire trop souvent, car il ne faut pas trop abuser de la bonne volonté des autres ». Internet, téléphone portable et recours exceptionnel aux voisins constituent trois types d’outillage qui lui permettent de changer ses plans sans improviser. Ce couple se révèle être, à l’usage, un véritable virtuose de la programmation. Pour répondre à nos questions ils vont, d’ailleurs, chercher leurs agendas respectifs et les croisent.
On peut citer aussi le cas d’un artisan qui accepte (cela fait partie de son métier) de décaler de nombreux rendez-vous. Il mentionne, cela dit, qu’il ne le tolère que jusqu’à un certain seuil : « Je travaille avec des clients donc il m’arrive et il leur arrive de déplacer des rendez-vous. J’aurais déplacé deux rendez-vous, bon le troisième on fait en sorte que ça ne saute pas ! Après c’est vraiment trop. Faut se mettre des limites comme ça, des repères, mais je sais que tout le monde ne le fait pas, ça c’est moi ». Il y a là l’expression très claire d’une limite sur laquelle on bute, d’une zone de confort de laquelle on sort, d’un pas que l’on refuse de franchir.
Mais tout le monde n’éprouve pas le besoin de construire des outillages aussi complexes que le couple de virtuoses de la programmation que nous avons mentionné. On pourrait citer, à ce propos, le cas d’un autre artisan qui utilise un agenda mais qui refuse de s’en servir pour noter ses rendez-vous trop précisément. Il utilise son agenda comme « pense-bête », note tout en vrac et improvise, au fil de la semaine, entre ses différentes obligations. Il note même de cette manière là ses rendez-vous fermes qu’il honore, d’ailleurs. Mais il préfère les considérer au milieu d’une masse d’activité qu’il entend structurer en temps réel seulement.
La gestion de l’emploi du temps passe par la famille mais elle n’est pas exempte, pour autant, de singularités individuelles. Ces singularités individuelles sont, d’ailleurs, particulièrement faciles à observer lorsque les individus vivent une transformation familiale. La mise en couple ou l’arrivée des enfants sont l’occasion d’une mise à l’épreuve du rapport au temps de chacun et les individus sont capables de relater les négociations serrées qu’ils ont dû mener et qu’ils mènent parfois encore pour parvenir à une entente ou à un compromis entre deux rapports au temps hétérogènes.
On peut s’interroger sur la source de cette résistance individuelle aux contraintes du moment. Elle relève, manifestement, d’une socialisation de long terme qui n’est pas remaniée à la moindre impulsion. Certains renvoient directement à la socialisation primaire en invoquant l’exemple de leurs parents et les habitudes acquises dans leur famille d’origine. D’autres parlent d’expériences de débordements qui les ont amenés à se protéger davantage et à mieux structurer et compartimenter leur temps. Dans tous les cas il s’agit d’expériences fortes qui s’inscrivent sur le long terme et qui concernent le rapport aux autres.
Pour les uns un juste rapport aux autres passe par une disponibilité maximum et donc une grande souplesse dans la gestion du temps. Pour d’autres il importe avant tout de tenir ses engagements : « J’ai du mal à déprogrammer quand j’ai pris des engagements. A partir du moment où je prends un engagement, je fais tout pour y être et je déprogramme si vraiment je ne peux pas faire autrement. C’est une question de justice. C’est le souci du respect des autres, celui de la parole et de la promesse donnée… surtout que ça n’engage pas que moi. C’est aussi pour ça que je suis toujours en avance aux rendez-vous, surtout quand c’est du professionnel ».
La tonalité est éthique : dans ce rapport au temps se joue le rapport aux autres et le jugement moral sur ceux qui ne partagent pas ces choix affleure souvent. Il importe alors de se souvenir de la double leçon de Max Weber. La première (et la moins souvent citée) est le décisionnisme implicite de cet auteur dans le domaine éthique : pour lui le fait que les individus ou les groupes adoptent telle ou telle valeur n’a pas à être expliqué [12]. Il s’agit d’un fait que l’on constate sans pouvoir en rendre pleinement raison. Cette éthique du temps a, de fait, quelque chose d’obscur quant à ses sources exactes. Les individus en parlent spontanément mais n’en situent pas toujours précisément l’origine.
La deuxième leçon de Max Weber est qu’une action rationnelle par rapport à une valeur se repère en premier lieu par son côté sous-optimal [13]. Tout ce dont on peut rendre compte en termes d’optimisation est rattaché naturellement à la rationalité instrumentale (rationalité en finalité dans le vocabulaire de Max Weber). En revanche un comportement non optimisé peut être le signe soit d’une mauvaise perception des enjeux en présence soit d’un comportement qui se cale sur une éthique et non sur une recherche d’optimisation.
De fait il est frappant de voir le temps que les individus perdent pour maintenir ce qui leur semble être un juste rapport au temps. Une avocate prise entre sa vie de famille et les modifications des horaires d’audience emploie de longues minutes à réorganiser plusieurs fois dans la journée son programme à l’aide de son téléphone portable. Elle refuse d’anticiper sur le fait que son programme va probablement être modifié une nouvelle fois avant la fin de la journée. Ce qui compte pour elle c’est d’avoir un programme d’activités à jour ce qui lui permet de se sentir à l’aise dans le temps.
Les individus s’organisent mais ils apparaissent souvent comme « mal organisés » si on prend comme critère de jugement la simple économie de temps [14]. Ils emploient des routines qui leur font faire de longs détours. Ils chaînent mal leurs activités. Ils utilisent des outils qui ne sont pas toujours bien adaptés. Ils compliquent leur journée pour arriver à l’heure à des rendez-vous où personne ne les attend à une heure aussi précise. Ou bien, à l’inverse, ils improvisent en temps réel et finissent par ne pas faire ce pourquoi ils étaient sortis.
A vrai dire peu de personnes, aussi étonnant que cela puisse paraître, se plaignent de manquer de temps. Ceux qui manquaient réellement de temps se sont, en général, organisés pour renoncer à certaines de leurs activités. La plupart des personnes préfèrent avoir dans la journée des temps morts qui leur servent de tampon et de moment de repos où ils peuvent se réassurer quant au fait que leur éthique du temps peut s’exercer.
En revanche plusieurs personnes parlent de journées tendues où leur véritable crainte n’est pas de manquer de temps mais d’être dépassé par les événements. En témoigne l’extrait d’entretien de cette mère de famille : « Le mercredi c’est la course contre la montre. Il y a les activités de mon fils : musique le matin, foot l’après-midi ; de ma fille : collège le matin, poterie en fin d’après-midi. Donc j’enchaîne, puis je prépare le repas du soir. Quand le troisième va s’y mettre je ne sais pas comment je ferai ».
L’analyse du rapport au temps des individus ne nous révèle donc, ni un individu purement déduit du temps flexible de la production mondiale [15], ni un individu optimisant son temps, ni un individu construit par les contraintes dans lesquelles il évolue. L’individu apparaît comme autant organisant qu’organisé et comme défendant une forme de rapport au temps ancré dans une posture éthique.
Il n’en reste pas moins que cette posture doit quelque chose à la conjoncture historique actuelle. C’est parce que le rapport au temps est moins préformé et moins homogène que naguère, parce que l’individu doit re-synchroniser lui-même des temporalités que personne d’autre ne synchronise, parce que les champs d’activité se multiplient et se divisent, que le travail du temps par l’individu devient tout à la fois nécessaire et visible. L’individu organisant émerge dans un monde désynchronisé et, par bien des côtés, désorganisé.
L’éthique du temps apparaît, de la sorte, comme une manière de donner sens et consistance à des liens sociaux auxquels l’individu tient. Là où les institutions disent le temps d’une manière contradictoire, l’individu fait exister ses liens de proximité en défendant avec force et conviction une éthique particulière du temps.
[1] D. Bleitrach et A. Chenu, L’Usine et la vie, Paris, Maspéro, 1979.
[2] P. Bouffartigue et J. Bouteiller, « A propos des normes du temps de travail. De l’érosion de la norme fordienne aux normes émergentes », Revue de l’IRES, 42, 2003.
[3] G. Pronovost, Sociologie du temps, Bruxelles, De Boeck Université, 1996.
[4] D. Mercure, « L’éclatement des temporalités vécues », Temporalistes, 12, 1989.
[5] Voir par exemple : Z. Bauman, Liquid modernity, Cambridge, Polity Press, 2000 et B. Marzloff., Mobilités, trajectoires fluides, Aube, 2005.
[6] C’est ici qu’il faut souligner que nous nous séparons de Norbert Elias, Du temps, Paris, Fayard, 1997, qui a, d’une part, voulu voir dans le rapport au temps quelque chose d’homogène dans une société et a, d’autre part, surtout décrit l’émergence de l’exigence de ponctualité.
[7] L’expression provient de P. Bourdieu, Le sens pratique, Paris, Ed. de Minuit, 1980. Bourdieu parle alors de « cette sorte de soumission immédiate à l’ordre qui incline à faire de nécessité vertu, c’est-à-dire à refuser le refusé et à vouloir l’inévitable », p. 90.
[8] B. Montulet, Temporalités urbaines et organisation des transports, Rapport de recherche pour le programme Prospective research for Brussels, IRSIB, 2005.
[9] Ibid., p. 55.
[10] « Their high degree of mobility is often a more or less direct reaction to the flexibility required or them by their companies in their capacity as executives », V. Kaufmann, Re-Thinking Mobility, Ashgate, 2002, p. 59.
[11] Une enquête (n=25) sur l’usage des outils techniques permettant de gérer son temps, une enquête (n=50) sur la construction d’une journée de travail par des actifs avec un accent particulier sur les phases de mobilité, une enquête (n=50) sur l’organisation d’une semaine avec un accent particulier sur le positionnement des courses et l’usage des courses en ligne. Dans chaque cas les personnes ont été interrogées individuellement mais le questionnement était naturellement élargi à l’organisation familiale. Dans la première enquête quelques couples ont, d’ailleurs, été interrogés (un membre après l’autre).
[12] Ce décisionnisme a été souligné de manière claire par W. Hennis, La Problématique de Max Weber, Paris, PUF, 1996 et par P. Raynaud, Max Weber et les dilemmes de la raison moderne, Paris, PUF, 1987. La neutralité axiologique que Weber réclame pour les sciences sociales repose, au fond, sur le fait qu’il refuse de statuer sur l’origine des valeurs. Mais ce refus est encore plus facile à observer dans ses textes politiques et dans ses analyses de la violence légitime.
[13] « Du point de vue de la rationalité en finalité (ce que nous appelons ici l’optimisation), la rationalité en valeur reste toujours affectée d’une irrationalité et cela d’autant plus que l’on donne une signification plus absolue à la valeur d’après laquelle on oriente l’activité. Cela vient de ce que la rationalité en valeur spécule en général d’autant moins sur les conséquences de l’activité qu’elle prend plus inconditionnellement en considération la seule valeur intrinsèque de l’acte », M. Weber, Economie et société, Paris, Plon, 1971, p. 23. On pourra également se reporter à : Max Weber, ’Essai sur quelques catégories de la sociologie compréhensive’, § 2. Rapport entre la sociologie compréhensive et la psychologie, trad. franç. in Essais sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965, pp. 333-344, où il explique bien comment la rationalité en valeur se repère par décalque de la rationalité en finalité.
[14] C’est ici l’occasion de mentionner les limites de l’approche, par ailleurs subtile et heuristique, de la géographie du temps et des programmes d’activité de T. Hägerstrand. Son article de 1970, « What about people in regional science », Papers of regional science association, 24, 1970, est par bien des côtés précurseur pour l’époque. Il montre bien l’intrication des différentes activités dans les biographies individuelles. Mais ensuite il s’en tient à des calculs de maximum d’espace-temps accessibles par les individus compte tenu des conditions extérieures, en ignorant totalement les projets que les individus et les familles poursuivent pour de bon. Comme le dit Marie-Hélène Massot : ces analyses « peinent à faire la part entre la logique du désir et celle de la nécessité pour tout ce qui ne relève pas de l’économique pur ». M-H. Massot, « La mobilité qui fait la ville, Mobilité résultante et Mobilité organisatrice : les paradigmes au service de la compréhension des transformations urbaines », communication aux 3èmes rencontres internationales de recherche en urbanisme de Grenoble, 2 et 3 février 2006.
[15] Voir à ce propos, les remarques pertinentes de F. Godard, « Vie publique et vie privée : de nouveaux régimes temporels », Réseaux, 140, 2006.
De Coninck Frédéric, Guillot Caroline, « L’individualisation du rapport au temps, Marqueur d’une évolution sociale », dans revue ¿ Interrogations ?, N°5. L’individualité, objet problématique des sciences humaines et sociales, décembre 2007 [en ligne], https://www.revue-interrogations.org/L-individualisation-du-rapport-au (Consulté le 13 décembre 2024).