Dans un précédent article, j’ai déjà eu l’occasion de présenter l’œuvre de Jean Norton Cru, en m’en tenant cependant strictement à ses aspects historiographiques [1]. J’aimerais dans ce second article me pencher plus précisément sur les raisons de la faible réception de cette œuvre qui, au regard de ce qu’en attendait son auteur, peut passer sans excès de langage pour un échec.
Et écrivant Témoins [2], Cru poursuit simultanément deux objectifs, l’un d’ordre théorique, l’autre d’ordre pratique (politique et moral). En premier lieu, il s’agit de contribuer à une connaissance scientifique de la Première Guerre mondiale et, plus largement, de jeter les bases d’une méthode d’analyse scientifique du phénomène guerrier en y intégrant la connaissance directe, intime, de la bataille pour laquelle le témoignage du combattant est indispensable. Connaissance sans laquelle l’historien se condamne à reproduire la méconnaissance des faits de terrain qui est le propre de l’état-major de n’importe quelle armée, tout simplement parce qu’elle est inhérente au fonctionnement de l’appareil militaire (comme plus largement de toute structure hiérarchique et bureaucratique) :
« Je tiens à dire que ces spécialistes [les historiens civils] n’ont pas vu ce qu’ils racontent et sont dès lors peu capables de le comprendre ; que leurs documents ont une autorité très relative parce qu’ils proviennent de rapports partis des chefs de section pour remonter toute la hiérarchie en étant résumés, amalgamés, fondus – ce qui est naturel – mais aussi corrigés, arrangés, changés afin de ne pas éveiller le mécontentement de l’échelon supérieur et attirer ses réprimandes. Et ces corrections sont effectuées par quelqu’un qui, bien souvent, n’est plus en contact avec les faits et ne peut prévoir la grandeur de l’erreur qu’il va causer avec une modification minime, sur un texte qui en est à sa 4e ou 5e rédaction tendancieuse. » [3]
Cela ne signifie pas que l’historien ne puisse pas faire usage des documents militaires. Mais ces documents ne peuvent au mieux le renseigner que sur l’ensemble (le tout, les lignes directrices) d’une bataille ou des activités dans un secteur du front. Ensemble qui reste nécessairement général et abstrait et, en définitive, inintelligible en dehors de la connaissance des éléments qui le constituent, sur lesquels seuls les combattants-témoins peuvent l’informer.
En fait, selon Cru, sa propre contribution à une pareille connaissance est fort modeste : elle est plutôt d’ordre historiographique que proprement historique. Elle vise à fournir à l’historien de métier les matériaux indispensables à une histoire de la Grande Guerre qui reste à constituer et à écrire :
« (…) l’auteur de ce livre a compris que l’historien qui aurait la bonne volonté de les utiliser [les témoignages des combattants] serait découragé par le chaos où ils se trouvent (…) On ne saurait attendre de l’historien qu’il débrouille ce chaos : son travail propre lui suffit. Il faut que d’autres lui préparent les matériaux (…) Tel est le travail que j’ai entrepris pour servir l’historien : je lui apporte à pied d’œuvre les matériaux triés. C’est à lui d’y prendre ce qui peut convenir à sa construction. » [4]
Le second objectif que s’assigne Cru est de ruiner l’imaginaire guerrier et héroïque qui continue à rendre inintelligible la réalité de la guerre contemporaine, dans le but de prévenir la répétition de cette dernière dont cet imaginaire a été, selon lui, jusqu’à présent une des conditions de possibilité permanentes.
« La guerre est une affaire très simple, une affaire d’expérience, de celle que tout combattant peut acquérir. Si tant de gens ne comprennent pas la guerre, c’est parce qu’ils la croient une technique difficile, qu’ils l’entourent d’un mystère. Du jour où elle sera comprise, la paix sera assurée, parce qu’aucun peuple ne voudra risquer une offensive vouée au désastre, sachant que l’assailli refusant d’attaquer aussi se fiera à une défensive imperméable. » [5]
Il y a là incontestablement, de la part de Cru, plus que de la naïveté, une véritable illusion idéaliste sur laquelle je reviendrai encore par après.
« Jamais génération n’a tant souffert que la nôtre du fait de la guerre, mais par cela même aucune n’a été plus favorisée pour établir des vérités et saper des légendes. Si vis pacem, para… veritatem. C’était une banalité au front, mais il faut la redire, car on semble l’avoir oubliée depuis l’armistice. On semble prêt à laisser faire, à permettre que nos enfants se nourrissent de fables, de ces fables qui nous ont conduits à août 1914. » [6]
Dans ce passage, Cru exprime à la fois son objectif politique au sens large et la conscience de ce qu’il ne l’a sans doute pas atteint, qu’il a échoué sur ce plan. En fait, son échec est bien plus large, comme nous allons le voir à présent.
Au regard de ses objectifs et de ses ambitions, l’échec de Cru est en effet triple. En premier lieu, ce ne sont pas les œuvres par lui reconnues comme les plus valables sur le plan du témoignage, de la valeur documentaire, qui se sont imposées à l’attention du grand public ou des historiens. Parmi les vingt-neuf auteurs dont Cru a classé les œuvres dans la classe I, celle des meilleurs témoignages, aucun nom n’est sans doute connu du grand public, si ce n’est celui de Maurice Genevoix. Mais ce dernier ne se fera pas connaître pour la valeur documentaire ainsi d’ailleurs que la valeur littéraire des récits de guerre par lesquels il a entamé sa carrière d’homme de lettres (ils ont été publiés entre 1916 et 1923), récits regroupés et publiés plus tard sous le titre général de Ceux de 14 [7]. C’est ultérieurement comme un écrivain du monde rural qu’il fera carrière et finira académicien.
À l’inverse, Le Feu d’Henri Barbusse (paru en 1917) et Les Croix de Bois de Roland Dorgelès (paru en 1919) ont connu un immense succès dès leur parution, succès qui ne s’est pas démenti pendant tout l’entre-deux-guerres, le premier valant à son auteur le prix Goncourt en 1916, le second faisant l’objet d’une non-moins célèbre adaptation au cinéma par Raymond Bernard en 1931. Deux œuvres dont la valeur documentaire est fort médiocre, selon Cru, du fait, notamment, de leur absence de chronologie et de leur absence de topologie mais aussi de la faiblesse des notations concernant la psychologie des combattants. Cru leur reproche, de plus, de comporter de très nombreuses inexactitudes de détails et de colporter plusieurs des tropes de l’imaginaire guerrier qu’il a eu l’occasion de dénoncer [8].
On peut d’ailleurs en dire autant de l’autre grand roman censé porter témoignage sur et contre la Grande Guerre, qui a connu pour sa part un succès mondial, A l’ouest, rien de nouveau, de Erich Maria Remarque. Paru en 1929, adapté au cinéma dès 1930 par Lewis Milestone, traduit dans une trentaine de langues, diffusé à des millions d’exemplaires, ce roman va constituer pour des générations le témoignage type sur et contre la Grande Guerre. Bien que l’œuvre sorte de son corpus, Cru lui consacre une brève analyse en la rangeant dans la catégorie des « Souvenirs de combattants étrangers de 1866 à 1918 ». Or voici ce qu’il en dit :
« Roman pacifiste ayant tous les défauts du genre représenté par Barbusse et Latzko : outrance du macabre, meurtre à l’arme blanche, ignorance de ce que tout fantassin combattant doit savoir (…) Un non-combattant ne commettrait pas plus d’erreurs. » [9]
En second lieu, Cru n’a pas moins échoué, au moins en partie, à modifier le regard porté par les historiens sur la Première Guerre mondiale. Autrement dit, son œuvre historiographique n’a nullement ouvert la voie à la constitution de cette « nouvelle connaissance de la guerre » qu’il invitait les historiens à fonder et qui prendrait comme point de départ et point d’appui les témoignages des combattants.
Pendant des décennies, les historiens qui ont écrit sur la Première Guerre mondiale ont continué à le faire à l’ancienne, en prenant pour seules sources les archives gouvernementales et militaires. Ils ont donc continué à adopter le point de vue du général en chef ou du général tout court, pour qui le champ de bataille se réduit à une carte sur laquelle on déplace des unités (selon le cas des armées, des corps d’armée, des divisions, des régiments, des bataillons), réduites à des étiquettes ou de petits drapeaux, comme le joueur d’échec déplace les pièces sur le damier. Et ils ont continué à méconnaître le point de vue de Fabrice, le point de vue du combattant opérant sur le champ de bataille lui-même, témoignant de ce qu’il y a vu et vécu. Dans ce type d’étude historique, le vécu du simple combattant est littéralement ignoré. Pire encore, il est souvent occulté et défiguré par la reprise non critique de tous les tropes de l’imaginaire guerrier et héroïque.
Cette manière d’écrire l’histoire de la Première Guerre mondiale a cependant fini par se heurter, à partir des années 1970 et surtout 1980, à deux obstacles qui en ont interdit la poursuite, du moins sous cette forme. Il s’est agi, d’une part, de la publication de très nombreux témoignages de combattants (essentiellement des lettres, des carnets, des recueils de souvenirs), souvent à l’initiative de leurs enfants, voire de leurs petits-enfants, dont certains eurent un grand retentissement. Phénomène qui s’explique, d’autre part, par une mutation de la perception collective elle-même de la Grande Guerre, probablement liée à l’éloignement du spectre de la guerre en Europe à partir des années 1960 (si l’on veut bien mettre entre parenthèses les dernières guerres coloniales, le regain de guerre froide au début des années 1980 et les courtes guerres balkaniques dans les années 1990) : aux yeux des membres de la première génération d’Européens à peu près assurée de ne plus faire l’expérience de la guerre sur leur propre sol, la Grande Guerre est progressivement apparue comme quelque chose d’inconcevable, au double sens d’inintelligible et d’inacceptable, assurant la réception des témoignages des combattants sur l’effroi et l’horreur par eux éprouvés. C’est d’ailleurs dans ce contexte que Cru a été redécouvert. Mais cela n’a pas suffi à l’imposer comme une référence incontournable parmi les historiens.
En effet, l’école historique aujourd’hui dominante et officieuse sur la question, celle regroupée dans et autour de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, ouvert en 1992 sous la direction de Jean-Jacques Becker, continue à tourner le dos aux enseignements de Cru. Cette école entend réagir contre ce qu’elle appelle la « dictature du témoignage », en étant allée jusqu’à souhaiter voir disparaître les derniers témoins afin de pouvoir enfin « historiser » la Grande Guerre : la rendre à ceux-là seuls qui ont autorité pour en traiter, les historiens [10]. De ce fait, les travaux de cette école continuent à charrier certains des tropes de la « légende de guerre » dénoncés par Cru. Par exemple, le « mythe » de l’importance de la charge à la baïonnette et du choc des combattants [11] ; ou celui du meurtre à l’arme blanche les yeux dans les yeux [12] ; ou encore celui de la « haine de l’ennemi » entre les combattants, conduisant à la mise à mort des blessés ou des prisonniers [13]. Ils continuent de même à placer sur le même plan documentaire les souvenirs d’un capitaine Tuffrau, que Cru tient pour un document de premier ordre, et le roman de Barbusse qu’il tient pour un document de fort médiocre valeur documentaire [14]. Mais encore, et c’est beaucoup plus grave, ces mêmes travaux mobilisent une discutable notion, celle de « culture de guerre », pour expliquer le soi-disant « consentement patriotique » des combattants à la guerre. Culture dont les principales dimensions seraient le déchaînement de la violence, la « brutalisation » des combattants ordinaires (notion empruntée à Georges Mosse), la profondeur et la généralité de la haine de l’ennemi et l’existence d’un véritable esprit de croisade à dimension eschatologique. Autant d’éléments dont Cru ne trouve aucune trace, bien au contraire, au sein des témoignages jugés par lui authentiques.
Il se trouve heureusement une autre école historique pour s’opposer à ce courant dominant de l’histoire de la Première Guerre mondiale et remettre en cause cette nouvelle interprétation historienne de la Première Guerre mondiale, aujourd’hui dominante. Cette seconde école se concentre notamment au sein de l’Université Paul-Valéry de Montpellier, autour de Frédéric Rousseau [15]. Et, chose remarquable et significative, elle accorde pour sa part une grande valeur au travail pionnier de Cru, auquel Frédéric Rousseau a consacré, il y a une dizaine d’années maintenant, un important ouvrage et dont il a totalement adopté le parti pris méthodologique d’écrire la guerre du point de vue de Fabrice, du point de vue du combattant de base, parce que lui seul nous permet en définitive de comprendre ce qui s’est passé [16]. Espérons qu’il préfigure la revanche posthume de ce dernier. Certains indices le laissent penser parmi lesquels il faut signaler le dynamisme du site du Collectif de Recherche International et de Débat sur la Guerre de 1914-1918 [17] ainsi que certaines publications récentes [18].
En troisième lieu, enfin, Cru a bien évidemment échoué à rendre la guerre impossible en en apportant la science vraie, parce que fondée sur l’expérience du combattant. Et ce n’est évidemment pas seulement parce qu’il n’a pas été suivi par le public et les historiens. C’est qu’il y a avait là, de sa part, plus que de la naïveté à imaginer qu’il suffirait de porter témoignage authentique de la réalité du combat pour vacciner définitivement les hommes contre le virus de la guerre. Cette naïveté est en fait profondément idéaliste et irréaliste.
Idéaliste au sens philosophique du terme, parce qu’elle est fondée sur le présupposé idéaliste par excellence qu’il ne saurait y avoir chez l’homme une volonté positive du mal, tout au plus une absence de connaissance du bien qui fait qu’il se trompe sur la nature profonde de ce qu’il désire, veut et entreprend : qu’il croit poursuivre le bien alors qu’il se livre à la réalisation du mal. Autrement dit, l’homme ne serait pas fondamentalement méchant, il serait tout au plus bête (ignorant) ; et, dès lors qu’on lui apporte la science (la connaissance), il cesserait ipso facto de faire le mal.
Et il s’agit, en même temps, de la part de Cru d’une naïveté tout à fait irréaliste. En réduisant la guerre à la bataille, il ignore ou veut ignorer toutes les déterminations économiques, sociales, politiques et culturelles de la guerre – dont la production répond à des ’logiques’ (des nécessités, des déterminismes) inscrites dans la dynamique des rapports sociaux (rapports de production, rapports de classe, rapports internationaux) qui dépassent de très loin ce que les individus engagés dans le combat peuvent en comprendre et en maîtriser, par leurs actions ou par leur inaction.
Au-delà de cette naïveté idéaliste et irréaliste, l’échec de Cru s’explique cependant par deux autres raisons beaucoup plus fondamentales, que lui-même saisit en partie, mais en partie seulement. Ce sont elles que je me propose d’examiner maintenant.
La première de ces raisons est aperçue par Cru mais nettement sous-estimée par lui dans son ampleur et sa force. Essentiellement parce qu’il n’en comprend pas la nature véritable. Il s’agit bien évidemment de la prégnance de ce que j’ai appelé à plusieurs reprises déjà l’imaginaire guerrier et héroïque.
Il faut commencer par définir cette expression que j’ai volontairement laissée dans un certain flou conceptuel jusqu’à présent. J’entends par là un ensemble, plus ou moins cohérent, d’images, de scénarii, d’idées, de valeurs, qui exaltent l’affrontement guerrier (la bataille) au nom des vertus héroïques qu’il est censé permettre aux hommes de manifester et, plus encore, de cultiver. Cru lui-même présente cet imaginaire en ces termes :
« L’homme s’est toujours glorifié de faire la guerre, il a embelli l’acte de la bataille, il a dépeint avec magnificence les charges des cavaliers, les corps à corps des soldats à pied ; il a attribué au combattant des sentiments surhumains : le courage bouillant, l’ardeur pour la lutte, l’impatience d’en venir aux mains, le mépris de la blessure et de la mort, le sacrifice joyeux de sa vie, l’amour de la gloire. Les siècles, les millénaires ont ancré la réalité de cette conception dans l’esprit des citoyens qui n’ont pas combattu. Qui oserait douter de choses aussi anciennes, confirmées par le témoignage unanime de générations jusque dans la nuit des temps ? » [19]
Le présupposé de cet imaginaire est que ce sont ces vertus héroïques (leur présence ou leur absence, leur manifestation et leur réalisation plus ou moins intenses et constantes) qui décident toujours in fine de l’issue de l’affrontement. Autrement dit, la guerre serait une pratique dans laquelle l’homme peut manifester ses qualités individuelles et sa capacité de maîtrise de soi, des autres et du monde en général comme dans toute autre pratique, quelle qu’elle soit.
Cet imaginaire n’est pas sans fondement historique, en un double sens. D’une part, il a longtemps correspondu à la réalité de la guerre, tant que celle-ci était artisanale au sens où elle mettait en jeu et aux prises des hommes dont l’armement, offensif ou défensif, était de l’ordre de l’outil, au mieux de la machine simple (au sens mécanique de l’expression), dont la mise en œuvre relève en effet des qualités (physiques, morales et intellectuelles) du combattant. D’autre part, et dans cette mesure même, cet imaginaire pouvait être fonctionnel pour le combattant, en l’aidant tout à la fois à se préparer au combat (par l’entraînement, l’équipement, etc.) et à supporter l’épreuve du combat, notamment en le convainquant (parce que cela était en bonne partie vrai) que son salut dans le combat gisait en bonne partie entre ses mains, au sens où il dépendait de la mise en œuvre par lui des vertus héroïques précédentes.
Cet imaginaire peut donc se comprendre comme une sorte de dépôt, de cristallisation, de fonds de la mémoire collective, plurimillénaire, immémoriale même, de la guerre artisanale. La transmission de cette mémoire a été assurée très longtemps, de manière purement orale ou même déjà écrite, sous forme de récits épiques (de L’Iliade jusqu’aux chansons de geste du Moyen Âge), le plus souvent assurée par des non-combattants après la bataille ou avant celle-ci. Et sa réception était également confortée par l’expérience récurrente de la guerre au fil des générations.
Mais précisément, comme Cru l’a compris et le répète de multiples fois, ce même imaginaire et par conséquent la mémoire collective de la guerre à laquelle il sert de fonds se mettent à perdre progressivement tout fondement et à se muer en véritables fables funestes de plus en plus fantaisistes et mensongères au fur et à mesure que la guerre cesse d’être purement artisanale avec l’invention, la diffusion et le perfectionnement des armes à feu : canon, arquebuse, mousquet, fusil, pistolet, etc., qui interviennent en Europe à partir de la fin du Moyen Âge et, a fortiori, à partir du moment où elle devient proprement mécanique. Alors, l’arme à feu devient une machine dont l’homme n’est plus que le servant ; ce qui a précisément lieu avec la mise au point du fusil à répétition, de la mitrailleuse, du canon à tir rapide. Tandis que, simultanément, les moyens de défense (les moyens d’échapper au feu de l’ennemi) se perfectionnent eux-aussi grâce à l’industrie, avec notamment la mise au point de l’acier trempé, du béton armé et du fil de fer barbelé. Toutes modifications qui se produisent précisément au cours de la seconde moitié du XIXe siècle.
Dès lors, la réalité du combat change radicalement d’un double point de vue. D’une part, les combattants ne s’affrontent plus directement mais uniquement par armements interposés : à proprement parler, ce sont les armes mécaniques et automatiques qui se font la guerre. Et les combattants sont alors condamnés à osciller entre le rôle du bourreau et celui de la victime, suivant que leur puissance de feu est supérieure ou inférieure à celle de l’ennemi. C’est ce que Cru a parfaitement saisi et qu’il ne cesse de répéter.
D’autre part, et pour ces mêmes raisons, les combattants ne peuvent plus (ou dans une mesure tout à fait infime) compter sur leurs vertus propres, quelques héroïques qu’elles puissent être, pour attaquer l’ennemi ou s’en défendre, pour sortir vainqueurs ou tout simplement vivants du combat. La victoire ne se décide plus à leur niveau, mais à celui de la mise en œuvre massive (au niveau d’unités telles que les corps d’armée, les armées ou les groupes d’armées rassemblant des centaines de milliers d’hommes) de moyens d’attaque ou de défense mécaniques dont ils ne sont plus que les servants. Quant à leur salut individuel, c’est de plus en plus une simple question de probabilité.
L’intelligence de Cru est d’avoir précisément compris que la réalité de la guerre mécanique contemporaine invalide radicalement la part de vérité que pouvait comprendre l’imaginaire guerrier-héroïque hérité des temps de la guerre artisanale [20]. C’est ce qui constitue le motif essentiel, on l’a vu, de sa critique de ce qu’il appelle tantôt la « légende de la guerre », tantôt les « idées fausses de la guerre », et qu’il traque dans les différents documents qu’il examine.
Mais alors, comment expliquer que cet imaginaire guerrier-héroïque et la mémoire collective de la guerre qu’il soutient se soient non seulement maintenus, en dépit de la réalité de la guerre contemporaine qui les invalidait ? Bien plus, comme comprendre que ce soient eux qui aient prévalu, au point d’imprégner tant de récits sur la Première Guerre mondiale (en nuisant du coup à leur valeur documentaire) et d’imposer comme témoignages ceux de ces récits qui sont certes parmi les plus médiocres du point de vue documentaire, mais qui ont précisément comme vertu de conforter cet imaginaire de plus en plus fabuleux et cette mémoire de plus en plus légendaire ?
Dans Témoins, Cru ne pose pas la question et encore moins y répond-il. Tout simplement parce qu’il est intimement persuadé que la vérité dont il est porteur va éclater et dissiper tout ce tissu de malentendus et de mensonges. Même s’il constate déjà, une dizaine d’années à peine après la guerre, que le public semble friand de pareils mensonges. Dans Du témoignage, par contre, la distance critique que Cru commence à prendre par rapport à son oeuvre antérieure, le conduit à poser la question. Mais il y répond alors de manière purement tautologique, en évoquant la force de la tradition (entendons la mémoire collective), sans s’interroger sur les raisons de cette force :
« Tous, nous avons dû lutter contre l’emprise de cette légende toute-puissante et c’est à peine si les plus lucides, les plus indépendants, ont réussi à défendre contre elle leur raison et la réalité de leur expérience. Le mensonge aux cent bouches était dans notre mémoire, il était dans tout ce que nous lisions, dans tous les commérages de secteur. » [21]
En fait, il y a sans doute une raison essentielle à cette incapacité de Cru de s’interroger sur les raisons de la prégnance de l’imaginaire guerrier-héroïque et de la mémoire collective de la guerre artisanale contre lesquels il se bat – et contre lesquels il va perdre son combat. C’est sa méconnaissance de la dimension et de la fonction idéologiques de cet imaginaire et de cette mémoire dans le cadre du nationalisme. J’entends ici par nationalisme le fétichisme de la nation comme seule communauté humaine authentique ou, du moins, comme la plus authentique des communautés humaines, celle à laquelle tout doit en dernière instance être sacrifié. À mon sens, ce qui explique le maintien de l’imaginaire guerrier-héroïque et de la mémoire collective de la guerre artisanale, c’est la part qu’ils prennent, tout au long du XIXe siècle et jusqu’aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, à la constitution et la consolidation du nationalisme pris en ce sens.
En effet, cet imaginaire et cette mémoire constituent des pièces essentielles du nationalisme, dans la mesure où ils sont seuls capables de préparer et de justifier par avance le sacrifice qui peut être demandé à l’individu de sa propre existence à la réalisation des intérêts supérieurs de la nation, voire à la survie même de la nation. C’est dans cette exacte mesure qu’ils remplissent une fonction idéologique et qu’ils comprennent une dimension idéologique. Dès lors, ceux des écrivains tels Barbusse, Dorgelès, Remarque, etc., qui pensent faire œuvre de pacifistes en produisant des récits imprégnés de cet imaginaire guerrier-héroïque se comportent en fait comme des propagandistes involontaires du nationalisme. Quant au public, il ne reçoit ces récits pour des témoignages que dans la mesure où il adhère lui-même au nationalisme que ces récits confortent.
Ce qui aveugle Cru à cet égard, c’est son propre patriotisme sinon son nationalisme. Comme plus largement sa posture théorique (son empirisme) qui le rend tout aussi incapable d’un rapport critique au nationalisme comme idéologie se nourrissant de l’imaginaire guerrier-héroïque et de la mémoire collective de la guerre artisanale.
Il est cependant une seconde raison fondamentale de l’échec de Cru tout comme de la prégnance de l’imaginaire guerrier-héroïque, que Cru signale là encore, mais dont il ne saisit pas du tout la portée sous cet angle. Il s’agit du caractère proprement traumatique de l’expérience de la guerre moderne.
Est traumatique toute expérience qui, d’une part, invalide la capacité symbolique du sujet (sa capacité à former des représentations ou à user de représentations et, par conséquent, à donner sens à son expérience et à son vécu), tout en le soumettant, d’autre part, à un afflux inhabituel d’affects. Le traumatisme résulte précisément de la conjonction de ce double processus d’invalidation de la capacité symbolique du sujet et d’un raz-de-marée d’affects violents et incoercibles, d’autant moins maîtrisables précisément que le sujet ne parvient pas à les lier à des représentations.
Le caractère traumatique de la guerre moderne a été reconnu dès la Première Guerre mondiale. C’est la multiplication des Kriegsneurosen (névroses de guerre) qui met, par exemple, Freud sur la voie du concept de névroses traumatiques dans les années 1916-1918. Névroses caractérisées par une compulsion de répétition : la tendance du sujet à revivre sans cesse, bien que de manière douloureuse, l’expérience traumatique. Tendance qui s’explique précisément par son incapacité à lier les affects que l’expérience traumatique a fait naître en lui, tout en le privant du cadre représentatif qui permettrait de lier, fixer et abréagir ces émotions. Ce qui va amener Freud, avec Au-delà du principe de plaisir (1921), à un remaniement décisif de toute son élaboration théorique antérieure, en avançant notamment l’hypothèse de l’existence de la fameuse pulsion de mort.
Depuis, de nombreuses observations et travaux ont clairement établi que la guerre moderne est une expérience fondamentalement traumatique. Ainsi, entre 1942 et 1945, un dixième des mobilisés états-uniens a dû être hospitalisé pour troubles mentaux ; après trente-cinq jours de combat ininterrompus, 98 % des combattants présentaient des troubles psychiques à des degrés divers [22].
Cru a lui-même parfaitement saisi le principe de ce traumatisme, même si ce dernier concept lui fait défaut. Selon l’analyse qu’il en propose, la guerre moderne constitue une expérience traumatique, d’une part, en ce qu’elle invalide radicalement, comme il l’a montré, tout l’imaginaire guerrier-héroïque qui continue à servir de cadre de représentation au combattant avant son expérience du feu et en fonction duquel il s’est préparé à affronter cette expérience. À quoi s’ajoute le fait que, d’autre part, le combattant fait alors, de surcroît, l’expérience de sa radicale impuissance à se défendre, à assurer son salut, ce que Cru a relevé aussi. Autrement dit, l’expérience de l’invalidation radicale de sa capacité symbolique à maîtriser ses affects est simultanément l’expérience de l’invalidation non moins radicale de sa capacité pratique à maîtriser la situation dans laquelle il se trouve.
Cru exprime cette double invalidation en disant que la guerre moderne est quelque chose qui dépasse l’homme, qui n’est plus à sa mesure, qui invalide en somme l’humanité en lui. Il s’exprime très exactement en ces termes :
« Sur le courage, le patriotisme, le sacrifice, la mort, on nous avait trompés, et aux premières balles nous reconnaissions tout à coup le mensonge de l’anecdote, de l’histoire, de la littérature, de l’art, des bavardages des vétérans et des discours officiels. Ce que nous voyions, ce que nous éprouvions, n’avait rien de commun avec ce que nous attendions d’après tout ce que nous avions lu, tout ce qu’on nous avait dit. Non, la guerre n’est pas le fait de l’homme : telle fut l’évidence énorme qui nous écrasa. » [23]
En ce sens, la guerre moderne constitue sans doute une des modalités de l’expérience de la déshumanisation, de la dépossession radicale de soi. Et il faudrait l’analyser méthodiquement sous cet angle.
Mais, si Cru a su saisir cet aspect fondamental de l’expérience de la guerre moderne, il n’en tire malheureusement pas toutes les conséquences possibles, en s’interrogeant notamment sur les effets qu’une pareille expérience produit sur le sujet dès lors qu’il doit ou veut en témoigner. Or, il me semble que deux réactions sont dès lors possibles de sa part sur ce plan.
Ou bien l’aphasie et le silence. Le témoin se tait, tout simplement parce que les mots lui manquent pour dire son expérience, ce qu’il a fait, vu et vécu. Les représentations à sa disposition pour dire la guerre réellement existante, représentations qui pour l’essentiel procèdent de l’imaginaire guerrier-héroïque, ne sont pas (ou plus) appropriées pour la rendre intelligible à lui-même et aux autres. Et le sujet étant incapable d’élaborer d’autres représentations, il se trouve en quelque sorte à court de représentation, incapable de symboliser.
Ou bien, au contraire, la logorrhée et l’hyperbole. Pour essayer de rendre intelligible à lui-même et aux autres son expérience, ce qu’il a fait, vu et vécu, le sujet investit en les exagérant jusqu’au délire les seules représentations de lui connues et des autres reconnues, celles que lui offre l’imaginaire guerrier-héroïque. Et il tente, par une exagération mi-consciente mi-inconsciente, par une enflure hyperbolique des tropes de cet imaginaire, de rendre compte de son expérience ; cette exagération étant justifiée à ses yeux par la nature proprement extraordinaire de l’expérience dont il s’agit de rendre compte. Et ce, qu’il se propose d’exalter la guerre dans une perspective patriotique-nationaliste ou qu’il se propose, au contraire, de la dénigrer et de la critiquer, dans une perspective pacifiste.
C’est d’ailleurs là très précisément ce que Cru reproche pour l’essentiel aux pacifistes. Déformer délibérément la réalité de la guerre pour la rendre odieuse :
« La belle que voilà pour des pacifistes ! La belle vérité qu’ils nous révèlent ! Ils ne l’ont certes pas puisée dans leur expérience personnelle du combat. Littérateurs, doués du sens du public, avertis de l’attraction malsaine qu’exercent le geste tueur, le couteau sanglant, le cadavre mutilé, ils en ont joué hors de propos avec un art déformateur et ont servi à la foule moutonnière ce qu’elle lit depuis des siècles, mais en le colorant à la mode du jour. » [24]
On est ainsi face à une curieuse et étonnante contradiction dialectique. C’est précisément parce qu’elle invalide les représentations guerrières-héroïques antérieures en même temps que, plus fondamentalement, les capacités du sujet à symboliser son expérience, que la guerre contemporaine tend à réactiver chez certains sujets (témoins) l’imaginaire héroïque en question, en lui offrant du coup une nouvelle jeunesse. Autrement dit, ce qui tend d’un côté fondamentalement à invalider et détruire cet imaginaire le fait simultanément renaître de ses ruines et lui donne la possibilité d’une nouvelle jeunesse.
Il serait ici possible et intéressant d’établir une comparaison avec l’autre grande expérience traumatique dont la première moitié du XXe siècle a été le siège : celle des camps de concentration et d’extermination. On pourrait aisément montrer que, mutatis mutandis, cette autre expérience de déshumanisation, sans doute plus radicale encore que celle de la guerre moderne, a produit, au niveau des témoins et des témoignages, ce même double effet d’aphasie et d’hyperbole. C’est ce qui se dégage notamment des analyses des témoignages des rescapés des camps d’extermination auxquelles la Fondation Auschwitz de Bruxelles s’est livrée méthodiquement sous la direction de M. Yannis Thanassekos. Ce dernier a notamment mis en évidence comment ces témoignages oscillent en permanence entre inflation et forclusion de la mémoire, toutes deux s’expliquant en définitive par le caractère extrême et traumatisant de l’expérience des camps. A propos de l’inflation, il note notamment :
« L’état de l’inflation par exemple s’observe de manière récurrente lorsque le survivant déclare non seulement pouvoir tout dire du contenu de son expérience, mais aussi lorsque, dans cet effort même, il lui arrive de confondre sa propre expérience avec celles des autres, qu’il les ait observées, entendus ou lues (…) Du point de vue subjectif, il est aisé par exemple de renvoyer toutes ces exagérations et affabulations soit à une sorte de pathétisation du récit que le rescapé croit nécessaire pour compenser en quelque sorte l’indigence des mots, soit encore à des besoins psychologiques de restauration et de revalorisation de l’image de soi. Du point de vue objectif cependant, ces mêmes exagérations et confusions inflationnistes de la mémoire peuvent être associés à l’inconcevabilité et, plus encore, l’irreprésentabilité de l’expérience en tant que telle. » [25]
Au terme de son œuvre, Cru était convaincu d’avoir non seulement servi la cause de la vérité historique (sur la Première Guerre mondiale) et celle de la paix ; mais encore d’avoir fourni un matériau de recherche capable de contribuer au renouvellement des sciences humaines et sociales pour qui saurait s’en servir :
« Je voudrais diriger l’attention des sociologues, des moralistes et surtout des psychologues vers des matériaux dont je m’occupe. Ils y trouveront de quoi combler bien des lacunes, compléter bien des notions et même rectifier quelques erreurs dans le domaine de leurs disciplines. » [26]
Dans cette contribution, y compris à travers les critiques que je lui ai adressées, j’ai cherché à lui rendre hommage en répondant à son souhait de voir notamment les sociologues tirer quelques enseignements, quant à leur discipline, des matériaux par lui réunis et exploités. Il me semble que l’on peut notamment dégager de ces derniers la double proposition suivante, que l’on pourra retenir au moins à titre d’hypothèse : dans certains de ses secteurs, la mémoire collective est essentiellement une manière de transformer la réalité sociale-historique pour la rendre conforme aux exigences de l’imaginaire social (y compris dans sa fonction idéologique) ; elle est aussi une manière de se ’raconter des histoires’ pour ne pas avoir à affronter ou de manière à pouvoir compenser le traumatisme de l’expérience de l’Histoire.
[1] Cf. « », , n°13.
[2] Témoins. Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928 [1929], Presses Universitaires de Nancy, Nancy, 1993.
[3] Id., page 19.
[4] Id., page 21.
[5] Id., page 51.
[6] Id., page 36.
[7] Maurice Genevoix, Ceux de 14, Flammarion, 1950.
[8] Les critiques des romans de Barbusse et de Dorgelès se trouvent dans Témoins, op. cit., respectivement pages 555-565 et pages 587-593. Sur les tropes de l’imaginaire guerrier, cf. « Méthodologie de la critique du témoignage », op. cit.
[9] Témoins, op. cit., p. 80.
[10] Cf. par exemple Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, La Grande Guerre 1914-1918, Gallimard, coll. « Découvertes » ; et 14-18, retrouver la guerre, Gallimard, 2000.
[11] Cf. Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, 14-18, retrouver la guerre, op. cit., p. 41.
[12] Id., p. 53-54.
[13] Id., p. 42.
[14] Id., p. 51-52.
[15] On lira de ce dernier La guerre censurée. Une histoire des combattants de 14-18, Editions du Seuil, 1999 ; et (en collaboration avec Rémy Cazals), 14-18, le cri d’une génération, Privat, 2001.
[16] Le procès des témoins de la Grande Guerre. L’affaire Norton-Cru, Le Seuil, 2003.
[18] Cf. la publication des deux volumes parus sous le titre Historiographies : concepts et débats, Paris, Le Seuil, Folio Histoire, 2010, dans lesquels il convient de mentionner en particulier l’article de Nicolas Offenstadt, « Le témoin et l’historien », p. 1242-1252
[19] Du témoignage, op. cit., p. 23.
[20] Il ne revendique cependant pas la primeur de cette découverte. Dans l’« Introduction générale » de Témoins, il rend notamment hommage à trois de ses précurseurs en la matière : le colonel français Ardant du Picq (1821-1870), le commandant d’artillerie français Emile Mayer (1851- 19 ??), enfin le financier russe Jean de Bloch (1836-1902). Cf. Témoins, op. cit., p. 52-59.
[21] Du témoignage, op. cit., p. 129-130.
[22] Louis Crocq, Les traumatismes psychiques de guerre, Odile Jacob, 1999 ; cité par Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, op. cit., p. 36.
[23] Témoins, op. cit., p. 13-14.
[24] Du témoignage, op. cit., p. 107-108.
[25] « Stratégie de survie. Le dicible et l’indicible : de l’invisibilité au dédoublement » dans Le traumatisme et l’effroi, Séminaire Psychiatrie, psychothérapie et culture, Strasbourg, 1995, p. 173. Et du même auteur, « Prolégomènes pour une étude rigoureuse de la mémoire », Bulletin trimestriel de la Fondation Auschwitz, n°31, Bruxelles, janvier-mars 1992 ; « De ‘l’histoire problème’ à la problématique de la mémoire », Bulletin trimestriel de la Fondation Auschwitz, n°64, Bruxelles, juillet-septembre 1999.
[26] Du témoignage, op. cit., pp. 115-116
Bihr Alain, « La mémoire collective comme imaginaire social. Autour de l’œuvre de Jean Norton Cru (2) », dans revue ¿ Interrogations ?, N°14. Le suicide, juin 2012 [en ligne], https://www.revue-interrogations.org/La-memoire-collective-comme (Consulté le 16 octobre 2024).