Pour aborder la problématique des individualités, nous mettons en place une grille de lecture que nous appelons le morphologisme, partiellement issue des enseignements aristotéliciens. Dans le cadre de cette métaphysique continue, la question des individualités (entendues comme formes) se pose selon trois axes : d’abord, il est nécessaire de mettre en évidence le processus d’individuation des formes. Ensuite, il faut chercher à expliquer, dans l’identité de ces formes, ce qui relève du déterminisme continuiste et ce qui relève de l’identité propre de chaque forme. Puis, enfin, il viendra le temps d’expliquer le processus de constitution de cette identité propre. Ainsi, le morphologisme essaie d’associer un certain déterminisme ontologique avec un relativisme cognitif, seule manière de trouver une réponse qui relève le défi de définir l’individualité comme toujours déjà inscrite dans un système de contraintes duquel elle a la possibilité de s’émanciper en partie.
Mots-clés : Morphologisme, Forme, Entéléchie, Singularité, Identité.
To tackle the question of the individualities, we use a new philosophical pattern named morphologism, based on a metaphysic of continuum inherited of the aristotelician tradition. As we have chosen to adopt this hypothesis of a metaphysic of continuum, the question of individualities can be tackled on three axes : firstly, we have to put in evidence the process of individualization of the forms. Secondly, we have to explain, in the identity of the forms, what is due to the determinism contained in the hypothesis of the continuity, and what is due to the identity of each form. Finally, the last question is to explain the process of constitution of each identity. In this way, morphologism tries to associate ontological determinism with personal relativism, because we think it’s the best way to define individuality as always already placed in a system of constraints whom it can emancipate itself for a part.
Keywords : Morphologism, Form, Realization, Singularity, Identity
Nous voudrions ici aborder la question des individualités grâce à une nouvelle grille de lecture que nous appelons le morphologisme. Celui-ci se situe largement dans une filiation aristotélicienne à laquelle on rajoute, pour une nécessité de bouclage et de cohérence globale, la définition kantienne des phénomènes. Comme son nom l’indique, cette philosophie repose essentiellement sur le concept de forme. Mais, avant de rentrer plus en avant dans sa technicité, il nous semble intéressant d’énumérer les trois grands postulats qui sous-tendent le morphologisme. Les deux premiers sont directement issus des travaux d’Aristote et le troisième de ceux de Kant.
Le postulat 1 stipule que la nature est continue (ontologiquement). Mais, en même temps, il conduit à s’interroger sur le fait qu’elle se donne toujours à voir (phénoménologiquement) de manière discontinue. La première question revient donc à s’interroger sur le processus d’individuation des phénomènes. Or, c’est là que le concept de forme acquière toute sa puissance. En effet, le fait que nous voyons de manière discontinue signifie grosso modo que nous pouvons différencier des formes. Dit encore autrement, les formes (y compris les hommes, qui sont des phénomènes individués dont la forme est appelée corps) sont des discontinuités qualitatives se dégageant d’un fond continu. Pour expliquer ce processus d’individuation, nous verrons qu’Aristote (thèse reprise par le morphologisme) développe deux principes successifs : le principe hylémorphique et le principe entéléchique.
Le postulat 2 pose la question du lien essentiel entre le continuum métaphysique et les formes qui en sont issues. Pour Aristote, la réalité, le monde, la nature, quelque soit le terme utilisé, est un tout dont de la connaissance de l’essence exige une méthodologie particulière qui ne peut être déduite de l’essence de la somme des parties. Néanmoins, la difficulté est que nous ne pouvons étudier que des phénomènes, c’est-à-dire des formes individuées qui sont des « parties » de la matière ontologique, qualitativement différenciées. Il faut donc bien trouver le lien méthodologique qui existe entre ces individuations (formes) et le tout. C’est alors le concept mathématique de singularité qui peut nous permettre de trouver une alternative au réductionnisme (ou à ce qu’on appelle en sciences sociales l’individualisme méthodologique). Ainsi, si l’on s’interroge à présent plus spécifiquement sur l’individualité humaine, que nous appelons l’individu ou homme, celui-ci est une singularité de l’espace (forme) social qui est lui-même une singularité de la forme naturelle qui contient tout ce qui est dans le monde physique. Dès lors, la deuxième question qui se pose est une question méthodologique : puisqu’il n’y aurait de connaissance que du tout, que nous apprennent les individus (phénomènes individués) de la forme sociale et de son organisation ?
Le postulat 3 est d’origine kantienne et il renvoie à la problématique des identités. Si les individus, comme le stipule le postulat 2, sont des singularités de la forme sociale, c’est-à-dire sont des produits de cette forme sociale qui les modèle par contrainte, quid de la question des identités individuelles ? Peut-on accepter l’idée que le destin des identités soit déterminé en dehors d’eux-mêmes, ou alors existe-t-il une sortie moins déterministe ? Nous verrons que la définition kantienne des phénomènes permet d’introduire des éléments de réponse qui offrent à l’individu humain des degrés de liberté. L’individu ne peut pas influencer l’apparition des formes ontologiques, comme nous allons le voir, mais il peut modifier son regard sur ces formes et ainsi modifier les phénomènes (au sens kantien du terme) de son propre monde. On retrouvera alors la définition de la liberté de Kant qui passe nécessairement par l’acquisition de connaissances. Aussi, pour finir, la problématique des individualités pose évidemment la question de la liberté et de son opposé : le déterminisme. Nous verrons que le morphologisme donne, sur cette question, une réponse originale.
Ainsi dans ce cadre morphologique, la problématique de l’individualité trouve une réponse différente à celle qu’elle reçoit dans les épistémologies individualistes qui font aujourd’hui foi dans les sciences sociales et humaines ; notamment parce qu’elles ne se donnent jamais la peine de séparer les questions de la manière dont nous venons de le faire. Bien que se revendiquant toutes (ou presque) uniquement d’un individualisme méthodologique, la lecture des travaux argumentant ces épistémologies laissent souvent transpirer le postulat d’un individualisme ontologique. La question des individualités n’a alors plus à se poser, elle est le postulat de départ de ces épistémologies. Par contre, dans le cadre morphologique, poser la question de l’individualité est une question fondatrice. Par ce fil conducteur, il est en effet possible d’exposer une méthode qui consiste, pour chaque individualité, à s’interroger sur son ontologie (postulat 1), son mode d’appréhension (postulat 2) et enfin sur sa définition (postulat 3). Abordons, sans plus tarder, la première de ces questions.
Introduire la notion de forme dans une réflexion de philosophie des sciences entraine un grand bouleversement, car derrière la notion de forme, c’est la distinction entre continu et discontinu qui est réintégrée dans le débat d’idées. Une forme peut en effet se définir, de manière à la fois très naïve et très profonde, comme une discontinuité sur un fond continu [1].
Ainsi définie, la notion de forme prend un parti particulier dans le débat métaphysique, fort complexe, entre l’origine continue ou discrète de l’espace des phénomènes. Pour les morphologistes, il est clair que la notion de forme renvoie à la croyance en la continuité intrinsèque du monde. Pour nous, il est plus facile de comprendre comment une discontinuité phénoménale, qui n’est certainement pas niée (un objet est, par définition formelle, discontinu), nait d’un fond continu, et qui serait perçu par nos organes sensoriels comme discontinu. Nous pensons, pour reprendre l’exemple d’Aristote, que définir une droite mathématique comme un ensemble de points, c’est-à-dire faire du continu avec des entités discontinues, est synonyme de perte de sens pour la notion (continue) de droite. D’ailleurs, la notion même de forme, notion topologique, nous oblige à penser un intérieur de forme et un extérieur de forme. Bref, il nous invite à voir deux continus sur des plans différents. Mais il faut alors s’interroger sur l’aspect discontinu des phénomènes perçus.
Pour cela nous devons mobiliser un principe d’individuation qui est un outil visant à donner une explication à l’appréhension discontinuiste des objets que l’on perçoit, dans un cadre métaphysique continu. Une table, un livre, un homme, etc. tous ces objets se présentent à nos sens sous une forme individuée. La question qui se pose est de savoir comment concilier une hypothèse continuiste pour ce qui est de l’espace ontologique [2], avec une ’réalité’ phénoménologique toujours individuée (sauf en ce qui concerne l’espace et le temps) ?
Pour répondre à cette question, Aristote développe un double principe qu’il nous semble intéressant d’interroger : le principe hylémorphique associé au principe de l’entéléchie.
Pour comprendre le principe hylémorphique, il faut remonter à quelques concepts métaphysiques aristotéliciens et tenter de les expliciter du mieux possible. Tout d’abord, Aristote distingue deux natures de l’être : l’être en acte et l’être en puissance. Pour comprendre ce que veut signifie cette distinction, reprenons les exemples donnés par Emile Bréhier : « L’acte est à la puissance comme l’homme éveillé au dormeur, celui qui voit à celui qui a les yeux fermés, la statue par rapport à l’airain, l’achevé par rapport à l’inachevé. Les seconds termes de chaque couple sont « en puissance » chacun des premiers ; celui qui a les yeux fermés est voyant en puissance, l’airain est statue en puissance, ce qui veut dire que les yeux verront et que l’airain deviendra statue, si certaines conditions sont réalisées… L’acte est comme l’œuvre ou la fonction de l’être en acte… l’acte est encore entéléchie, c’est-à-dire état final et achevé qui marque les limites de la réalisation possible. » [3] Aristote ajoutera dans sa Métaphysique : « l’essence ou forme est un acte » [4].
Les deux principes (hylémorphique et entéléchique) sont présentés de paire par Bréhier. Afin de mieux les comprendre, nous considérerons que l’espace des êtres en acte est l’espace que nous qualifions de phénoménologique (les phénomènes sont toujours visibles, soit directement soit par leurs actions), alors que l’espace des êtres en puissance (espace logique mais insaisissable) correspond à l’espace ontologique. Cette analogie nous donne donc à voir une première hypothèse, concernant l’espace ontologique, que pose Aristote. Pour le Stagirite, il est un espace en puissance ayant pour vocation première de se réaliser, et donc à devenir espace en acte [5].
Cette vocation à la réalisation [6] se manifeste en deux temps distincts. Tout d’abord, dans l’espace ontologique (en puissance), la matière est tiraillée par des forces contradictoires et anarchiques. Or, tout se passe comme si [7] (principe hylémorphique) la matière (ontologique) tendait d’elle-même à minimiser les tensions qu’elle subit. Pour se faire, elle va s’organiser et donc donner naissance à des formes dont la raison d’être initiale est de ’soulager’ les tensions subies par la matière continue. Ontologiquement, le principe hylémorphique nous dit donc que les formes naissent de la matière, ce qui est conforme au principe continuiste [8]. Cette manière d’appréhender la naissance des formes a souvent été qualifiée de vitaliste et relève certainement d’un matérialisme ontologique.
Nous voyons que le principe hylémorphique de genèse des formes ontologiques n’explique pas, expérimentalement, la prise de forme, mais il en donne la raison d’être (le but et non pas le processus) : minimiser les tensions internes de la matière. En effet, ne pouvant avoir accès à la matière ontologique, il nous est impossible d’expérimenter le processus de mise en forme que subit la matière ontologique. Plus précisément, il n’est pas possible de faire la différence entre ce qui relève des caractéristiques propres à la matière ontologique et ce qui relève du processus de mise en forme lui-même. Par contre, il est possible de dire que la matière ontologique contient en puissance ses propres formes [9].
Le principe hylémorphique est donc cette croyance en la capacité de la matière ontologique à s’organiser dans le but de réduire ses tensions internes. C’est une tentative, semble-t-il, toujours vaine mais nécessaire, de l’espace ontologique de ’se mettre en équilibre’.
Ce principe hylémorphique se double du principe entéléchique qui constitue le passage de l’être en puissance à l’être en acte, à proprement parler. Ce principe ’suit’ logiquement (et presque chronologiquement) le précédent. Il stipule qu’une fois que les conditions d’équilibre de la matière ontologique sont réalisées, c’est-à-dire une fois que ’la matière a pris forme’, s’est donnée une forme (un principe formel), la forme peut ’apparaître [10]’ dans l’espace phénoménologique [11]. Entéléchie signifiant réalisation, cela veut dire que l’être en acte se réalise dans l’espace ontologique et se trouve transposé (être) dans l’espace phénoménologique. Il commence à exister dans l’espace phénoménologique même s’il n’y est pas encore vu, car la manière dont tout individu voit l’espace phénoménologique relève d’autres principes que nous détaillerons dans le dernier paragraphe.
Disons, pour simplifier, qu’une fois les conditions réunies, la matière ontologique donne naissance à une forme qui, grâce au principe entéléchique, intègre l’espace des phénomènes. C’est en cela qu’Aristote disait « l’essence ou forme est un acte ». Ainsi, pour Aristote, les objets et phénomènes sont régulièrement renouvelés par l’espace en puissance, parce que de nouvelles formes apparaissent alors que d’autres, certainement, disparaissent. Dès lors, les phénomènes naissent et meurent (en acte au moins) et ne sont pas immuables. La notion de forme est donc la passerelle entre l’espace ontologique, où elle nait, et l’espace phénoménologique où elle est toujours déjà positionnée.
C’est ainsi que l’on peut justifier le fait que lorsque l’on étudie des objets ou des phénomènes, on étudie toujours l’espace phénoménologique et jamais l’espace ontologique en tant que tel. En effet, le concept même de ’forme ontologique’ n’a aucun sens à proprement parler, si ce n’est qu’il est une manière commode de dire que les formes phénoménologiques des objets sont données par l’espace ontologique, et que dès lors, forme ontologique et forme phénoménologique sont toujours identiques, selon le principe entéléchique. La forme phénoménologique reçoit ainsi sa justification de forme objective, au sens de ’donnée à voir sans manipulation possible’. La forme est donc toujours un acte, car elle est le résultat (en acte) d’un processus hylémorphique (qui agit en puissance).
Ainsi, si l’on applique ces enseignements aux individus humains, qui sont eux aussi des formes (des corps), on apprend qu’ils sont ’constitués’ de la même matière continue que les autres phénomènes et qu’ils doivent leur apparition à un processus matériel inconnu et inconnaissable appelé principe hylémorphique. Bref, l’apparition et la disparition d’individus ne sont jamais que l’expression de ces changements qui ont lieu dans l’espace ontologique. Ainsi définis, les comportements des formes (et donc des individus) sont le résultat de contraintes qui les dépassent et qui leur sont inconnaissables.
On peut donc tirer une première leçon de cette lecture d’Aristote : le processus de création et de destruction des formes (et donc des corps) est totalement indépendant du comportement de ces formes. Il répond au contraire à des exigences extérieures à ces formes. Bref, l’individualité phénoménologique est le résultat d’une extériorité. Cette version est certes très déterministe et fataliste car elle ne laisse a priori aucune marge de liberté aux formes, ce qui pose un problème particulier pour les corps humains. Néanmoins, avant de relâcher en partie cette lecture de l’individu (grâce au postulat 3), il nous semble intéressant de la mener encore un peu plus loin (grâce au postulat 2) pour se demander : si la forme est le résultat d’une contrainte qui le dépasse, cette contrainte ne laisse-t-elle pas des empreintes sur elle ? Autrement dit, ne peut-on pas décrypter le processus d’organisation du monde (c’est-à-dire sa cosmogonie) à travers ses résultats (c’est-à-dire les formes) ? Et, si cela est possible, de quelle manière et comment relier les formes entre elles ? Si l’on prend l’exemple des individus humains : s’ils sont le résultat d’un processus social, lui-même résultant d’un processus impliquant l’ensemble de la nature, qu’est-ce que l’individu nous apprend sur ce social ? C’est la question abordée dans le paragraphe suivant.
Nous venons de voir que le processus de création des formes répondait à des exigences extérieures aux formes elles-mêmes. Le morphologisme considère, selon le postulat de matière continue, qu’ontologiquement toutes les formes sont reliées entre elles.
Mais l’espace phénoménologique donne à voir différentes formes que l’histoire des sciences a pris l’habitude de différencier de la manière suivante : les formes physiques, les formes vivantes et les formes sociales. Toutes ces formes coexistent dans l’espace phénoménologique, mais elles ne se situent pas nécessairement au même niveau logique. L’intuition du morphologisme est que la forme la plus étendue est la forme naturelle qui renferme toutes les autres formes. Puis, dans l’optique de donner une place au corps humain, on trouverait, incluse dans la forme naturelle mais qualitativement différenciée, la forme sociale qui pourrait se définir comme une « zone » de la forme naturelle dans laquelle s’applique des caractéristiques qualitatives homogènes et, en partie, différentes de celles de la forme naturelle. Bref, la forme sociale peut se définir comme appartenant à la forme naturelle, mais possédant une restriction supplémentaire. Etant donné que la forme sociale est alors une zone de la forme naturelle, elle n’en est pas déconnectée. Au contraire, elle subit, puisqu’elle appartient à la forme naturelle, les changements de forme auxquels est soumise la forme naturelle. Mais, en même temps, la forme sociale, pour qu’elle existe véritablement et de manière autonome, doit avoir un effet sur la forme naturelle. Pour cela il faut que la forme sociale soit un des bords de la forme naturelle, ce qui est bien le cas puisqu’elle est porteuse d’une contrainte (restriction) supplémentaire qui définit donc un bord. Ainsi lorsque la forme naturelle est soumise à une reconfiguration (dont nous ne connaissons pas l’origine), c’est-à-dire lorsqu’elle est soumise à une tension sur l’un de ses bords, son adaptation à cette tension entraine, presque mécaniquement, une reconfiguration de l’ensemble des bords, y compris du bord ’occupé’ par la forme sociale. Evidemment, ces bords tentent de résister à cette reconfiguration selon leur densité et leur volume. Mais cette résistance, qui permet de dire que le résultat de la reconfiguration d’une forme est toujours l’issue d’un processus dialectique, ne peut être mesurée et on ne peut donc pas estimer la part de la reconfiguration provenant du choc exogène et celle provenant de la résistance.
Bref, pour résumer, le morphologisme considère qu’il y a une organisation des formes, notamment par emboitement successif. Les formes comprises ’à l’intérieur’ des formes plus larges ont toujours les mêmes caractéristiques que les formes qui les contiennent plus une ou des caractéristiques supplémentaires qui en rétrécissent l’étendue, et qui font que ces formes constituent un bord de la forme plus globale. Par exemple, la forme sociale a les mêmes caractéristiques que la forme naturelle plus quelques-unes qui lui sont spécifiques. Si l’on s’intéresse aux changements de formes, on a vu qu’ils sont toujours le résultat d’une dialectique entre un changement venu d’en haut, c’est-à-dire des formes ’contenantes’, et une résistance venues d’en bas, c’est-à-dire des formes contenues. Mais l’origine du changement est bien toujours une origine venue d’en haut. Les formes sont donc contraintes de se déformer, elles ne le choisissent pas.
Or, au bout de la chaine des emboitements de formes, on trouve l’individu qui est la forme la plus caractérisée du monde naturel puisqu’il possède toutes les caractéristiques des autres formes plus la caractéristique particulière de l’entendement, pour reprendre une terminologie kantienne. Bref, l’individu (ou plutôt son corps) est donc le réceptacle de l’ensemble des transformations qui se passent dans la forme naturelle. Il subit tous les changements. On peut donc dire que son comportement n’est jamais intentionnel au sens classique du terme, mais qu’il relève en partie d’une adaptation à des changements exogènes. Et, en même temps, il en est à lui seul la synthèse. C’est pourquoi nous nous permettons d’utiliser le concept mathématique de singularité qui nous semble parfaitement approprié à ce qu’est le corps humain.
Le concept de singularité nous permet de passer d’une forme à l’autre, non pas à la manière du passage du tout à la partie, mais à la manière du global au local. Une singularité possède les caractéristiques suivantes :
Le concept de singularité permet donc d’isoler analytiquement et logiquement les différentes formes. Le corps humain est une singularité de la forme sociale qui est elle-même une singularité de la forme naturelle. De fait, le concept de singularité ne réduit pas la complexité du phénomène, il la synthétise parce qu’il passe d’un niveau formel à un autre, de la forme la plus englobante à la forme la plus précisée, du global au local [12]. Le corps humain est donc un concentré de social qui est lui-même un concentré de naturel. Mais il existe aussi du social qui n’est pas humain ou du naturel qui n’est pas social. Le passage d’une forme à l’autre ne change pas la complexité des formes plus générales puisqu’il reprend toujours la définition de la forme précédente à laquelle on rajoute une caractéristique de plus. On ne perd donc pas d’information.
Ainsi, vouloir comprendre l’individu et son comportement exige du chercheur qu’il s’interroge sur les contraintes qui pèsent sur lui. Autrement dit, la nature individuelle n’est pas dans l’individu, elle est au contraire hors de lui, dans la forme sociale. En tant que corps, l’individu humain n’est pas libre. Il adapte son comportement aux changements morphologiques qu’il subit. Par exemple, dans la période actuelle où l’utilitarisme et l’organisation logique constituent les fondements (des bords) de la forme sociale, il n’est pas étonnant de voir apparaître un homo oeconomicus maximisateur. L’individu ne fait que s’adapter aux exigences sociales. On ne peut donc pas en conclure que l’individu est, dans son essence, maximisateur. Dans d’autres configurations sociales, il était religieux ou autre chose.
Nous avons donc mis en évidence dans ce paragraphe la cosmogonie morphologique qui fait l’hypothèse d’une organisation nécessitant l’introduction du concept de singularité. L’individu, puisqu’il est la forme ayant le plus de caractéristiques, se trouve être la singularité ultime. Cette position lui donne la capacité de percevoir l’ensemble des changements formels (ce qui explique certainement en partie sa faculté d’entendement) tout en les subissant tous. Or, la double caractéristique de cette position ultime est aussi ce qui va permettre à l’individu de renverser le déterminisme qu’il subit, et de s’en échapper, grâce à cette faculté de son entendement. Pour comprendre ce point, il faut recourir à la philosophie de Kant.
La thèse de l’individu comme singularité sociale pose inévitablement la question du déterminisme et de l’impossibilité d’expliquer les caractères propres à chaque individu, c’est-à-dire l’identité personnelle. Le morphologisme n’ignore pas cette critique d’un déterminisme trop fortement structuraliste (ou plus exactement morphologique). Mais il est possible, dans son cadre d’analyse, d’offrir les degrés de liberté nécessaires à l’apparition d’une identité personnelle, sans pour autant renier les fondements fortement holistes, et dans un certain sens déterministes, qui sont à la base du morphologisme.
Certes, le morphologisme considère que les formes sont données par ce que nous avons nommé l’espace ontologique. Mais, le morphologisme ne considère pas que l’espace ontologique soit équivalent à l’espace phénoménologique, c’est-à-dire à l’espace des phénomènes visibles par chacun. Bien au contraire, ces deux espaces sont différents [13]. Non pas dans les formes qu’ils donnent à voir puisqu’elles sont strictement identiques, mais dans les contenus de ces formes. Le contenu d’une forme ontologique est une matière ontologique, inaccessible. Par contre, la matière phénoménologique, c’est-à-dire la matière qui « remplie » les formes visibles afin de nous donner à voir les phénomènes, est une matière différente. Pour découvrir la nature de cette matière phénoménologique, il suffit de retenir la définition du phénomène donnée par Kant. Elle stipule que chaque phénomène est un construit qui donne à voir du sens. Ainsi, la matière phénoménologique est un construit qui donne du sens à la forme. Dès lors, ce sens est produit dans un autre espace (le troisième espace du morphologisme), l’espace des connaissances ou « espace épistémologique » (que ces connaissance soient scientifiques ou pas, peu importe) propre à chaque individu.
Ainsi, bien que le morphologisme, s’inscrive ontologiquement dans un courant fortement déterministe, il offre la possibilité de comprendre les identités personnelles en définissant l’espace phénoménologique comme un espace individuel, propre à chaque corps, porteur d’un certain nombre de connaissances acquises.
On peut ainsi synthétiser la philosophie morphologique grâce au schéma suivant :
Ainsi, l’espace phénoménologique se trouve être l’espace de la synthèse entre une objectivité donnée et un sens construit. Il s’agit donc d’un espace personnalisé. Ce qui signifie que bien que vivant tous dans le même cadre ontologique, les individus vivent dans leur propre réalité, si l’on considère que la réalité est l’ensemble des phénomènes (et non pas des choses en soi ou noumènes qui appartiennent à l’espace ontologique). L’espace phénoménologique est objectif dans sa configuration et subjectif, donc relatif (si l’on omet les processus organisés de diffusion et de contrôle des connaissances, tels que la science) dans son sens.
Ainsi, l’identité de chaque corps se construit dans l’étendue et le nombre de matières épistémologiques qu’il est capable de fournir. Mais comment se construisent ces matières épistémologiques ? Là encore, le recours à Kant est précieux, notamment lorsqu’il explique la construction de concepts et donc de phénomènes. Pour lui, un concept, qui est l’entité de l’espace épistémologique, est toujours l’association d’une intuition avec un contenu de l’entendement (qui recoupe à la fois l’imagination, la schématisation et l’abstraction). Dès lors, qu’est-ce que l’intuition dans le langage morphologique ? Il s’agit ni plus ni moins des sensations éprouvées par le corps lors de son cheminement dans l’espace ontologique, car le corps humain étant une forme, se déplace dans l’espace ontologique. Ce cheminement (qui correspond aux expériences kantiennes) amène le corps à se heurter à d’autres formes (y compris inconnues) puisque la définition même d’une forme est d’être une entité occupant un espace (et donc privant l’accès à cet espace à d’autres formes). Ces rencontres avec des formes apportent un certain nombre d’informations que Kant appelle des intuitions. Celles-ci sont alors ’analysées’, ou non, par l’entendement pour donner naissance à des concepts qui sont les représentants, dans l’espace épistémologique, des formes.
Nous passerons ici sur les contraintes liées à la fabrication de ces concepts (et notamment pour les sciences à la nécessité de fournir un concept isomorphe) pour ne conserver que l’ouverture sur la construction d’une identité personnelle.
Dans ce cadre, seule la liberté offerte par la possibilité d’un cheminement corporel individualisé peut nous offrir une voie de compréhension à l’identité. En effet, rien ne dit que ces cheminements doivent être identiques pour tous les corps humains, au contraire. La seule chose que postule le morphologisme est que l’espace dans lequel s’effectue le cheminement (c’est-à-dire l’espace ontologique) est strictement identique pour tous. L’intensité et la diversité de ce cheminement, c’est-à-dire des expériences corporelles, sont individualisées et sont donc la source de l’identité.
L’individu est individu parce qu’il possède un corps et que, de ce simple fait, il est amené à se déplacer dans l’espace ontologique et donc à faire des expériences. L’ensemble des intuitions tirées de ces expériences sera la base d’un processus intellectuel de conceptualisation qui fournira la matière épistémologique nécessaire à l’enrichissement de l’espace phénoménologique de chacun. Il existe donc un lien très fort entre le volume de connaissances possédées par chaque individu et la richesse de la réalité de celui-ci. « Les frontières de mon langage sont les frontières de mon monde » [15] disait Wittgenstein.
La question qu’il nous reste à appréhender est celle de l’origine de ce cheminement. A cette question plusieurs réponses sont a priori possibles. Tout d’abord, il y a la réponse déiste qui consiste à renvoyer la question de cette origine à un être métaphysique qui aurait pour rôle d’orienter le cheminement de chacun. Bien que concevable, y compris dans le morphologisme, cette réponse ne nous semble pas satisfaisante, car elle ne fait que repousser la question en la renvoyant aux théologiens qui devront s’intéresser à la nature de cet être métaphysique, à ses propriétés, et à son lien avec l’espace ontologique.
La deuxième hypothèse possible est celle du hasard. Selon elle, le cheminement des corps dans l’espace ontologique est lié au hasard. Il serait alors impossible de donner une réponse, sinon celle du hasard, pour expliquer les identités différentes. Cette hypothèse est également possible, mais elle est porteuse d’un postulat concernant l’histoire. En effet, souscrire à l’hypothèse du hasard, c’est négliger l’histoire et les apprentissages des corps. C’est aussi oublier l’aspect situé de chaque expérience. Or, il nous semble que le corps lui-même est dans le temps (notamment puisqu’il vieillit, s’il fallait donner un argument en faveur de cette assertion) et a donc une histoire. Cette histoire, notamment si elle donne lieu à un travail intellectuel (ici notamment de fabrication de matière épistémologique), est donc constitutive d’une mémoire. Le cheminement d’un corps ne peut donc être insensible à cette mémoire. L’hypothèse d’une marche au hasard du corps au travers de l’espace ontologique nous semble donc extrêmement peu probable.
L’hypothèse privilégiée par le morphologisme est celle d’un cheminement qui se construit au fur et à mesure que se rencontrent les expériences, en prenant bien garde de tirer des enseignements des expériences précédentes. Le nombre et la diversité des expériences, et donc des formes, rencontrées au cours de la praxis corporelle fournit deux sortes d’enseignements : tout d’abord, un enseignement purement corporel qui reviendrait à dire que le corps a horreur des chocs et apprend donc (inconsciemment) à s’en protéger ; ensuite, un enseignement intellectuel, plus élevé, qui, passant par les facultés de l’entendement, fournit au corps une explication des intuitions et permet donc de fournir une ’carte’ de l’espace ontologique. Si cette carte est suffisamment isomorphe avec l’espace ontologique, alors elle permet de tracer des chemins déjà connus et d’esquisser des sentiers à explorer lors de futures promenades du corps.
L’identité d’un individu a donc à voir avec ses expériences et avec le fait de savoir si celles-ci ont donné lieu à une interprétation intellectuelle ou pas. Ainsi, le morphologisme renoue-t-il avec une tradition de la quête de la liberté et de l’identité passant par la recherche de la connaissance pour la connaissance, chère à bon nombre de philosophes anciens. En plus, le morphologisme ne nous dit-il pas que cette quête d’expériences est accessible à tous les êtres humains puisqu’ils ont tous la possibilité de se mouvoir dans l’espace ontologique ?
Pour conclure nous voudrions rappeler les trois questions, ainsi que les trois réponses que nous leur avons données, qu’engendre, à nos yeux, la problématique de l’individualité passée au prisme du morphologisme. A la première question portant sur l’origine des individualités ’physiques’ ou ’sensorielles’, le morphologisme a pris le parti de reprendre, en lui donnant une lecture quelque peu différente, la thèse défendue par Aristote qui fait appel à deux principes : celui de l’hylémorphisme et celui de l’entéléchie. Ainsi l’individuation de la matière devient le résultat d’un processus inconnu de réalisation de formes dans un espace dont la connaissance nous est voilée par le fait que la matière nous apparaît toujours comme déjà formée. L’individualité renvoie alors au concept de forme.
La deuxième question que nous avons traitée est celle de la relation entre les caractéristiques qui proviennent du tout (notamment de la société) et celles qui relèvent de l’individué (de l’individu). Cette question se divise en deux. Tout d’abord, elle interroge le lien entre la société et l’individu, et donc les caractéristiques sociétales présentées par l’individu. Pour répondre à cette question, le morphologisme considère que l’individu est une singularité de la forme sociale, ce qui signifie qu’il en est à la fois le produit et le représentant. L’individu est une synthèse de la société et la société est la synthèse des individus. Ainsi, les individualités humaines sont toujours des synthèses de la forme sociale qui les fait apparaître à son gré, selon les tensions internes qui la tiraillent. L’individualité est alors une singularité.
Enfin, pour ce qui est des caractéristiques propres à chaque individu, question qui renvoie à celle de la liberté, le morphologisme fait intervenir un degré de liberté entre l’espace ontologique et l’espace phénoménologique. Ce que l’on voit est nécessairement ce qui est ; mais on ne voit pas tout ce qui est, et surtout on ne voit pas tous la même chose. L’espace de ce que l’on voit (espace phénoménologique) nécessite l’utilisation du concept de phénomène qui fait intervenir l’idée de connaissance (et donc d’espace épistémologique). Pour résumer, l’individu est porteur d’un espace épistémologique personnel, qui correspond à sa ’caractéristique propre’. Or, cet espace est le fruit d’expériences vécues et parfois ’théorisées’. Ainsi, l’individualité est le fruit d’un cheminement corporel associé à un travail d’abstraction intellectuelle.
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[1] « Ce que l’on appelle usuellement une forme, c’est toujours, en dernière analyse, une discontinuité qualitative sur un certain fond continu » [R. Thom, Prédire n’est pas expliquer, Paris, Flammarion, 1991, p. 35].
[2] Nous distinguerons ici l’espace ontologique continu et l’espace phénoménologique discontinu.
[3] E. Bréhier, Histoire de la philosophie, p. 178
[4] Aristote, Métaphysique, Paris, Pocket, 1991, 5,1048 a 36
[5] En effet, le principe hylémorphique pose comme dynamique génétique des formes l’idée de « la matière aspirant à la forme » (A. Boutot, L’invention des formes, Paris, Odile Jacob, 1993, p. 277).
[6] La réalisation, ou préférablement l’entéléchie, se donne à voir chez Aristote à la fois comme une entrée dans l’empirie et comme une actualisation des êtres en puissance.
[7] L’expression ’tout se passe comme si’ est une manière ici employée pour exprimer une hypothèse de travail sur l’espace ontologique, qui tient à souligner la nature absolument hypothétique et certainement pas ontologiquement valide de la proposition faite.
[8] « La forme n’est pas séparée de la matière et ne s’impose pas du dehors, mais la matière s’informe d’elle-même et par elle-même. » (A. Boutot, L’invention des formes, Paris, Odile Jacob, 1993, p. 277)
[9] « Pour eux [les morphologistes], comme pour Aristote, la forme n’est pas un épiphénomène inconsistant, mais constitue l’essence même du réel… On peut y voir une résurgence du schème aristotélicien de l’hylémorphisme : la matière aspirant à la forme. L’essence détermine l’existence, la forme mathématique détermine la matière sensible, mais ni l’essence ni la forme ne sont des réalités transcendantes, comme chez Platon. La forme n’est pas séparée de la matière et ne s’impose pas du dehors, mais la matière s’informe d’elle-même et par elle-même. » (A. Boutot, L’invention des formes, Paris, Odile Jacob, 1993, p. 277)
[10] Ici le verbe ’apparaît’ est utilisé comme synonyme de ’est présente et peut être découverte’.
[11] De la forme comme eidos on passe à la forme comme morphè. La forme devient un être en acte, elle prend alors une étendue dans l’espace phénoménologique. Elle ex-iste au sens étymologique de ’être au dehors’ c’est-à-dire dans l’empirie.
[12] Le principe méthodologique de la distinction local/global est un dépassement de la controverse traditionnelle entre holisme et individualisme méthodologique parce qu’il considère que le local a connaissance du global. En ce sens, on peut donc interroger le local pour atteindre le global (ici l’individu pour connaître le social). Mais, il ne faut pas oublier que le point de vue d’une individualité n’est jamais que la vue d’un point, c’est-à-dire le regard à partir d’une position. Ainsi le principe de singularité n’est pas contre l’interrogation des individus puisqu’il leur donne un sens, mais il insiste sur la nécessaire inclusion du discours de l’individu dans un contexte plus large.
[13] Ceci ancre le morphologisme dans la tradition phénoménologique.
[14] Georg Simmel développe également une sociologie reposant sur la distinction forme/contenu. Mais, à la différence du morphologisme, celui-ci considère que la matière est donnée alors que la forme est un construit. Ainsi, pour Simmel, les individus ont un contenu individuel (désirs, pulsions, intérêts, etc.) propre qu’ils tentent d’exprimer à travers des ’accords’ de formes de socialisation. Néanmoins, il nous semblerait intéressant, à l’avenir, de questionner à nouveau les thèses de Simmel à l’aune du morphologisme car à y regarder d’un peu plus près il semble que sous certains aspects il soit possible de combiner ces deux approches.
[15] L. Wittgenstein, Tractatus Logico-philosophicus, Paris, Gallimard, 1993
Duperthuis Denis, « L’individu morphologique : sa genèse, son lien avec le social et son identité propre », dans revue ¿ Interrogations ?, N°5. L’individualité, objet problématique des sciences humaines et sociales, décembre 2007 [en ligne], https://www.revue-interrogations.org/L-individu-morphologique-sa-genese (Consulté le 6 décembre 2024).