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Gourinat Valentine, Jarrassé Nathanaël

Le mythe du cyborg : techno-enchantement, récits héroïques et promesses de réparation technologique du corps

 




 Résumé

Le cyborg et son corps reconstruit par la technologie, loin de n’être qu’un personnage de l’imaginaire contemporain et de la culture de masse issue de la science-fiction, se révèle, par sa diffusion et sa force, atteindre le rang de mythe contemporain. Au-delà de la simple figure héroïque qu’il incarne, il fait également écho à un paradigme contemporain, celui d’une possible réparation, voire amélioration du corps biologique par substitution technologique. Or cette nouvelle représentation du corps a un impact majeur sur le champ technologique, médical ou social : elle réoriente et influence la manière dont les corps appareillés sont perçus et traités, mais véhicule aussi des idéaux desquels postulats idéologiques et intérêts politiques ne sont pas absents. Cet article propose, par la mise en lumière des modalités de constitution et de fonctionnement du mythe du cyborg, de déconstruire et démystifier les valeurs idéologiques dont il se fait le porte-drapeau.

Mots-clés : Mythe, Cyborg, Médias de masse, Technologie, Corps réparé.

The cyborg myth : techno-enchantment, heroic narratives and promises of technological body repair

 Abstract

The cyborg and its technologically reconstructed body, far from being just a character from the contemporary imagination and the mass culture of science fiction, can be considered now as contemporary myth. Beyond the simple heroic figure it embodies, it also echoes a contemporary paradigm, that of the possible repair, or even enhancement of the biological body through technological substitution. But this new representation of the body has significant consequences on the technological, medical and social fields : it reorients and influences the way bodies fitted with prostheses are perceived and treated, but also conveys ideals loaded with ideological assumptions and political interests. This article proposes, by bringing to light the modalities of constitution and functioning of the cyborg myth, to deconstruct and demystify the ideological values that it now represents.

Keywords : Myth, Cyborg, Mass media, Technology, Repaired body.

 Introduction

Parmi les mythes modernes diffusés abondamment à travers la littérature et le cinéma, mais aussi par le biais du monde médiatique au sein d’une société éprise de performance (Ehrenberg, 2014), la figure du cyborg apporte plusieurs éclairages sur la vision de l’homme et de son corps à une époque technocentrée. Le terme cyborg, employé pour la première fois par Manfred Clynes et Nathan Klines (1960), est la contraction du concept de Cybernetic Organism. Ce terme décrit un organisme possédant des aptitudes nouvelles ou améliorées obtenues grâce au couplage intime du corps biologique (le vivant) avec un ou plusieurs dispositifs technologiques artificiels (la machine). Initialement pensé, à l’ère de la conquête spatiale, comme une technique visant à permettre à un être vivant de survivre dans des milieux hostiles ou inadaptés à la vie tels que l’espace, son usage s’est progressivement généralisé pour décrire toute situation de rapprochement du corps et de la technologie (Clark, 2004), voire de rupture avec la condition biologique/naturelle, qu’elle se fasse médicalement, techniquement ou conceptuellement (Haraway, 1991). Si, initialement, le cyborg était une personne exempte de toute mutilation ou déficience, améliorée technologiquement ou pharmacologiquement (Cerqui, Maestrutti, 2015), cette représentation a progressivement évolué. L’aspect médicamenteux semble avoir disparu des imaginaires collectifs et l’aspect d’hybridité entre le vivant et le mécanique en est désormais la référence principale (Guïoux, Lasserre, Goffette, 2004).

En 1973, soit une décennie après la première occurrence du terme cyborg, le réseau télévisé américain ABC lance la diffusion d’une série de près d’une centaine d’épisodes, adaptée du roman Cyborg de Martin Caidin (1972) et intitulée « L’homme qui valait 3 milliards » (The Six Million Dollar Man). On y suit les aventures du Colonel Steve Austin, un ancien astronaute victime d’un terrible accident de pilotage qui le laisse gravement mutilé et ‘reconstruit’ grâce au remplacement de certains de ses membres (bras, jambe, œil) par des constituants bioniques performants, faisant de lui un surhomme technologique, cyborgique. Cette œuvre marque un tournant dans la représentation des corps cyborgiques, en introduisant l’idée d’une réparation du handicap ou de la mutilation, conduisant directement à une augmentation, amalgamant ainsi ces deux degrés de modification des performances corporelles [1]. Cette œuvre de fiction populaire, par le statut ‘culte’ qu’elle a acquis grâce à son immense succès, constitue la première pièce d’une série d’œuvres impliquant des héros cyborgiques, désormais très présents dans la culture de masse.

Par la mise en lumière des modalités d’émergence et des manifestations du mythe contemporain du corps cyborgique (autrement dit, du corps réparable, voire améliorable par la substitution technologique), cet article a pour objectif d’analyser les modalités de fonctionnement d’un mythe moderne et ce faisant, d’en éclairer les limites, contradictions et conséquences concrètes sur les personnes les plus concernées. La population la plus assimilée à l’heure actuelle à la figure cyborgique dans le cadre des iconographies et représentations collectives étant celle des personnes amputées appareillées de prothèses de membre (Gourinat, 2018), c’est à partir de cette population que nous construirons notre analyse [2]. Nous commencerons par définir le cadre théorique au sein duquel notre clé de lecture du mythe s’inscrit, puis nous présenterons, dans un deuxième temps, les figures et représentations contemporaines du mythe cyborgique, pour enfin entreprendre une déconstruction critique de cette mythologie moderne.

 Cyborg et mythe contemporain

Dans quelle mesure la figure du cyborg peut-elle être qualifiée de mythe ?

Une définition du mythe aussi courante que celle d’un dictionnaire comme le Robert entre d’emblée en écho avec le cœur du mythe du cyborg puisqu’elle suggère qu’il s’agit d’un « récit fabuleux, souvent d’origine populaire, qui met en scène des êtres (dieux, demi-dieux, héros, animaux, forces naturelles) symbolisant des énergies, des puissances, des aspects de la condition humaine  » (Le Robert, 2023). À cette considération générale, il convient d’ajouter une spécification énoncée par les dictionnaires Robert et Larousse qui y voient la « représentation idéalisée » (Le Robert, 2023), partagée comme croyance commune, d’un individu, d’un groupe, voire d’un fait historique, d’un phénomène ou d’une technique « qui leur donnent une force, une importance particulière » (Larousse, 2023). Plus avant, Michel Faucheux (2009 : 105) souligne que « les mythes, loin d’être anhistoriques, sont profondément insérés dans l’Histoire dont ils extraient le sens symbolique sous la forme de récits intemporels. Chaque grande période de l’Histoire élabore la mythologie qui exprime ses besoins matériels et culturels, ce qui lui permet de diffuser une interprétation acceptable de ses conditions d’existence collective, de ses peurs et de ses espérances ». Un demi-siècle d’histoire de héros bioniques et de figures cyborgiques alimente ainsi les imaginaires contemporains sur ce que peut être un corps réparé par la technologie. L’idée d’un corps réparable par les objets technologiques se banalise au point que, dans l’imaginaire collectif nourri d’images et de figures mythiques, cette réparation devient pour certains une réalité (Lindenmeyer, 2017), pour d’autres une visée (Dormeau, Tehel, 2021). L’entrelacement toujours plus ambigu entre figures fictives (les cyborgs issus de la culture de masse) et modèles réels (les personnes amputées appareillées médiatisées), comme les valeurs, idéaux ou injonctions qu’ils diffusent largement (Jarrassé, 2021), établissent les conditions d’émergence d’un mythe puissant du corps cyborgique.

Au-delà de l’objet mythique en tant que tel, ce sont ici les modalités concrètes et multiples de sa matérialisation et son (éco)système qui nourriront notre analyse. En effet, d’après Roland Barthes (2010 [1957] : 181), le mythe est d’abord une parole, qui « ne se définit pas par l’objet de son message, mais par la façon dont il le profère ». Le mythe ne surgit pas « de la “nature” des choses  » (Barthes, 2010 [1957] : 182), mais en tant que parole « choisie  » par l’histoire. Derrière le mythe contemporain du cyborg, opère une idée, voire une idéologie, celle d’une possibilité de réparer par la technologie un corps compris comme interchangeable et substituable. Et c’est là ce qui nous intéresse de façon plus spécifique, si l’on considère avec Raymond Boudon (1986 : 52) l’idéologie comme une doctrine qui «  repose sur une argumentation scientifique et dotée d’une crédibilité excessive ou non fondée  ».

De l’enjeu du discours mythique dans la culture de masse sur le rapport à la réalité et à la promesse

Un angle qui nous interpellera tout particulièrement concerne la valeur performative du discours public, notamment via l’usage des médias, dans le renforcement et la pérennisation du mythe. En effet, en se déployant dans l’espace médiatique populaire et dans les imaginaires collectifs, le mythe construit un nouveau système de valeurs, un nouveau rapport à la réalité vis-à-vis de l’objet mis en scène (Morin, 2017 [1962]). Ceci est d’autant plus important que le récit sur les personnes ‘réparées’ par la technologie finit d’une manière ou d’une autre par pénétrer la réalité des personnes concernées (Gourinat, 2018) au-delà de la simple dimension discursive. En effet, ces récits et discours sont, si ce n’est prescriptifs (Winance, 2003), tout du moins normatifs et ils peuvent influencer la manière de percevoir les technologies de réparation du corps, ou les personnes qui en sont destinataires et/ou usagères. Ils déclenchent inévitablement des représentations, des attentes et des postures dont les retentissements peuvent s’observer sur les parcours de vie ou de soins des personnes bénéficiant ou en attente de bénéficier de telles technologies de réparation (Gourinat, Groud, Jarrassé, 2020). En outre, l’impact en est amplifié selon la puissance du média utilisé : les productions culturelles cinématographiques, par exemple, en sont un support particulièrement efficace, laissant une trace durable dans la construction de l’imaginaire collectif et modelant une vision du monde spécifiquement orientée. En effet, lorsque Edgar Morin (2017 [1962] : 149) développe une analyse autour des productions culturelles de masse, il note que :

« Une gigantesque poussée de l’imaginaire vers le réel tend à proposer des mythes d’autoréalisation, des héros modèles, une idéologie et des recettes pratiques pour la vie privée. […] la culture de masse fournit les mythes conducteurs des aspirations privées de la collectivité. […] Elle n’est pas seulement évasion, elle est, en même temps contradictoirement, intégration »

L’exemple abordé en introduction, comme ceux que nous allons étudier dans la suite de cet article entrent en résonance avec ce postulat et deviennent (volontairement ou non) des supports de valeurs, des porteurs de messages au service d’idéologies, en modelant l’image d’un corps blessé ou handicapé que l’on pourrait (et plus encore, que l’on devrait) réparer, se réapproprier, transcender via les technologies. À cette dimension d’injonction et d’intégration de valeurs collectives et d’idéaux-types, s’ajoute également dans le mythe qui nous intéresse ici une forme d’« économie des promesses  » (Audétat, 2015 : 7). Ces promesses (d’effacement du handicap et de la mutilation, de réparabilité voire d’amélioration du corps, par le biais de dispositifs technologiques innovants) s’appuient en grande partie sur un dévoiement ou tout du moins une simplification drastique de la réalité, tant scientifique que sociale (Jarrassé, Damour, Sarthou-Lajus, 2018). Cette caractéristique, relève Victor Clément (2021 : 45), peut également être mise en lien avec les mécanismes classiques du mythe contemporain :

« Le mythe devient cette matrice médiatique configurant une vision du monde à partir de la superposition de réalités distantes amalgamées dans un récit permettant de faire sens autrement du présent. En son centre, un jeu de lumière sur une vérité que la connaissance ne peut capter, mais dont la croyance donne un aperçu par un cheminement métaphysique au-delà de notre perception du temps et de l’espace. Dans ce mouvement, la science absorbe la qualité mythique à travers la promesse afin de pouvoir sortir de son mode de vérité et asseoir un régime responsable des représentations sociales technoscientifiques. »

Il semble donc qu’un certain ancrage du mythe contemporain dans le réel soit ainsi une condition indispensable à son émergence. Pour que le mythe de l’homme cyborgique, réparable par la technologie, puisse s’ancrer dans l’imaginaire, il faut qu’il s’appuie sur des éléments palpables, observables, réels. Le personnage fictif du Colonel Steve Austin ne suffirait pas à alimenter la mythologie du cyborg, si celle-ci ne s’incarnait pas en parallèle à travers des personnes identifiables ou des dispositifs techniques existants, qui rendent crédible la possibilité de réparer un corps par le biais de prothèses performantes. Il convient à présent d’examiner comment des éléments et figures issus du monde médico-technique contemporain peuvent, par effet de miroir ou de résonance, renforcer la crédibilité des postulats présentés dans les œuvres de fiction mettant en scène le corps cyborgique.

 Des figures cyborgiques iconiques

Une ambiguïté discursive entre fiction et réalité

Nombre d’œuvres de fiction des 20e et 21e siècles mettent en scène des personnages bioniques, cyborgs. Il s’agit là d’un poncif particulièrement commun du champ de la science-fiction contemporaine (Goffette, 2019). Or on peut noter un basculement récent de la fiction vers la réalité, ou tout du moins une redéfinition volontaire des frontières entre fiction et réalité, à travers la mise en avant, voire la mise en spectacle de personnes appareillées incarnant de façon réaliste et empirique certaines figures héroïques issues d’œuvres fictives. Un transfert progressif se fait ainsi entre le cyborg de fiction et celui du ‘monde réel’, par une mise en parallèle volontaire entre deux figures similaires en apparence et cependant bien différentes de nature. La conséquence de ce déplacement de frontières semble être de créer des icônes, au sens de Gagnon (1994) qui établit qu’elles sont à mettre en relation étroite avec la notion de mythe contemporain, dont elles sont le principal signe, « signifiant même si son objet n’existait pas  » (Peirce, 1978 : 232), réunissant les mondes imaginaires et réels.

Mais qui sont les icônes dont nous parlons ici et à quoi se destinent-elles ? Par exemple, certaines campagnes de promotion d’œuvres de fiction populaires mettant en scène des personnages cyborgiques, ont conduit à la médiatisation de personnes appareillées. De la même manière, plusieurs marques et industries prothétiques mettent en place depuis quelques années des partenariats avec des franchises cinématographiques dans le cadre d’actions de promotion commerciale de leurs produits. Dans les deux cas, il s’agit de montrer des personnes amputées, le plus souvent jeunes et correspondant aux canons de beauté normatifs (Dalibert, 2015), à qui l’on donne un dispositif prothétique inspiré de l’œuvre de fiction mise à l’honneur dans la campagne promotionnelle. En 2015, certaines sociétés de conception de prothèses (E-Nable en France, Open Bionics aux États-Unis, entre autres) ouvrent ainsi des gammes de bras prothétiques destinés aux enfants, inspirés de héros de fiction (Iron Man pour l’univers Marvel, Reine des Neige pour l’univers Disney, etc.), afin d’introduire une dimension héroïque dans le quotidien des usagers de leurs produits. Le slogan promotionnel proposé par l’une de ces marques est d’ailleurs « Welcome to the future, where disabilities are superpowers  », alimentant cette dimension mythique du corps appareillé, au sein de laquelle chacun peut devenir l’incarnation d’un véritable héros, par le biais du dispositif prothétique qui, en un sens, permettrait de changer radicalement la nature de son porteur [3], de lui offrir des compétences supplémentaires et d’améliorer sa condition corporelle et fonctionnelle. Cette notion de héros constitue, nous semble-t-il, une clé de lecture majeure du corps cyborgique en tant que mythe, d’autant plus qu’elle opère par identification ou adhésion. Dans cette lignée, il est intéressant de citer le cas de la jeune britannique Tilly Lockey, amputée des deux avant-bras. Appareillée par la société Open Bionics dont elle devient rapidement ambassadrice, elle participe dès l’âge de 11 ans à des événements promotionnels techno-orientés, tels que le sommet de la Singularity University en 2016, au sein duquel elle apparaît avec ses bras prothétiques, incarnation des capacités futures de reconstruction, voire d’amélioration corporelle. Le design de ses bras est à cette époque volontairement inspiré de la série de jeux vidéo Deus-Ex, au sein desquels les humains sont équipés de dispositifs bioniques qui en font des hommes augmentés, laissant les personnes non-appareillées au niveau le plus bas de l’échelle sociale. En 2019, à l’occasion de la sortie du film de science-fiction Alita : Battle Angel, elle bénéficie d’un nouveau design de prothèses, créé par l’équipe du film. Tout juste âgée de 14 ans, elle apparaît alors sur les tapis rouges dans le cadre de la promotion du film, dont l’héroïne est elle aussi une jeune fille dont le corps a été reconstruit grâce à la technologie. L’icône cyborgique devient ici le médium d’une démarche de marketing.

Des cas similaires se multiplient depuis quelques années, renforçant un mécanisme désormais relativement commun de partenariat entre industries de culture de masse et entreprises de développement de dispositifs technologiques à destination de personnes en situation de handicap. Un autre exemple, tout à fait notable, est le Britannique James Young, connu pour avoir participé en 2016 à une campagne de partenariat entre une marque de dispositifs prothétiques (Alternative Limb Project) et une œuvre de fiction issue de la culture de masse : le jeu vidéo Metal Gear Solid, qui met en scène un personnage amputé équipé d’une prothèse bionique. C’est dans ce cadre que James Young est devenu l’objet même du storytelling et du discours promotionnel lors de son lancement. En amont de la campagne marketing, la société de développement Konami diffusait une annonce pour recruter une personne amputée prête à recevoir une prothèse robotisée liée au personnage principal du jeu et à participer à un documentaire [4] illustrant toute l’opération, depuis sa conception jusqu’à la démonstration en congrès de body-hacking. Il s’agissait alors de construire en quelque sorte, en temps réel, l’icône cyborgique qui incarnerait l’esprit du jeu et en serait le média vivant. Nous reviendrons sur ce cas de figure dans la dernière partie, car cet exemple touche aux limites de la construction ex-nihilo d’icônes destinées à nourrir le mythe.

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Figure 1. Tweet de la chaîne BBCThree faisant la promotion de James Young et sa prothèse, à l’occasion de la sortie du documentaire « BodyHack : Metal Gear Man » (crédit tweet : BBCThree ; Capture d’écran : Gourinat)

Des héros influenceurs porteurs de valeurs et idéaux-types

Les figures iconiques du corps cyborgique ne manquent pas : les soldats, les sportifs et les jeunes enfants amputés et appareillés en sont les exemples médiatiques les plus notables (Gourinat, 2018). Au-delà, un petit nombre de personnes amputées appareillées développent une certaine ‘carrière’, au sens de Hughes (1996), de héros cyborg et ce faisant, érigées en modèles, voire en icônes, deviennent les porte-paroles de la réparation du corps par les prothèses. Chacune à leur manière, elles relaient et personnifient un discours empreint de valeurs contemporaines : liberté, performance, expression d’un soi hors-norme. Ce faisant, elles forgent, manifestent et renforcent un message idéal-typique et un modèle injonctif, correspondant à ce qu’Edgar Morin nomme « l’esprit du temps » (Morin, 2017 [1962]) et que le mythe vient incarner, porter et transmettre, tout particulièrement à travers le médium de la culture de masse.

La première figure parlante qui peut ici être évoquée est l’Américaine Aimee Mullins, mannequin double-amputée tibiale et ancienne para-athlète de haut niveau. Son intense médiatisation sur des supports discursifs variés (photographies d’art ou de mode, défilés de mode, performances artistiques, films cinématographiques, conférences TED, interviews diverses, etc.) lui a permis d’obtenir une visibilité et une crédibilité tout à fait notables. Devenue dès le début des années 2000 une icône du body-positive et du self-empowerment, elle se fait porte-parole depuis des années de la réappropriation de l’image du corps handicapé par le biais de dispositifs prothétiques esthétiques, technologiques et créatifs (Goffette, 2018). Au cours de ses interventions, elle mentionne avec enthousiasme les possibilités de plasticité et d’adaptation du corps amputé grâce aux prothèses. Ces dernières années, elle a suggéré publiquement qu’elle se sentait ‘augmentée’ par le biais de ses prothèses, que celles-ci lui permettraient plus d’options et de liberté d’action qu’elle n’aurait pu en avoir avec des jambes. Ce faisant, elle nourrit amplement le mythe cyborgique, alimentant l’idée, non seulement d’une réparation évidente, mais plus encore d’une amélioration possible du corps par le biais de substituts technologiques (Dolezal, 2017 ; 2020).

Autre exemple notable, celui de Hugh Herr, professeur au MIT Media Lab et co-directeur du Yang Center for Bionics, ancien grimpeur de haut niveau devenu en 1982 double-amputé tibial à la suite d’un accident lors d’une ascension. Dès lors Hugh Herr commence à développer ses propres prothèses pour poursuivre son activité de grimpeur et entame une carrière académique remarquable dans le domaine de la wearable robotics  : il conçoit des prothèses intelligentes de genou et de cheville, désormais commercialisées. Personnalité médiatique et ‘icône cyborg’, Hugh Herr a donné de nombreuses conférences et interviews dans lesquelles, à partir des questions de réparation du corps, de handicap et de récupération de capacités, il a progressivement glissé vers celles de l’augmentation et des nouveaux horizons supposément ouverts par les technologies bioniques. Révélant par cela sa vision transhumaniste du corps appareillé, il déclarait ainsi en 2012 à la presse :

« Je suis constitué d’aluminium, de titane, de fibre de carbone, de silicone, avec quelques écrous et boulons […] Mon corps biologique va se dégrader, mais la partie artificielle, elle, va s’améliorer avec le temps, car je pourrai sans cesse la remplacer par des versions plus modernes. Dans un sens, mes prothèses sont immortelles. » [5]
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Figure 2. Article de presse mettant en scène Aimee Mullins et Hugh Herr, présentés comme des personnes bioniques améliorées (Crédit article : Le Point  ; Capture écran : Gourinat)

Ce discours réunit tous les éléments qui façonnent le mythe du cyborg et entrent en grande partie en résonance avec les argumentaires liés aux idéaux de l’augmentation humaine, véhiculant l’idée que le corps biologique, voué à se dégrader naturellement, est réparable et remplaçable, tandis que la substitution technologique permettrait de dépasser cette faiblesse et de la transformer en un avantage : un corps plus fort, plus durable, plus efficient. Derrière ces icônes cyborgiques et leur discours, transparaissent donc diverses idéologies, croyances et valeurs relevant des idéologies transhumanistes (Goffi, 2017), mais aussi de référentiels néo-libéraux qui, loin de s’opposer, se répondent et se renforcent d’autant plus. Prenons ici l’exemple central de l’idée de la capacité individuelle à surmonter le handicap à l’aide de la technologie et à construire sa réussite à la façon d’un self-made man, présente en toile de fond dans les discours des personnes amputées appareillées évoquées plus haut. Cette rhétorique de l’‘entreprenariat de soi’ nous renvoie ici très fortement aux logiques néolibérales et capitalistes, au sein desquelles « Le corps est désormais le produit d’un choix, d’un style, d’un modelage. Chacun est comptable de son corps, qu’il réinvente et transforme à sa guise  » (Dardot, Laval, 2009 : 438). Transhumanisme et capitalisme suivent donc des logiques congruentes (Kleinpeter, 2023). Plus encore nous dit Nicolas le Dévédec (2018 : 119), « non seulement le transhumanisme est soluble dans cet esprit néolibéral du capitalisme, mais [il] contribue plus encore à en étendre les principes, en appliquant aux corps, aux subjectivités et finalement à la vie en soi la logique entrepreneuriale  ». Ainsi le mythe du cyborg entre-t-il pleinement dans cette zone de jonction indéfectible entre idéaux néo-libéraux et transhumanistes. La technologie offrirait un possible qu’il suffirait simplement d’accepter, d’embrasser, pour devenir un être exceptionnel. La prothèse, au-delà d’un simple outil de restauration capacitaire, devient l’une des clés du succès, la ‘marque’ d’un dépassement de soi. De façon plus concrète, dans le discours de ces figures iconiques, ce sont la rhétorique et les thèmes classiques du champ du développement personnel (Lacroix, 2000 : 19), à grand renfort de pratiques psychologiques, philosophiques, physiques, mais aussi religieuses ou ésotériques que l’on retrouve, avec le même objectif : améliorer la qualité de vie et la connaissance de soi. Sous cet angle, la prothèse devient un élément ‘choisi’, comme on le ferait d’une attitude psychologique ou d’une pratique de bien-être. Le champ du développement personnel étend ses frontières en pénétrant un nouvel espace, celui du biologique. L’imaginaire de l’enhancement [6] semble ainsi prendre le dessus sur celui du soin thérapeutique : on ne se soigne plus, on se ‘développe’. C’est une mue de l’appareillage qui devient pratique anthropotechnique (Goffette, 2006) choisie plutôt que soin nécessaire et que la figure du cyborg vient incarner de façon spectaculaire.

 Déconstruire le mythe du corps réparable / cyborgique

Les limites du mythe

Mais, dans quelle mesure la réparation du corps par les outils technologiques et la dimension cyborgique d’un corps appareillé relèvent-elles du mythe ? En quoi le mythe du cyborg tente-t-il de légitimer le mythe du corps réparable à l’infini ? Les figures héroïques et iconiques évoquées plus haut, de même que leurs prothèses performantes et leur corps aux allures de cyborg sont bel et bien des réalités physiques et sociales. Où se situe alors la distinction entre imaginaire mythique et réalité de leur situation/condition corporelle ? En examinant les modalités de ce glissement d’un mythe à l’autre, de la figure de science-fiction au corps réellement appareillé, c’est l’appropriation d’une représentation, mais aussi sa manipulation qui devient perceptible. Celle-ci semble portée par une culture de masse traversée de valeurs technophiles, ou de certains idéaux transhumanistes (More, 2011).

D’emblée, il faut en cerner les limites et comprendre que le mythe du cyborg promeut et promet une réparation – voire un dépassement – totale, immédiate et sans limitation apparente du corps biologique. Un membre se remplacerait à niveau équivalent par son homologue technologique, voire s’augmenterait et s’améliorerait. Hugh Herr concluait ainsi sa conférence Ted en 2018 :

« Au 21ème siècle, je crois que les humains deviendront des supers-héros. […] Au crépuscule de ce siècle, les humains seront méconnaissables, de par leur morphologie et leur mouvement. L’humanité va prendre son envol.  » [7]

L’idée d’une réparation non seulement possible, mais plus encore, aisée et illimitée, fait alors son chemin au travers des différents discours et iconographies du corps cyborgique. Il deviendrait ainsi envisageable, voire souhaitable, de remplacer tout ou partie de son corps biologique en faveur de substituts technologiques plus performants, plus durables, plus efficients. Cela nous ramène une fois encore à ce nouvel esprit du capitalisme puisque, nous disent Dardot et Laval (2009 : 438) « C’est le nouveau discours de la jouissance et de la performance qui oblige à se donner un corps tel qu’il puisse aller toujours au-delà de ses capacités actuelles de production et de plaisir  ». Cette perspective d’augmentation des performances dans la foulée de la réparation d’un corps handicapé a d’ailleurs fait l’objet de débats très sérieux lorsque le coureur bi-amputé sud-Africain Oscar Pistorius, fit l’objet en 2008 d’une enquête officielle à la demande de la Fédération Internationale d’Athlétisme (IAAF) au sujet des performances de ses lames de courses. En effet, le coureur de tous les records en parasport, avait émis le souhait de courir en compétition valide aux Jeux Olympiques de Pékin, demande qui lui avait été refusée par l’IAAF, en raison des soupçons de ‘dopage technologique’ pesant sur lui, ses prothèses étant considérées alors comme un avantage déloyal (Lazaro, 2013).

Pourtant, la question de l’évaluation de la performance est un aspect essentiel à considérer pour rationaliser les capacités de la personne appareillée prise pour un cyborg. Les technologies de réparation actuelles ne sont généralement capables de réparer ou compenser qu’une fonction particulière. On oublie que la caractéristique primordiale du corps humain, au-delà de sa performance (c’est-à-dire sa capacité à effectuer une tâche de manière optimale), est avant tout sa polyvalence et sa faculté d’adaptation et d’apprentissage. Le concept régulièrement débattu d’‘homme augmenté’ est une conséquence directe de ce biais d’évaluation. En effet, les augmentations permises par ces prothèses ne sont pas ‘totales’, mais ‘locales’ : les performances impressionnantes restent limitées à une tâche précise et un contexte prédéfini, comme pourrait le permettre l’utilisation d’un simple outil par tout un chacun. Oscar Pistorius court plus vite qu’une grande partie de l’humanité avec des lames de course en carbone, mais ses performances ne sont optimales que sur des circuits de 200 et 400m, en deçà et au-delà desquels, il n’est pas en mesure de courir dans des conditions efficientes. Par ailleurs, ses prothèses de course ne lui permettent pas de rester en position statique sans sautiller ni même de marcher de façon stable : seules ses prothèses de marche usuelles lui permettent ce confort quotidien. La simplification de la réalité technique véhiculée par/dans le mythe du cyborg est ici tout à fait frappante, elle s’appuie sur des mécanismes discursifs spécifiques aux médias d’information ou de masse, qui occultent plusieurs parties de la réalité et n’en montrent que des facettes ciblées et limitatives (Charaudeau, 1997 ; Gourinat, 2018). Barthes (2010 [1957] : 240) insistait sur cette fonction de simplification discursive du mythe, qui « supprime toute dialectique, toute remontée au-delà du visible immédiat, [qui] organise un monde sans contradictions parce que sans profondeur, un monde étalé dans l’évidence  ». Et les simplifications abondent en ce qui concerne le mythe du corps cyborgique réparable par la technologie.

Simplification majeure, la minimisation de la complexité technique ou des contraintes de mise en œuvre (conditions particulières ou cadre de fonctionnement restreint) de la réparation. L’installation souvent longue et séquentielle, ou encore les phases préliminaires de réglage d’une prothèse sont ainsi rarement montrées dans les productions culturelles ou de vulgarisation. D’autre part, la minimisation des interventions chirurgicales préalables nécessaires, de la souffrance corporelle, des temps de réapprentissage du corps réparé et de nouvelles techniques du corps et accommodements corporels (Groud, Perrenou, 2022) alimente l’idée fausse de l’instantanéité de la réparation, de sa gratuité et de la possibilité instantanée d’en jouir (Gourinat, Groud, Jarrassé, 2020). En outre, sous-estimer la part d’acquis par rapport à celle d’inné dans la façon de penser les capacités motrices et les fonctions corporelles de l’humain est en partie à l’origine de cette confusion entre mythe et réalité. Il est en effet facile d’oublier que, pour l’humain, le corps est son premier outil et qu’il lui a fallu des années d’apprentissage pour le maîtriser correctement, ainsi que les travaux de Mauss (1950) sur les techniques du corps l’ont mis en lumière. De la même façon, les prothèses technologiques même les plus avancées (en dehors des implants de régulation végétative sur lesquels les patients n’ont pas de contrôle) astreignent le patient à un temps d’apprentissage (Cerqui, Maestrutti, 2015) souvent long (Gourinat, 2022 ; Groud, Perrenou, 2022) et coûteux tant physiquement que cognitivement (Bouwsema et al., 2010 ; Parr et al., 2022), comme le ferait n’importe quel outil technique (Leroi-Gourhan, 1945). Cette étape, parfois éprouvante, entre alors en complète contradiction avec l’idée séduisante d’une ‘instantanéité’ dans l’usage de la technologie et se retrouve régulièrement gommée par les médias.

La nécessaire déconstruction des attraits mythiques de la prothèse, que le chercheur se doit de mener, se trouve par ailleurs renforcée par l’expérience même de l’usager, par sa désillusion face au mur de la réalité, aux promesses non tenues. Le parcours de James Young, évoqué précédemment, l’illustre parfaitement, puisqu’au cours du documentaire qui présente son apprentissage de la prothèse [8], on perçoit plusieurs moments de déception, de doute, parfois de ressentiment, devant les difficultés. La prothèse se révélant en deçà des promesses faites lors du lancement de la campagne de promotion : le jeune homme exprime clairement le fossé entre ses espoirs et une prothèse pas encore prête à l’usage, peu contrôlable ; il verbalise même le sentiment de régresser dans son acceptation de son handicap, d’être ramené à une forme d’impuissance, finissant par l’utiliser assez peu dans son quotidien (Gourinat, 2019)

Pour une compréhension des enjeux commerciaux et socio-politiques sous-jacents

De façon plus fondamentale, c’est aussi l’attention portée à la prouesse technologique du dispositif de réparation plutôt qu’à la personne réparée, à son corps et sa performance d’adaptation qui entretient le mythe. L’effacement de la complexité du dispositif et de sa maîtrise participe à la confusion entre expertise motrice de l’utilisateur et ‘augmentation’ (Jarrassé, 2017b) : derrière le cyborg surcapacitaire se cache toujours un expert aguerri de son outil qu’il a passé des mois à apprivoiser pour entretenir cette illusion capacitaire. Chez Pistorius, bien plus que les capacités techniques de ses prothèses, ce sont surtout des années d’entraînement sportif intensif (une vie entière, dans son cas) et une condition corporelle exceptionnelle, qui lui auront permis d’atteindre le niveau sportif qui a été le sien au sommet de sa gloire.

C’est ici l’« effet épistémologique  », décrit par Raymond Boudon (1986 : 157) comme l’un des mécanismes constitutifs de l’idéologie que l’on voit à l’œuvre : elle se construit sur des résultats scientifiques réels, mais « indûment interprétés  » (Boudon, 1986 : 44), c’est-à-dire déformés, simplifiés ou généralisés hors du cadre particulier dans lequel leur véracité a été établie. L« effet de communication  » (Boudon, 1986 : 123), qui fait du discours simplifié ou embelli des héros cyborgiques une parole incontestable et l’« effet de perspective  » (Boudon, 1986 : 168) (dû à la position des acteurs sociaux) complètent cette construction idéologique : l’observateur « distant » ne perçoit pas les effets négatifs de la prothèse (contraintes, limitations, douleurs) sur la qualité de vie que seul l’utilisateur est à même de mesurer. Par ailleurs et par un certain effet miroir, cet « enchantement prothétique » (Gourinat, Groud, Jarrassé, 2020 : 189) et cette valorisation des corps réparés, cyborgisés, entraînent dans le même mouvement une certaine désacralisation, voire dévalorisation du corps biologique et non-modifié, ainsi que le décrit David Le Breton (1999 : 202, 210), analysant la notion de cyborg :

« De la naissance à la mort, le cyborg marque le recul du corps et son perfectionnement technique en vue d’un meilleur résultat en termes de vie quotidienne ou professionnelle, de santé ou de guerre, d’efficacité d’action ou de pensée. […] Le corps n’est pas seulement un accessoire à rectifier, perçu comme un anachronisme indigne, un vestige archéologique encore attaché à l’homme, il est amené à disparaître pour satisfaire aux vœux de ceux qui cherchent la perfection technologique. »

Cette dégradation potentielle de la perception du corps biologique peut d’ailleurs s’observer à travers les procédés iconographiques mettant en scène les figures cyborgiques  : le corps amputé et le moignon s’effacent et disparaissent systématiquement derrière l’objet central et valorisant qu’est le membre prothétique, l’appareillage technologique (Dalibert, Gourinat, Groud, 2023). Il s’agit alors de faire passer le corps au second plan, de le camoufler derrière la prothèse et, ce faisant, de dévaluer le corps amputé et la situation de handicap qu’il peut incarner. D’ailleurs, il est intéressant de noter que les discours injonctifs des icônes appareillées évoquées dans la partie précédente renchérissent sur ce plan : quand Aimee Mullins ou Hugh Herr invoquent l’exhortation au développement personnel par le biais de la prothèse, ils laissent entendre que cette dernière est la seule voie d’épanouissement et de développement de soi, face à un corps abîmé, limité, voire infamant. Cette fois, sans aller jusqu’aux logiques d’enhancement, on retrouve a minima et de façon évidente ici les rhétoriques propres à la pensée validiste (Primerano, 2022) et valido-centrée (Gardien, 2016), voulant que le corps handicapé soit nécessairement perçu et considéré comme inférieur, dégradé, déclassé et doit être ‘réparé’ ou tout du moins rapproché le plus fidèlement possible du corps valide. Il conviendrait donc d’interroger le retentissement moral de telles injonctions sur les personnes amputées non-appareillées ou mal-appareillées. À plus forte raison que ces dernières sont nombreuses, plus de la moitié de la population amputée, ainsi que l’évoque une étude d’Alexandre Quesnel (2013).

Par ailleurs, les approches de développement personnel, portées par le discours des héros cyborgiques, véhiculent un ensemble d’injonctions normatives, parfois moralisatrices et culpabilisantes comme le montrent Cabanas et Illouz (2018 : 93) ; ils décrivent ces pratiques comme participant « de façon significative à entériner l’idée selon laquelle la richesse et la pauvreté, le succès et l’échec, la santé et la maladie seraient de notre seule responsabilité. Cela légitime également l’idée selon laquelle il n’y aurait pas de problème structurel, mais seulement des déficiences psychologiques individuelles  ». Diffusée par ces icônes cyborgiques, cette idée fausse de la prothèse qui répare, voire améliore, réellement son porteur fait en un sens valoir la seule responsabilité de l’individu dans la réussite de sa réparation, ou de sa vie. Elle écarte au passage les réflexions sociopolitiques plus globales qui pourraient être développées sur la complexité du vécu en situation de handicap, les pressions normatives ou la difficulté de nos sociétés à basculer vers un modèle plus inclusif :

« Dans la mesure où les individus se convainquent que leur destin est simple affaire d’effort personnel et de résilience, c’est la possibilité d’imaginer un changement sociopolitique qui se trouve hypothéquée ou du moins sérieusement limitée » (Cabanas, Illouz, 2018 : 93).

Tandis que les modèles sociaux du handicap [9] n’émergent qu’au cours de ces deux dernières décennies, mettant fin très tardivement à une vision historique du handicap basée sur le modèle individuel, on peut questionner les conséquences possibles d’un tel retour à l’idée de responsabilité individuelle vis-à-vis de la ‘réparation’ du handicap, telle que défendue par les icônes du corps cyborgique. Si, tel que le suggère le mythe du cyborg, la réparation technologique du corps amputé devient la voie principale du dépassement du handicap, que faire alors des nombreux corps réticents, réfractaires, résistants à ces dispositifs ? La réadaptation fonctionnelle et ses dispositifs technologiques, essentiellement construits autour de la « reproduction servile de la gestuelle valide  » (Gardien, 2016), s’appuient sur une vision validiste du corps handicapé, qui ne peut convenir à tout le monde ni répondre à toutes les situations singulières. Cette réalité des faits vient se heurter brutalement au mythe de la réparabilité du corps par les technologies, à plus forte raison quand les attentes des personnes concernées étaient fortes et basées sur ce mythe cyborgique d’une réparation instantanée et sans entrave. Pourtant, nombreuses sont les personnes amputées qui refusent ou abandonnent l’appareillage (Taylor et al., 2005) : leur rejet - ou leur absence de besoin - de l’appareillage reste souvent perçu comme un refus de soin, voire un échec thérapeutique. Cela traduit que les options alternatives à l’appareillage sont encore trop peu estimées et qu’un corps non-réparé par la technologie demeure largement dévalué. Cette injonction à l’appareillage s’avère une manifestation notable de l’efficacité et de la force du mythe de la réparation cyborgique des corps et de son influence sur les valeurs contemporaines, sur « l’esprit du temps » (Morin, 2017 [1962]).

 Conclusion

Le mythe contemporain, loin de n’être qu’un « récit fabuleux  » ou une « représentation idéalisée  » (Le Robert, 2023), est aussi, nous semble-t-il, un média idéologique, disséminateur de valeurs collectives, aisément exploitables par les promoteurs à des fins sociales ou commerciales. Soutenues par le mythe contemporain du cyborg, parfaitement intégré à l’imaginaire collectif et aux pratiques matérielles (industrielles, réadaptationnelles, etc.), ces valeurs ont un retentissement majeur sur l’imaginaire social associé aux individus concernés et il nous semble que la manière dont elles modèlent leur façon de percevoir leur corps appareillé pourrait être plus sérieusement prise en considération. Le mythe du corps cyborgique rebat les cartes des jugements de valeur sociaux liés au corps réparé, en remettant notamment en question les modèles sociaux du handicap. Les discours liés à ce mythe témoignent d’une certaine vision de la technologie réparatrice à l’ère contemporaine, tout particulièrement en promouvant une forme de techno-enchantement et de réductionnisme corporel (par la vision mécanique d’un corps substituable et interchangeable dans ses composants et ses fonctions). Loin de ne relever que du fantasme culturel, le mythe du cyborg nous semble donc susciter, outre une réflexion sur le fonctionnement du mythe et ses conséquences, un questionnement très concret et fondamental, sur la place du corps dans la modernité et son rapport aux technologies contemporaines.

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Notes

[1] Pourtant, la perspective exclusive d’augmentation sous-jacente à la figure du cyborg peut encore aujourd’hui être légitimement questionnée, dans la mesure oùseules existent des augmentations ponctuelles de certaines capacités, obtenues au détriment d’autres capacités ou de la polyvalence globale du corps (Jarrassé, 2017a).

[2] Nous écartons ici volontairement la figure des grinders ou body-hackers (Fievet 2012) qui, bien que se revendiquant souvent « cyborgs », n’ont pour l’instant proposé que des hybridations très limitées, simples dérivées technologiques des pratiques courantes de bodmod (Liotard 2016) et dont l’impact visuel et médiatique est resté, de fait, relativement confidentiel.

[3] Voir à ce titre : Hugh Herr, TED2018, « How we’ll become cyborgs and extend human potential », [en ligne] https://www.ted.com/talks/hugh_herr_how_we_ll_become_cyborgs_and_extend_human_potential/ (dernière consultation le 18/04/23)

[4] BBC Three, Bodyhack : Metal Gear Man, diffusé le 18 mai 2016, [en ligne] https://www.bbc.co.uk/programmes/p03tpr4t (dernière consultation le 06/10/2022).

[5] Vissière Hélène, « Les exploits de l’homme bionique », Le Point, 12/04/2012, [en ligne] https://www.lepoint.fr/high-tech-internet/les-exploits-de-l-homme-bionique-12-04-2012-1452106_47.php (dernière consultation le 30/06/2022)

[6] Le terme enhancement désigne l’« amélioration » technique des performances humaines, aussi bien physiques, intellectuelles qu’émotionnelles (Le Dévédec, Guis, 2013).

[7] Hugh Herr, TED2018, How we’ll become cyborgs and extend human potential, [en ligne]. https://www.ted.com/talks/hugh_herr_how_we_ll_become_cyborgs_and_extend_human_potential/ (dernière consultation le 06/10/22)

[8] BBC Three, Bodyhack : Metal Gear Man, diffusé le 18 mai 2016, [En ligne] https://www.bbc.co.uk/programmes/p03tpr4t (dernière consultation le 06/10/2022).

[9] La Classification Internationale du Fonctionnement, du Handicap et de la Santé (CIF), classification toujours en cours auprès de la communauté internationale, est actée en 2001 et remplace l’ancienne Classification Internationale des Déficiences, des Incapacités et des Handicaps (CIDIH). Elle s’adosse notamment sur le Modèle du Développement Humain et le Processus de Production du Handicap (PPH), élaboré au Canada dès la fin des années 90 (Fougeyrollas, 1997).

Articles connexes :



-Regard philosophique sur deux biopics cinématographiques de deux figures mythiques contemporaines d’un monde numérique et de son éthos à l’âge des GAFAM, par Roelens Camille

-La société de communication, ou le ressassement d’un mythe par ses interprètes, par Abid-Dalençon Ambre

-Le mythe de la Skjaldmö : de la figure des sagas islandaises à celle de l’empowerment féminin, par Anthore Soline

-Récit de vie en Haïti et mythologie : étude de trois cas, par Otilien Ethson

-Mythopoïèse et histoires du capitalisme : penser avec Terence S. Turner, par Gizard Benjamin

Pour citer l'article


Gourinat Valentine, Jarrassé Nathanaël, « Le mythe du cyborg : techno-enchantement, récits héroïques et promesses de réparation technologique du corps », dans revue ¿ Interrogations ?, Partie thématique [en ligne], https://www.revue-interrogations.org/Le-mythe-du-cyborg-techno (Consulté le 30 avril 2024).



ISSN électronique : 1778-3747

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