Accueil du site > Numéros > N° 29. In Vino Humanitas. Des usages du vin dans les sociétés > Partie thématique > Vin et terroir(s) : une identité entre mythe et réalité


Collet-Parizot Anne

Vin et terroir(s) : une identité entre mythe et réalité

 




Nota bene : Une version remaniée de cet article a été publiée dans Terroir viticole : espace et figures de qualité, collection Tables des Hommes, Presses universitaires François Rabelais, avec le consentement de la revue Interrogations

 Résumé

Parler du vin est le signe d’une socialisation évidente et cette démarche à la mode s’inscrit dans l’intérêt global porté à la gastronomie. Pour construire le discours autour de ce produit largement marketé, le recours à une classification basée sur les labels et appellations (AOP, AOC) est nécessaire mais non suffisante, semblfigue-t-il, puisque la notion de terroir s’est largement invitée dans de nombreux discours et sur les supports. La recherche d’authenticité et de proximité a gagné l’ensemble du marché gastronomique et œnologique que la notion de terroir, à elle seule, suffirait à représenter. En effet, le terroir correspondrait à un signe identitaire proposé par les viticulteurs mais revendiqué également par les consommateurs, en quête de naturel, de campagne et emprunts d’une certaine nostalgie face aux produits d’antan. Comment définir le terroir ? Comment est-il mis en valeur dans le discours œnologique ? Quelles représentations et quel imaginaire met-il en œuvre dans le discours ? Cet article vise à étudier les différents emplois du terme « terroir » dans des situations de communication spécifiques afin d’en souligner toutes les subtilités. Nous nous attacherons principalement aux discours en étudiant des titres d’ouvrages dans la littérature du vin, la description « commerciale » de vins et les étiquettes présentes sur les bouteilles de vin qui révèlent certaines caractéristiques discursives textuelles ou iconiques.

Mots-clés : authenticité ; terroir ; patrimoine ; identité ; storytelling.

 Abstract

Wine and Terroir(s) : an Identity between Myth and reality

To speak about wine is obviously a sign of socialization, but is also a trend, which is part of the global interest in gastronomy. In order to build up discourses on wine, which heavily draw on marketing communication, referring to AOP and AOC labels and classifications does seem to be necessary but not sufficient, as the notion of ‘terroir’ has become prominent in many discourses and on a variety of media. The crave for authenticity and proximity permeates gastronomy and oenology markets, and the idea of terroir alone seems capable of just responding to this crave. Terroir can be seen as a warrant of identity offered by wine growers and makers, but is also demanded by consumers in quest of nature and countryside, and nostalgic of products from days of yore. How then should we define ‘terroir’ ? How is it promoted in wine discourse ? What kind of representations and images does it convey ? The aim of this article is to investigate on the use of the term ‘terroir’ in a number of specific communication situations in order to map its meaning. We will focus on discourses at work in presentations of book titles in wine literature, in marketing descriptions of wines, and in wine bottle labels, which make us of specific textual or visual resources.

Keywords : authenticity, terroir, cultural heritage, identity, storytelling

 Introduction

Cet article s’attache à la notion de « terroir » présente dans le discours sur le patrimoine œnologique et cherche à en identifier les différents emplois et sens qui construisent autour du concept, un halo sémantique flou. Pourtant cette notion (comme celle de « minéralité ») constitue un élément marketing que le consommateur apprécie et elle joue un rôle dans le développement des politiques touristiques actuelles. Le terroir et le vin, « boisson totem » (Barthes, 2010 [1957]) s’associent volontiers dans une même construction humaine, qui réunit dans un univers complexe, producteur, vendeur et consommateur. Le consommateur amateur expert ou novice [1] est de plus en plus attentif à l’origine du vin, il cherche à comprendre les appellations, à parler du vin et de notes de dégustation. La consommation se fait qualitative et le marketing réputationnel joue un rôle non négligeable dans la promotion des produits, contribuant ainsi au développement de l’œnotourisme. Le producteur et le vendeur doivent donc tenir compte de ces impératifs dans leurs stratégies communicationnelles.

De nos jours, la notion de terroir est de plus en plus convoquée et invoquée dans la présentation de produits. Même si ceux-ci peuvent être de nature différente, le concept de « terroir » devient un argument qui séduit et s’affiche comme la garantie d’une certaine authenticité - même si celle-ci reste parfois à prouver (Barrey, Tell, 2011) - et d’une certaine qualité ou naturalité. Il peut ainsi être utilisé par les producteurs ou les distributeurs tant il est recherché par les consommateurs amateurs profanes ou experts. Il concrétise un certain idéal et semble s’inscrire dans une nostalgie qui repose sur la recherche de racines.

Correspond-il à une réalité particulière, est-il une manifestation d’un besoin d’identité ou encore l’expression de recherche de « frontière » dans un marché mondialisé où les individualités sont quelque peu bousculées ? Entre quête de racines et recherche d’esthétisation, le terroir est-il l’avenir du vin, alors que le discours commercial joue aisément de la terminologie vin de terroir et vin du terroir ? Ces expressions proches syntaxiquement sont cependant sensiblement différentes. En effet, nous distinguerons dans le cadre de l’analyse de sémantique référentielle « le vin de terroir » qui renvoie à une classification et à une dénomination particulière, de l’expression « vin du terroir » qui correspond à une qualification et un terroir donné.

La première partie de l’article reviendra sur la notion de terroir en s’appuyant sur deux axes qui constituent le paradigme du concept. Un axe horizontal lié à la dimension géographique et territoriale et un axe vertical qui ancre le terme dans une dimension plus sacrée, de la terre au « ciel », où se construisent mythologies, récits, histoires et où la main de l’Homme est également présente.

La seconde ouvrira la porte aux différentes utilisations du mot « terroir » dans les discours à partir d’un corpus spécifique constitué d’une part des titres d’ouvrages, les sites référencés, le storytelling accompagnant le discours promotionnel d’un vin sur les sites spécialisés en vente de vin, et d’autre part des dénominations ou encore les illustrations présentes sur les étiquettes des bouteilles de vin.

 Le terroir : des définitions

Pour cerner le concept de « terroir », nous nous appuierons sur un article traitant de la notion de terroir dans le domaine de la gastronomie et du patrimoine alimentaire (Parizot, 2015).

Un périmètre géographique

Terroir, terre, territoire présentent une homophonie évidente. L’étymologie révèle le mot tieroir (1212), du latin terratorium qui signifie territoire pendant une longue période. Avec l’apparition de l’Église et de l’État comme autorités administratives, le terroir se limite à cet espace délimité par ces autorités. Puis, selon A. Rey (2005 : 1349 et suivantes), le terroir s’apparente à « une région rurale, considérée comme la cause des caractères particuliers des habitants  » et prend un sens « spécialisé pour caractériser un sol apte à la culture du vin » (vin souffrant des contrefaçons au début du XXe siècle). Avec les AOC (1935) le terroir renvoie à l’aire d’appellation. Puis, vers 1960 il représente l’alliance entre le fruit de la nature et le travail de l’homme (Péan, 2011 ; Parizot, 2015).

L’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) a créé les appellations d’origine protégée (AOP) pour des produits identifiés « par un savoir-faire reconnu dans une même aire géographique » et les appellations d’origine contrôlée (AOC) étape vers l’AOP, protégeant ainsi la dénomination sur le sol français, et « le terroir fonde le concept des Appellations d’origine [2]  ».

« Un terroir est une zone géographique particulière où une production tire son originalité́ directement des spécificités de son aire de production. Espace délimité dans lequel une communauté́ humaine construit au cours de son histoire un savoir-faire collectif de production, le terroir est fondé sur un système d’interactions entre un milieu physique et biologique, et un ensemble de facteurs humains. Là se trouvent l’originalité́ et la typicité́ du produit. [3] »

Ces classements s’appuient sur la région, le département ou une ville. Rarement le terroir sert à les identifier.

Le CNRTL [4] propose une liste de synonymes qui soulignent largement les indications géographiques comme le montre le document suivant :

PNG - 1012.3 ko

Figure 1. Terroir et synonymes selon le CNRTL

Le recours à la proxémie permet de dresser l’inventaire des relations entretenues entre les termes et de créer un faisceau de relations plus large tout en déterminant des champs sémantiques spécifiques. Nous reproduisons le schéma ci-dessous.

PNG - 231.5 ko

Figure 2. Terroir et relations proxémiques selon le CNRTL

Les relations proxémiques déterminent sept types distincts (signalés par l’utilisation de couleurs différentes) en lien avec le terroir. Les termes de proxémie relevés présents dans la liste ci-dessous sont plus ou moins nombreux en fonction de la relation entretenue.

PNG - 42.7 ko

Figure 3. Liste des termes de proxémie autour du « terroir » selon le CNRTL

Ainsi, les termes de proxémie reprennent les synonymes évoqués précédemment et nous pouvons noter les champs sémantiques et conceptuels qui en découlent, en relation avec l’histoire, la géographie, le découpage territorial et culturel…

Une histoire

Alors que certains auteurs rattachent le terroir au lieu (Bérard, Marchenay, 2004), d’autres y voient une construction pour répondre à un besoin identitaire (Corbeau, 2004) et valoriser des produits régionaux en redonnant aux consommateurs la possibilité de s’inscrire dans un espace et une histoire : « Consommer un produit de terroir, c’est s’inscrire dans un espace qui raconte une histoire. Il permet de créer un lien social entre le consommateur et le producteur. […] » (Cadoux, 2013 [5]).

Le terroir se charge de nouveaux sens qui se superposent et que l’Unesco, en 2005, précise : ainsi espace géographique, histoire et traits culturels le définissent [6], alors que la filière viticole conserve la définition agronomique avec des caractéristiques pédoclimatiques (Prévost et alii, 2014).

Alors que chacun « se crée » sa définition liée à ses propres représentations, le terroir se charge le plus souvent d’une valeur positive liée à la qualité et ouvre sur un imaginaire de l’authentique (Lipovetsky, Serroy, 2013). Cet authentique constitue alors un patrimoine naturel qui a besoin de la main de l’homme pour exister, alors que le vin s’inscrit souvent dans une dimension sacrée divine.

La patrimonialisation

Le terroir n’est donc pas confiné à une dimension territoriale mais il renvoie également à l’origine. Selon Bérard et Marchenay (2000), les produits du terroir présentent une dimension territoriale (origine géographique), une dimension culturelle et historique. Ils les associent aux biens culturels d’une région au même titre que les monuments, les paysages, ils obéissent aux nouvelles visions de l’agriculture, séduisent le tourisme, l’aménagement du territoire ou encore les réformes pour la désertification des campagnes. Ils constituent un réel patrimoine faisant lien entre les cultures et cette dimension patrimoniale leur confère la légitimité que la typicité ne saurait sans doute établir.

Dans un article de l’INRA (2010), intitulé « La recherche au service du positionnement marketing des produits  », Patricia Le Crenn note :

« Les études mettent en évidence un décalage de perception de la typicité selon les acteurs : les producteurs en ont une représentation conceptuelle, reposant sur l’image qu’ils se font du vin à produire : un vin haut de gamme à forte personnalité, à couleur intense. Certains vins, proches de l’image que se font les vignerons, sont les plus appréciés des consommateurs non avertis, notamment ceux marqués par leur ’rondeur’. Ces consommateurs n’associent ces qualités qu’à la région ; ils ont une idée très imprécise de la notion de terroir. Même s’ils sont plus précis, les consommateurs avertis n’intègrent que les facteurs naturels de l’environnement du terroir. Cela peut s’expliquer par un déficit d’image sur lequel les producteurs doivent désormais s’investir [7]. »

Ces remarques font état du décalage de perception et de représentation de la notion de terroir entre producteur et consommateur. Elles soulignent également la richesse voire le flou qui entourent le concept. D’ailleurs ces conceptions particulières semblent spécifiques à la France.

Terroir et sacralisation française

Thomas Parker (2017) revisite le concept de terroir dans son ouvrage traduit en français Le goût du terroir [8]. Selon lui, une mythologie culturelle s’est développée en France autour de ce concept entre la Renaissance et la Révolution française, touchant des domaines hétéroclites dont l’œnologie. Il souligne la relation particulière des Français à la terre, source d’un comportement humain spécifique. Le terroir a donc connu une évolution singulière, entre reconnaissance demandée ou au contraire besoin de l’ignorer, en étant fortement imbriqué dans la dimension linguistique de l’évolution de la langue. Aussi, en 2014, un sénateur [9] est à l’origine d’un amendement visant à sacraliser le vin et le terroir, comme élément de patrimoine (culturel, gastronomique et paysager) français.

Ces explications confortent l’analyse formalisée par le carré sémiotique suivant qui vise ici à rendre compte des dimensions entre lesquelles le terroir est « tiraillé » et celles-ci soulignent la relation étroite entre géographie et histoire, ou encore nature et culture (Parizot, 2015).

Rappelons que le carré sémiotique met en exergue les relations entre les signes sémiotiques.

Il est à la fois comme le signale L. Hébert (2006) :

« Un réseau de concepts et une représentation visuelle de ce réseau. […] Il permet en effet de raffiner les analyses par oppositions en faisant passer le nombre de classes analytiques découlant d’une opposition donnée de deux (par exemple, vie/mort) à quatre (par exemple, vie, mort, vie et mort : un mort-vivant, ni vie ni mort : un ange), huit voire dix [10]. »

Aussi nous pouvons proposer le carré sémiotique suivant autour du terroir. Les deux premiers termes (termes A et B) forment l’opposition (relation de contrariété), ici le couple géographie-nature s’oppose au couple histoire-culture, base du carré et les deux autres (le terroir n’est pas qu’une histoire et peut échapper à la géographie) sont obtenus par la négation de chaque terme de cette opposition. Les autres termes de ce carré sémiotique font état de l’opposition entre ce qui est donné et ce qui est construit, ce qui est unique et authentique par rapport à ce qui est multiplié et industrialisé.

PNG - 56.2 ko

Figure 4. Carré sémiotique, Parizot 2015, p.585

En définitive, la dimension « terroir » renvoie à un idéal de produits sains, de produits de qualité et respectueux de l’environnement. Émerge alors un besoin de sens et de relation porté par la connaissance (et la reconnaissance) d’une origine, d’un producteur visant la valorisation du produit. Du reste, certains auteurs mettent particulièrement les terroirs à l’honneur (Rigaux, 2011) en ancrant le concept dans une dimension largement positive et valorisante. Il ne nous a pas échappé que les circuits œnotouristiques se développent actuellement en France (Rigaux, 2018) et usent du concept de « terroir ». « Connaissance des terroirs » [11], « Œnotourisme, terroir et patrimoine » [12], « Œnotourisme et escapades dans nos régions, terroir évasion  » » [13] sont autant d’exemples de sites associant terroir et tourisme avec des objectifs « nobles » : la connaissance, le patrimoine (entre sauvegarde et transmission), le bien-être, le partage et une forme de vie.

Nous nous sommes risquée à définir le terroir et nous en avons montré les limites. Il convient dès lors d’analyser les occurrences en discours à partir d’un corpus afin de dégager la représentativité de la relation vin/terroir.

 Le terroir en discours

Pour étudier les contextes d’apparition, les significations et représentations du mot « terroir », nous avons entrepris de constituer un corpus à partir de diverses sources. Il s’agit d’une part d’un relevé des œuvres bibliographiques en retenant plus particulièrement les titres comprenant l’association « terroir » et « vin », autrement dit du « terroir viticole ». Il est intéressant de s’arrêter sur la notion de « terroir viticole » reprise par Emmanuelle Vaudour (2003). Si le mot « terroir » renvoie à une étendue de terre limitée considérée du point de vue de ses aptitudes agricoles, il doit être spécifié par rapport aux produits issus de cette terre ou localité. Ainsi « terroir viticole » renvoie spécifiquement à la vigne.

D’autre part, l’analyse portera sur les discours repérés sur les sites commerciaux œnologiques. Ces discours se rapportent soit directement au produit, soit servent à définir ou présenter le contexte du vignoble, du viticulteur. Le plus souvent le mot « terroir » apparaît soit comme terme de référencement associé à vin, viticulture ou encore produits, soit plus particulièrement dans le storytelling du domaine viticole, du producteur ou du distributeur.

Enfin, nous avons également choisi d’étudier les étiquettes des bouteilles qui présentent, elles aussi, un discours où le terroir est présent. Celui-ci apparaît alors sous forme textuelle et/ou sous forme iconique et nous nous appliquerons à dégager le sens de ces messages.

Nous pouvons rappeler que les expressions « produits de terroir » ou « vin de terroir » n’a pas d’équivalent dans les autres langues (Parizot, 2015 : 582) En effet le mot « terroir » est une création typiquement française qui correspond comme nous l’avons déjà signalé, à une histoire particulière du pays. Il sera donc intéressant de s ‘attarder sur les expressions « vin de terroir et vin du terroir ».

Petite revue littéraire

Nous avons établi une liste des ouvrages présents sur le site Amazon [14] en prenant comme éléments directeurs « les vins du terroir ». Nous avons écarté du corpus toutes les références bibliographiques qui ne comprenaient pas au moins les deux occurrences « terroir » et « vin » dans le titre mais nous avons accepté également d’étendre la recherche à « viticulture », pour marquer la relation au vin. Nous n’avons retenu aucun autre critère de sélection. Ainsi nous avons obtenu par exemple cette liste d’ouvrages :

Par exemple l’ouvrage Les terroirs du vin de Cahors est écrit par un universitaire en géographie qui s’intéresse au patrimoine rural. La géographie viticole à travers les prismes de la géomorphologie, de la climatologie des terroirs et des AOC constitue le cœur de ses recherches. L’orientation « géographie » détermine le choix de parler des « terroirs ».

L’ouvrage Les terroirs du vin de 2008 explicite la relation quaternaire du terroir avec : un sol, un microclimat, un cépage et des Hommes. L’auteur retrouve dans le sol l’âme du vin à travers les temps géologiques. Il y a donc un regard particulier à nouveau sur la géologie qui détermine la typicité d’un vin. Cette proximité des occurrences laisse pressentir une complexité qu’il convient d’aplanir et nous ferons appel à la sémantique référentielle pour lever l’ambiguïté.

Sémantique référentielle

L’occurrence « terroirs du vin » présente une construction syntaxique identique aux deux autres : Nom + complément du nom, [N de/du N]. Cependant, dans cet exemple précis et contrairement aux deux autres occurrences, le nom déterminant est « terroir » reléguant « vin » à une fonction complétive. Une construction plus complexe peut être relevée en précisant l’origine géographique du vin : [N de N de N] : Les terroirs du vin de Cahors. En analysant en miroir les constructions, « vin du terroir » présente la même structure mais un ordre différent des unités. Ainsi, c’est bien « vin » qui dénomme alors que « du terroir » qualifie et renvoie donc à un terroir donné. Reste « vin de terroir ». L’occurrence présente une construction identique [N de N] mais cependant différente. En effet, « vin de terroir », est une dénomination. « Terroir » sert à catégoriser au niveau conceptuel et le complément du nom est dit « classifiant ».

Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le concept « vin de terroir ». Émilie Merienne [15] sommelière, précise ce qu’est un vin de terroir : «  La notion de terroir permet d’honorer l’individualité, la personnalité du produit, né du terroir. D’après la définition, on peut considérer que tout vin issu d’un terroir est un vin de terroir, et sous cet angle, tous les vins AOC sont des vins de terroir. » Elle souligne que la standardisation des vins répond à une demande de qualité gustative constante, qui est à l’opposé de la notion de vin de terroir. Cette dernière semble être à l’usage du consommateur qui apprécie voire réclame cet élément mais, en réalité, ne correspond pas à ce type de vin. Le terroir est selon elle, un argument commercial.

Une des questions qui vient à l’esprit est quel est lien entre support et utilisation d’une terminologie particulière. Autrement dit, les usages ci-dessus étudiés sont-ils spécifiques à la fonction de titres ou au modèle littéraire ? Pour répondre à cette interrogation, nous analyserons le discours commercial des sites marchands et plus particulièrement les occurrences faisant mention des mots « terroir et vin ». Nous les relèverons tout d’abord sur les entêtes des sites commerciaux. Celles-ci permettront d’analyser les références grâce aux mots directeurs mais également les discours commerciaux qui leur sont généralement attachés.

Sites et discours commerciaux

Notre recherche sur Internet s’est organisée autour des sites et discours commerciaux, en suivant la démarche méthodologique évoquée précédemment. Le marché du vin est assez étendu en France car le vignoble français produit 3240 vins différents pour 1313 dénominations sur 80 départements et 16 grands vignobles [16]. 

A titre d’exemples, nous avons relevé :

Cave et vins du terroir français [17],

Couleurs de vins et de terroirs [18]

Champagne de terroir [19]

Vin de terroir [20]

PNG - 32.8 ko

Figure 5. Logo du site vin de terroir

Nous ne saurions prétendre à l’exhaustivité mais nous constatons que le mot « terroir » apparaît comme thème de référencement et donc est un élément d’appel pour le consommateur, quitte à ne plus réapparaître aussi nettement ensuite. Il existe aussi un salon des vins de terroir et de produits régionaux [21], événement repris par la presse locale qui prône la relation avec le producteur :

« Cinq bonnes raisons d’aller au Salon des vins de terroir de Seclin […] Le Salon des vins de terroir et produits régionaux en est à sa… 42e édition ! 306 exposants attendent plus de 15 000 visiteurs […] Pour épater vos amis lors des diners. Amener une bouteille à un repas et pouvoir parler du producteur, ça en jette, non ? Même quand on le déguste chez soi, il est toujours plus agréable de savoir d’où il vient, qui le produit et comment… L’un des gros avantages d’un salon, c’est bien entendu la rencontre avec les vignerons, souvent passionnants. » Anne-Gaëlle Dubois, Extrait de la Voix du Nord, 3 novembre 2017, p. 14.

Généralement les appellations sont des vins de terroirs mais nous noterons une particularité concernant un vin IGP (Indication d’origine contrôlée). Alors que les vins de pays se distinguent précisément par l’indication du pays comme « les vins du pays de Vaucluse » ou « le vin de pays du comté tolosan », « le vin de pays du terroir landais [22] » correspond à une appellation protégée correspondant à un signe d’identification de l’Union européenne. C’est la seule désignation repérée avec le mot « terroir » parmi la petite trentaine d’appellations régionales du sud-ouest.

Entrons un peu plus dans le discours commercial en abordant le storytelling qui, concernant le vin, est bien présent. Par storytelling nous entendons le discours verbal ou non verbal qui se livre sous forme d’une histoire. Il s’agit d’une stratégie de communication qui emprunte aux récits et immerge le consommateur [23] dans un univers spécifique. Mais sans doute encore plus que le récit d’une histoire, le storytelling devient l’art de raconter des histoires pour servir la communication et la notoriété de la marque. Le consommateur est dans une attente narrative (Salmon, 2007 : 32) et la notion d’imaginaire intervient. Le consommateur n’achète plus le produit pour lui-même mais pour l’histoire qu’il représente. En effet depuis toujours, les mythes et les récits fondateurs ont un pouvoir de séduction fort. Ils sont particulièrement convaincants pour faire passer des messages car le storytelling apporte un supplément d’âme (Durand, 2011, 2018).

Pour exploiter la notion de storytelling associée au terroir dans l’univers œnologique, nous avons consulté les sites de vente de vin sur Internet, qu’ils soient créés par les producteurs eux-mêmes comme dans l’exemple suivant ou qu’ils constituent une plateforme de vente de vins regroupant divers producteurs (Cf. notes 24 et 25). Ces deux exemples illustrent parfaitement la construction de ces récits plus ou moins longs qui mettent en avant un certain nombre de valeurs avec un ton et un langage qui pourront séduire le consommateur (Durand, 2011).

Le vin est un produit qui se raconte par l’intermédiaire d’un discours orienté sur son environnement (géographique, historique, etc.) et donne ainsi consistance à ce produit liquide. L’histoire présente et construit dans le discours l’identité d’un vin, d’un producteur et/ou d’une maison qui pourront toucher le client. Ainsi le producteur alsacien parle des « vins de terroirs ». Le terme « terroir » devient un élément qui domine les autres contingences. Nous notons ici l’usage du pluriel « de terroirs », qui révèle le contexte de terroirs désignés comme nous l’avons suggéré précédemment.

« Il détermine le style, la personnalité exacte, la physionomie même du vin, en un mot, son humanité. Pour les Grands Crus, l’indication du cépage est souvent superflue tant est forte et parfois contradictoire l’influence du terroir sur son expression habituelle. Elle devient inutile quand la vigne est conduite en complantation […]. En effet, le fait de planter un seul cépage, voire un seul clone du cépage, empêche l’expression complète du terroir à l’image d’une personne dont le vocabulaire ou l’alphabet trop pauvre empêcherait de dire le monde ou ses sentiments profonds. Dans la tradition alsacienne les vins de terroirs étaient seulement nommés par le nom du lieu, la complantation devenant la règle absolue de cette exigence. […] C’est pour cette raison que nous avons décidé, pour tous les vins issus de grands terroirs […], de ne plus utiliser l’indication du cépage, si réductrice et stérile, et de nommer seulement le génie du lieu, cette énergie qui vient du fond comme un cri [24] »

Nous citons un autre extrait dans lequel le mot « terroir » est en relation avec un ensemble sémantique lié au domaine : hectares, vignoble, AOC, vignes, sols et coteaux :

« Le Domaine s’étend sur 40 hectares : 37 hectares plantés en Cabernet Franc et 3 hectares en Chenin blanc. Il fait honneur au petit vignoble Chinon et propose une large gamme de cette AOC, mettant en valeur ce riche terroir. Les vignes sont exposées sur deux grands types de sols : les terrasses graveleuses ainsi que les coteaux argilo-siliceux et argilo-calcaires. La vinification séparée des terroirs permet d’offrir des vins à la fois parfumés et de très longue garde [25]. »

Nous notons l’emploi particulier « vinification séparée des terroirs ». En effet, si la vinification correspond à l’ensemble des opérations nécessaires à la transformation du raisin en vin, terroirs est employé ici par métonymie et correspond à raisins.

Dans cet autre exemple, le terroir prend racine dans l’histoire de France et des propriétaires.

« Le domaine de Lafon-Rochet prend ses racines au plus profond de l’histoire de France. Entre successions, restructurations et passion pour ce terroir, les propriétaires ont toujours privilégié le produit avant tout. Le domaine de Rochet déjà existant depuis le XVIème siècle s’associe par un mariage à celui de Laffont [26] »

Les extraits recensés ont été sélectionnés à titre d’exemples parmi l’ensemble des sites commerciaux car ils font mention à chaque fois du mot « terroir », celui-ci pouvant apparaître plusieurs fois dans le même énoncé. Outre la présence du mot, ils présentent un paragraphe a minima et construisent le storytelling autour de la notion de terroir reprenant les éléments que nous avons soulignés. Il s’entend que ces exemples ne sont pas les seuls et servent ici d’illustration à nos propos. En effet, rares sont les sites où le mot terroir n’apparaît pas à un moment donné, soit dans la présentation du domaine, soit dans la description des cépages ou encore dans la présentation du produit et de son élaboration. Il peut ainsi être seulement mentionné ou bien comme dans les exemples choisis faire partie de ou des histoires.

Dans chacun des trois exemples, le terroir est présenté avec une image positive portée par le vocabulaire et/ou l’imaginaire transmis. Relié syntaxiquement à grands crus, ou associé à l’adjectif riche (riche terroir), il construit une représentation valorisante exprimée et suggérée. En relation avec la notion de transmission, sauvegarde d’un patrimoine culturel et territorial, il conduit à une inscription identitaire forte. Ces éléments jouent sur l’émotion du client qui cherche ses repères au travers de valeurs qui font sens dans le cadre de la mondialisation. En effet, face au phénomène de mondialisation le consommateur a tendance à se tourner vers le local ou le régional, proximité qui rassure le consommateur (Parizot, 2015). Ce besoin de relocalisation des produits (mais aussi des savoirs et des pratiques que ceux-ci véhiculent) permet de donner une « consistance » à un monde dématérialisé, reposant sur une localisation géographique, des traditions et une culture. Le consommateur est avant tout une créature émotionnelle et le marketing joue sur ces émotions qui font que le consommateur achète plus que le produit lui-même. Les émotions dans la consommation participent à la construction de l’identité du consommateur (Badot, Cova, 2003). Le terroir est devenu un levier émotionnel puissant qui repose sur l’imaginaire et l’expérience individuelle du consommateur. Ainsi la Bourgogne et les vins de Bourgogne par exemple s’exposent sur YouTube avec le titre « La Bourgogne, Terroir d’émotions [27].

Enfin, nous terminons l’analyse en nous appuyant sur les étiquettes des vins qui sont porteuses de nombreuses indications et sont riches de sens. En effet, le terroir donne lieu à de multiples interprétations ; présenté sous diverses formes de discours, il sert à la fois de caractéristique définitoire ou classificatoire, de support identitaire entre géographie et style de vie par exemple. Il est donc largement sollicité comme argument commercial que souligne la dimension iconique.

Les étiquettes : un discours double

Le corpus constitué d’étiquettes est intéressant à double titre. L’étiquette présente un discours à la fois verbal (le ou les textes) et non verbal (ici iconique). Il s’agit d’un discours qui rejoint le storytelling et constitue un accès direct à l’histoire ou à l’information par la bouteille avec laquelle le consommateur ou client a un contact direct.

Nous avons consulté un site [28] qui propose de nombreuses étiquettes classées par thématiques. Ce choix se justifie aisément par le nombre important d’étiquettes consultables sur internet (avec une grande facilité) mais aussi par la variété (pas de distinction sélective entre les crus, régions etc.) et la temporalité étendue de cette collection (pas de limite dans le temps). De plus, les collections sont établies par un particulier passionné (qui fait aussi appel à d’autres passionnés), ce qui représente à nos yeux un gage de « crédibilité » par rapport à des sites marchands, dans la mesure où une majorité de catégories (régions, crus, cépages, années, etc.) peuvent être représentées, comme nous l’avons expliqué.

Avant de nous intéresser à la présence du mot « terroir » sur l’étiquette, rappelons le rôle de cette dernière. Obligation légale, elle présente les caractères réglementaires du vin identifiant ainsi son origine et déterminant sa traçabilité. Elle supporte le nom du produit.

Le discours verbal

Le mot « terroir » peut être présent sur l’étiquette de la bouteille. Il remplit plusieurs fonctions précises que nous retrouvons au travers de ces quelques exemples.

Le mot « terroir » est constitutif du nom du produit soit comme tête ou comme complément. Par exemple dans Les terroirs de Vincent : Vin de pays de l’Agenais ou Cœur de Terroirs est le nom d’un Moulin à vent de 2014.

Le mot « terroir » sert à qualifier une cuvée. La cuvée Terroir précise la qualité d’un Pouilly-Fuissé ou bien encore pour un bourgogne Château Meursault, désigné cuvée « Terroir d’exception » 2015.

Le mot « terroir » ici en anglais est complément du nom. Terroir Cellars (caves de terroir)  : cette indication trône en gros caractères dorés sur le haut de l’étiquette de la bouteille de ce vin rouge de Bergerac (2015), donnant ici une certaine profondeur au sens propre par le mot « cave » qui double en quelque sorte l’indication spatiale.

L’étiquette support iconique de tous les possibles

Cependant, l’étiquette n’est pas uniquement support d’un discours textuel, elle est aussi un élément iconique qui peut exploiter le concept de terroir par représentations. Comme tous supports de communication, les étiquettes évoluent au fil du temps. Les premières étiquettes le plus souvent manuscrites ou simplement imprimées datent environ du XVIIIe siècle. Le XIXe siècle fait place à des étiquettes sobrement décorées. Elles seront imagées jusqu’à devenir de nos jours les supports de tous les thèmes possibles. Le site vinetiquettes.com retrace cette évolution et nous offre un large panel.

Nous présentons la capture d’écran d’une partie de la page « thèmes » proposant une classification par ordre alphabétique le plus souvent.

PNG - 274.6 ko

Figure 7. Extrait du classement par thèmes des étiquettes (vinetiquettes.com)

Si nous reprenons le classement de l’INAO, les AOP et AOC suffisent à identifier le lieu et donc, de façon induite, le terroir. De fait, il n’apparaît pas textuellement mais s’invite dans le discours iconique de façon plus ou marquée.

Le terroir devient la marque d’une identité

Il est mis en scène pour cette AOC Alsace l’exploitation maximale des symboles de la région : le costume alsacien caractéristique au premier plan, ensuite la cigogne sur son nid fait la transition avec le bâti alsacien sur fond de campagne. Il confère une forte marque identitaire locale ou régionale au produit, au producteur qui rejaillit sur le consommateur.

JPEG - 127.3 ko

Figure 8. Le vin et l’Alsace (vinetiquettes.com)

L’étiquette suivante laisse découvrir une identité toute parisienne, avec une ambiance bords de Seine (canotier, casquette Tour Eiffel et Moulin Rouge), reflétant un certain art de vivre. Les vignerons sont donc à l’honneur.

JPEG

Figure 9. Identité d’une ville et des bords de Seine

Le terroir est induit par la présence de cet homme en bras de chemise ayant en main un tastevin et le côté plus particulièrement rural voire authentique apparait.

JPEG - 16.9 ko

Figure 10. Étiquette Morgon AOC

Le terroir représente un espace entre géographie et territoires.

Le « terroir » incarne une référence à la géographie, aux espaces territoriaux. Cet espace patrimonial figure sur les étiquettes comme dans les exemples ci-dessous [29]. Cette étiquette souligne la géographie du lieu à la manière d’une œuvre d’art et « le tableau-étiquette » laisse l’empreinte des coteaux et la palette de couleurs fait éclater la nature des terroirs beaujolais liée aux conditions climatiques.

JPEG - 25.2 ko

Figure 11. Couleurs de Beaujolais

Pourtant dans cet autre exemple de Brouilly, c’est la dimension sacrée du territoire qui est soulignée, la couleur des vitraux rappelant la couleur des grappes de raisin, à la fois ancrés dans le sol mais orientés par la trajectoire diagonale du regard passant par le clocher vers le ciel.

JPEG - 19.9 ko

Figure 12. Brouilly Du sol au ciel

Dans un tout autre style mêlant à la fois espace géographique et espace rural et campagnard, l’étiquette de ce Bordeaux donne à voir une imagerie animale illustrant la dénomination l’Agneau de Présalé complétée d’un bâti historique en perspective en accord avec la désignation Château de la Tour.

JPEG - 42.2 ko

Figure 13. L’Agneau de Présalé, Bordeaux

Cependant seule la ruralité sera reprise sur les deux autres étiquettes de cette maison de Bordeaux, bousculant ainsi les limites géographiques en se revendiquant « Bœuf limousin » ou « Poularde de Bresse ».

JPEG - 44.3 ko
JPEG - 42 ko

Figure 14. Le Bœuf et la Poularde de Bresse

Le Terroir fait le lien de la géographie à l’histoire

Les références au passé historique pour ces deux vins de Bordeaux Côte de Bourg sont marquées par la présence d’un château pour l’un, présence évoquée d’un bâtiment religieux pour l’autre qui fait référence à la tradition religieuse de l’élaboration des vins. La dernière étiquette utilise en fond une mosaïque romaine.

JPEG - 44.9 ko
JPEG - 58.9 ko
PNG - 81.1 ko

Figure 15. Les signes de l’Histoire

L’histoire se fait aussi culturelle et littéraire avec Baudelaire en image et en citation « Boire du vin, c’est boire du génie ».

JPEG - 72.5 ko

Figure 16. Histoire culturelle et littéraire

Le terroir est associé au corps de femme et sexualité

La dimension « terroir » s’efface ici au profit d’un érotisme souligné pour « les Grappes du Roy » par un aspect artistique alors que la deuxième étiquette est beaucoup plus directement évocatrice : la dénomination « Cuvée sexy » est renforcée par le visuel (personnage, couleur du fond, forme d’écriture).

JPEG - 77.6 ko
JPEG - 123.2 ko

Figure 17. Un monde artistique teinté d’érotisme

Les étiquettes mettent en scène le terroir sous les traits d’un concept très malléable, aux contours non figés. Elles amènent à des représentations et véhiculent des images contrastées. En effet, la comparaison des étiquettes permet d’envisager ces distorsions. Certaines images empruntent directement au terroir en mettant en scène des éléments privilégiés. Ainsi on retiendra l’identité géographique, la typicité de la région et de ses habitants comme pour le vin d’Alsace ou des vignerons de Paris. De même, l’authenticité liée au producteur-paysan ou au contexte rural conforte la représentation de ce terroir. En revanche, le rapport du terroir avec le contexte historique apparaît ici de façon moins probante. L’utilisation d’une image de château évoque de loin un lieu, mais lorsque l’histoire se fait plus culturelle (Baudelaire), la relation au terroir semble beaucoup plus distante. Enfin, l’utilisation artistique, notamment avec les corps de femme, s’en éloigne totalement et peut sembler totalement divergente du concept de terroir, en ce qu’elle a de construit, de peu authentique et de superficiel.

Pour achever cette analyse des étiquettes qui reste bien incomplète du fait de la multiplicité des situations, interprétations et représentations des vins et du terroir, nous empruntons à nouveau au site vinetiquettes.com celles qui se réfèrent au Champagne car elles condensent l’ensemble des thématiques.

Le terroir de Champagne s’exprime également par l’intermédiaire des étiquettes sur les bouteilles.

L’ensemble des étiquettes de Champagne reprennent les thématiques par lesquelles le terroir doit passer : art, histoire, géographie, nature, sports, amour, événements. Entre matérialité et immatérialité, du sacré au profane, le terroir se laisse appréhender par les personnalités des vignerons et autres maisons. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous avons relevé de nombreux exemples.

JPEG - 637.7 ko

Figure 18. Le Champagne dans tous ses états

D’un point de vue définitionnel et représentatif, le terroir a un spectre large et suscite un imaginaire parfois « débordant » notamment sur les étiquettes. En effet, si certaines étiquettes semblent « coller » à une définition du terroir, d’autres sont totalement déconnectées de cette dimension « terroir » et servent plus au design de la bouteille et sans doute à interpeller le consommateur. De plus, l’apparition des contre-étiquettes, dont la fonction est de porter une partie des mentions légales, permet l’allègement de l’étiquette et laisse place à toute la créativité et à l’imaginaire du producteur.

 Conclusion

Le terroir, concept ambigu, s’applique particulièrement bien au vin. Cependant le vin utilise déjà une classification en crus, cépages et développe des labels et appellations que le consommateur ne peut pas toujours apprécier.

Le terroir est mis en valeur dans la communication sur tous les types de supports tout en servant de critère de référencement sur Internet. Directement présent dans le discours textuel, il s’applique de différentes façons : en caractérisant directement le produit, en faisant partie de sa dénomination ou en illustrant le storytelling, histoire(s) créant une relation particulière entre le produit, le producteur et le client/consommateur. Quant au support iconique, l’étiquette laisse la part belle à l’illustration. Celle-ci reflète alors la politique de communication du producteur en relation à la fois avec ses valeurs mais aussi avec les besoins du marché. Il faut aussi souligner que le concept « terroir » touche actuellement l’ensemble des produits puisqu’il s’inscrit une conception large de développement et de consommation durables. De fait, cette multiplicité d’emplois ne concourt pas à une définition stabilisée et à des emplois normés.

L’étiquette recourt à la publicité directement appliquée sur le produit mais elle conserve les éléments d’information légale. Elle peut ainsi jouer sur différents registres. Elle mentionne les cépages, terroir, elle met en scène le savoir-faire. On pourrait dire comme Corbeau (2004) qu’elle trace une certaine vision du monde.

L’essor des produits régionaux favorise la préservation d’un patrimoine soulignant un particularisme local ou régional. Celui-ci profite au tourisme local qui construit des parcours œnologiques touristiques pour séduire clients, touristes et consommateurs-citoyens (Parizot, 2015). Les produits régionaux deviennent les supports d’émotions que chaque acteur développe, constituant un levier de différenciation et de création de valeur pour les entreprises agroalimentaires (Fort & Fort, 2006).

Le terroir suscite cet élan d’émotions créant un espace privilégié de reconstruction des différences culturelles (Parizot, 2015) recentrant les consommateurs vers un retour au local. Ce concept malléable permet à chacun de l’interpréter comme il l’entend, en fonction de son univers culturel et cognitif. Pourtant, même si le terroir est bien ancré dans le discours œnologique, il semble qu’il tendrait à laisser place petit à petit à un autre lexique : celui de la minéralité du vin (terroir vs minéralité au niveau mondial). En effet, le concept de « minéral » ou « minéralité » est de plus en plus utilisé dans le domaine œnologique (Gautier, 2015) et devient un nouveau levier de storytelling reprenant implicitement les représentations du mot terroir. Enfin les préoccupations actuelles autour de la santé suscitent elles-aussi des modifications dans les représentations des consommateurs. Ces modifications ont des conséquences directes sur l’appréciation du vin, de sa consommation mais aussi de façon plus globale sur sa perception dans la réalité sociale. Ce produit considéré hier comme produit du terroir tel que nous l’avons appréhendé se retrouve en position de produit à risque (Berger, 2008).

 Bibliographie

Badot Olivier, Cova Bernard (2003), Néo-marketing, 10 ans après : pour une théorie critique de la consommation et du marketing réenchantés, Revue française du marketing, pp. 79-94.

Barthes Roland (2010 [1957]), Mythologies, Paris, Seuil.

Barrey Sandrine, Tell Geneviève (2011), « Faire la preuve de ” l’authenticité ” du patrimoine alimentaire : le cas des vins de terroir, Anthropology of food. [En ligne] http://aof.revues.org/6783 (consulté le 29 septembre 2017).

Bérard Laurence (2011), « Du terroir au sens des lieux », in La mode du terroir et les produits alimentaires, Claire Delfosse (dir.),. Paris : Les Indes savantes, pp. 41-55.

Bérard Laurence, Marchenay Philippe (2000), « Le vivant, le culturel et le marchand : les produits du terroir », Autrement, n° 194, pp. 191-216.

Bérard Laurence, Marchenay Philippe (2004), Les produits de terroir - Entre culture et règlements. Paris : CNRS.

Berger Raphaël (2008), « Le vin, un produit qui s’embourgeoise », Credoc consommation et modes de vie, N°216.

Cadoux Marie (2013), « Le terroir et l’authenticité dopent le frais dans la crémerie », n° 2257. [En ligne] http///www.lsa-conso.fr/le-terroir-et-l-au…, 138343 (consulté le 8 septembre 2017).

Corbeau, Jean-Pierre (2004), « Réflexions sociologiques « en vrac » sur le vin », Anthropology of food. [En ligne] http://journals.openedition.org/aof/243 (consulté le 31 octobre 2018).

Durand Sébastien (2011), Storytelling. Ré-enchantez votre communication, Paris, Dunod.

Durand Sébastien (2018), Le storytelling. Le guide pratique pour raconter efficacement votre marque, Paris, Dunod, 2 Ed.

Fort Fatiha, Fort François (2006), « Alternatives marketing pour les produits de terroir », Revue française de gestion 3/ 2006 (no 162), p. 145-159.
 [En ligne] www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2006-3-page-145.htm (consulté le 13 octobre 2018).

Gautier Laurent, Le Fur Yves, Robillard Bertrand (2015) « La ‘minéralité’ du vin : mots d’experts et de consommateurs » In : Gautier, Laurent, Lavric, Eva (Eds). Unité et diversité dans le discours sur le vin en Europe, Wien : Peter Lang.

Hébert Louis (2006), « Le carré sémiotique », dans Louis Hébert (dir.), Signo, Rimouski (Québec), [En ligne] http://www.signosemio.com/greimas/carre-semiotique.asp (consulté le 10 octobre 2018).

Jacquet Olivier, Lafferté Gilles (2005), « Appropriation et identités des territoires de vin », Cahiers d’économie et sociologie rurales, N°76, pp. 10-27.

Lipovetsky Gilles, Serroy Jean (2013), L’esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artistique. Mesnils-sur l’Estrée, Gallimard.

Parker Thomas (2017), Le goût du terroir. Histoire d’une idée française. Presses universitaires de Rennes, Coll. Table des Hommes, et Presses universitaires François Rabelais Tours.

Parizot Anne (2015), « Terroir et patrimoine alimentaire. Une expérience au goût du jour entre exception culturelle et nostalgie » in Actes du colloque international La valorisation de patrimoines. Authenticité et communication, Taroudant, Maroc, pp. 579-595.

Péan Valérie (2011), « Quand les territoires raclent leurs fonds de terroirs ». Chronique « Grain de sel » de Ça ne mange pas de pain. [En ligne] http://www.agrobiosciences.org/article.php3?id_article=3241(consulté le 16 novembre 2018).

Prévost Philippe et al. (2014), « Le terroir, un concept pour l’action dans le développement des territoires » VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement. [En ligne] http://vertigo.revues.org/14807 (consulté le 12 septembre 2018).

Rey Alain (2005), Dictionnaire culturel en langue française. Alain Rey, Danielle Morvan, (dirs.), Le Robert, 2005, 4 vol. , 7232 p.

Rigaux Jacky (2018), Cent ans de millésimes en Bourgogne 1917-2017, Ed. Terres en vues.

Rigaux Jacky (2011), Le réveil des terroirs, illustration et défense des climats bourguignons, Ed de Bourgogne.

Salmon Christian (2007), Le storytelling. La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Paris, Ed. La Découverte.

Vaudour Emmanuelle (2003), Les terroirs viticoles, Paris, Dunod.

Notes

[1] Plusieurs enquêtes démontrent des changements dans les habitudes de consommation du vin. Le vin « vecteur de bien-être » et « valeur refuge ». Les Français et le vin (Ifop- Vin et société), et Blezat consulting/CREDOC/Delatte Développement durable : Étude prospective sur les comportements alimentaires de demain. La France en 2025, http://www.vinopole-cvdl.com/fileadmin/galerie-photos/economie_du_vignoble/2017-03_Tendances_de_consommation_des_vins.pdf.

[2] https://www.inao.gouv.fr/Les-signes-officiels-de-la-qualite-et-de-l-origine-SIQO/Appellation-d-origine-protegee-Appellation-d-origine-controlee

[3] https://www.inao.gouv.fr/Les-signes-officiels-de-la-qualite-et-de-l-origine-SIQO/Appellation-d-origine-protegee-Appellation-d-origine-controlee

[4] http://www.cnrtl.fr/etymologie/terroir

[5] http///www.lsa-conso.fr/le-terroir-et-l-au…, 138343

[6] Définition proposée par un groupe de travail INRA/INAO et validée lors des Rencontres internationales de l’UNESCO, UNESCO – 10 novembre 2005

[7] http://www.inra.fr/Entreprises-Monde-agricole/Resultats-innovation-transfert/Toutes-les-actualites/La-recherche-marketing-des-produits

[8] Traduction de l’ouvrage Tasting French terroir. The history of an Idea. Presses universitaires de Californie, 2015.

[9] R. Courteau, sénateur de l’Aude.

[10] http://www.signosemio.com/greimas/carre-semiotique.asp.

[11] https://terroiretpatrimoine.wordpre…

[12] https://terroiretpatrimoine.wordpre…

[13] https://www.terroir-evasion.com/oenotourisme/

[14] https://www.amazon.fr/s/ref=nb_sb_noss?__mk_fr_FR=ÅMÅŽÕÑ&url=search-alias%3Dstripbooks&fieldkeywords=les+terroirs+du+vin&rh=n%3A301061%2Ck%3Ales+terroirs+du+vin

[15] http://www.labivin.net/article-32952028.html

[16] http://www.vin-vigne.com/vin/

[17] https://www.refletsdefrance.fr/produits/cave-et-vins-du-terroir-francais

[18] https://www.couleurs-de-vins-et-de-terroirs.fr

[19] http://www.keldelice.com/produits-du-terroir/champagne

[20] http://www.objectif-terroir.com/boutique/

[21] http://www.vins-de-terroir.com

[22] http://avis-vin.lefigaro.fr/connaitre-deguster/tout-savoir-sur-le-vin/guide-des-regions-et-des-appellations/sud-ouest/appellation-vin-de-pays-des-terroirs-landais

[23] http://www.marketing-professionnel.fr/parole-expert/strategies-communication-storytelling-narration-creation-valeur-201705.html

[24] http://www.marceldeiss.com/fr/6-les-vins-de-terroirs

[25] https://grandsvins-prives.com/3761-charles-joguet-les-varennes-du-grand-clos-2014.html

[26] https://grandsvins-prives.com/3462-…

[27] https://www.youtube.com/watch?v=2kX…

[28] http://www.vinetiquettes.com

Le site créé par un collectionneur regroupe les étiquettes autour d’environ deux cents thématiques qui chacune contiennent plusieurs exemples. Les classifications sont variées : région, pays, vieilles étiquettes, animaux, etc.

[29] Nous tenons à remercier l’auteur du site vinetiquettes.com qui nous a autorisée à utiliser sa collection d’étiquettes pour cet article

Articles connexes :



-Pour une relecture historique des dynamiques d’institutionnalisation de sports « alternatifs » : l’exemple du skateboard, par Laigroz Louise, Machemehl Charly, Roult Romain

-« Retrouver le soleil des vacances ». Valoriser l’authenticité dans la vente de vin italien en vrac, par Giordano Denis

-De la sociologie (critique et pragmatique) de la littérature à la posture de l’écrivain (et vice-versa), par Zaganiaris Jean

-Préface au N° 26 : Le médiévalisme. Images et représentations du Moyen Âge, par Comité de rédaction

-Les voies d’Aliénor ou la construction d’un médiévalisme transmédiatique, par Argod Pascale, Bernard Katy, Bideran Jessica De, Bourdaa Mélanie

Pour citer l'article


Collet-Parizot Anne, « Vin et terroir(s) : une identité entre mythe et réalité », dans revue ¿ Interrogations ?, N° 29. In Vino Humanitas. Des usages du vin dans les sociétés, décembre 2019 [en ligne], https://www.revue-interrogations.org/Vin-et-terroir-s-une-identite (Consulté le 19 avril 2024).



ISSN électronique : 1778-3747

| Se connecter | Plan du site | Suivre la vie du site |

Articles au hasard

Dernières brèves



Designed by Unisite-Creation