Aujourd’hui, un certain nombre de pratiques visent à contourner ou contester les circuits économiques conventionnels. C’est le cas notamment de celles promues en France par les AMAP et des organisations du commerce équitable parmi les plus connues et les plus institutionnalisées. Si ces organisations affichent pour ambition de mieux consommer, avec un impact moindre sur la planète et en rémunérant davantage le producteur, elles cèdent parfois à des engagements utilitaristes et des logiques de marchandisation. Avec leur succès, les stratégies commerciales et l’efficacité quantitative ne supplantent-elles pas les valeurs contestataires initiales ? En outre, les modes de consommation alternatifs ne prennent pas en compte les nouveaux modes de gestion du système alimentaire global, à savoir l’administration par les normes.
Mots-clefs
AMAP, commerce équitable, marchandisation, norme, société de consommation
Today, a number of practices are aimed at bending or challenging traditional economic circuits. This is particularly the case for practices promoted by associations for consumer supported agriculture (AMAP in France) and fair trade organizations, among the best known and most institutionalized. If they display the ambition to consume better, with less impact on the planet, and to pay the producer more, these organizations sometimes yield to utilitarian commitments and merchandising logics. With their success, are trade strategies and quantitative efficiency supplanting the initial anti-establishment values ? In addition, alternative consumption patterns don’t take into account the new modes of administration of the global food system, namely administration by standards.
Keywords
CSA (community supported agriculture), fair trade, merchandising, norms, consumer society
Lorsque Jean Baudrillard publie son ouvrage La société de consommation (1970), les plus critiques du mode de vie capitaliste pensent pouvoir balayer le matérialisme économique alors en pleine expansion. Jean Baudrillard analyse une société où la marchandise structure de plus en plus les rapports sociaux. Elle organise et a tendance à devenir le véritable et unique lien social. Les sujets sont ainsi réduits à des moyens de produire et consommer des marchandises, avec pour finalité l’accumulation perpétuelle de capital. « Nous sommes là au foyer de la consommation comme organisation totale de la quotidienneté » (Baudrillard, 1970 : 25). Force est de constater que la société de consommation a continué de s’étendre, et le nombre d’objets marchands gravitant autour de soi ne cesse d’augmenter.
Aujourd’hui, un certain nombre de pratiques visent à contourner ou contester les circuits économiques conventionnels. C’est le cas notamment des pratiques promues en France par les AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) et les organisations du commerce équitable parmi les plus connues et les plus institutionnalisées. Le lien entre AMAP et commerce équitable se situe dans une critique de la dimension économique mondialisée et strictement administrée de l’agriculture, qui favorise l’agro-industrie et met les petits producteurs sur la paille dans les pays riches (Noulhianne, 2016), tandis qu’elle est globalement plus défavorable aux pays dits du sud (Doussin, 2011 : 10 à 20).
Ronan Le Velly rappelle, dans sa Sociologie des systèmes alimentaires alternatifs (2017), que la référence à l’ « alternatif », même quand il s’agit d’en questionner la portée réelle, est incontournable dans l’analyse des systèmes alimentaires basés sur une « promesse de différence » (Le Velly, 2017 : 15-25). Si les systèmes alimentaires conventionnels et alternatifs ne constituent pas deux mondes séparés, les acteurs cherchent bien par certaines pratiques à organiser différemment la production, l’échange et/ou la consommation. C’est pourquoi Ronan Le Velly s’attache à mettre l’accent sur les projets, c’est-à-dire les finalités orientant l’action, que se donnent les ensembles collectifs pratiquant de l’alternatif (ibid. : 31-32). « Le contenu des cadres interprétatifs et promotionnels avancés […] ne doit pas être considéré comme de “beaux discours” visant simplement à mettre en valeur les initiatives concernées, mais comme une composante des projets des collectifs mettant en action le commerce équitable et les circuits courts » (ibid. : 66). Il s’agit bien de prendre au sérieux ces intentions – mieux rémunérer les petits producteurs, protéger l’environnement, relocaliser l’économie, infléchir et concurrencer l’économie capitaliste, privilégier une nourriture saine, etc. – et d’en analyser la mise en pratique et les contradictions, « de mettre l’étude de leur alternativité au centre de l’analyse » (idem). Le projet et les valeurs initiales peuvent en effet différer de la mise en action, soumise à une recherche de réalisation et d’efficacité nécessitant des arbitrages entre des principes et une hiérarchisation des valeurs.
Comment ces “bonnes intentions” se concrétisent-elles ? Quelle est la réalité des pratiques et des acteurs les portant ? C’est ce que nous proposons d’analyser ici, en prenant appui sur une étude de terrain effectuée dans le cadre d’une recherche doctorale en sociologie soutenue en 2014 sur les processus de bureaucratisation, de marchandisation et de stratification sociale dans les associations et l’économie solidaire (Vignet, 2014). Les monographies de deux organisations de commerce équitable et d’une AMAP présentées ci-après reposent sur de l’analyse secondaire d’études déjà existantes, de l’analyse documentaire, de l’observation directe et des entretiens, semi-directifs essentiellement, parfois informels où l’observateur est caché, avec des membres.
Il ressort de cette analyse que les engagements utilitaristes – mieux manger, trouver les produits au même endroit, adopter des attitudes de distinction, faire de l’argent – ainsi que les dérives liées à l’économie de marché ne sont pas absentes des pratiques du “business généreux”. Nous montrerons en outre que pèse sur l’agro-industrie le poids de l’administration sur les producteurs.
Les pays dits du Sud sont pris dans le jeu du commerce international, jeu largement en leur défaveur. Leur économie est dépendante des exportations de matières premières et de produits agricoles vers les pays les plus riches économiquement, dits du Nord. Ces forces économiques mondiales, largement orchestrées depuis les administrations internationales (G8, G20, OMC, FMI, Banque mondiale) [1], ont des effets dévastateurs sur les populations. En 2009, selon la FAO [2], plus d’un milliard de personnes souffraient de la faim. En 2016, le rapport de l’ONU sur la sécurité alimentaire et la nutrition évoquait le chiffre de 815 millions de personnes. L’obligation pour les pays du Sud de suivre les directions libérales du FMI et de la Banque mondiale, par le jeu du remboursement des dettes accumulées, aggrave ce phénomène, notamment à cause de la réduction de la capacité d’intervention publique et de la privatisation du marché du logement [3]. Au Nord, le maintien des fortes subventions permet aux pays riches d’exporter à des prix bas, affaiblissant d’autant plus les producteurs du Sud. L’influence des grands groupes commerciaux, en premier lieu ceux de l’industrie agroalimentaire, joue un rôle de levier supplémentaire dans le déséquilibre Nord-Sud. En fait, « la moitié de la production et les deux tiers du commerce mondiaux » sont tenus par les multinationales, et « selon le Programme des Nations Unis pour le Développement, le commerce international est contrôlé à 82% par des pays où vit un cinquième de la population mondiale, les pays du cinquième le plus pauvre en contrôlant un peu plus de 1% » (Laville, 2010 : 137).
C’est dans ce contexte que le commerce équitable s’est constitué, pour protéger à la fois les petits producteurs et l’environnement. Le but est d’humaniser le commerce international, source d’inégalités principalement dans les pays les plus pauvres économiquement, à travers des règles garantissant un revenu correct aux « petits producteurs » [4] , en baissant le profit pour les distributeurs et/ou en augmentant les prix pour les consommateurs. En échange, les producteurs doivent respecter un certain nombre de règles sociales et environnementales : se conformer aux normes internationales du travail, éliminer le travail des enfants, favoriser le développement de coopératives, valoriser les savoir-faire locaux, développer l’agriculture biologique, réduire l’empreinte écologique etc. (Doussin, 2011 : 32-40)
Plusieurs contradictions apparaissent cependant dans le commerce équitable. Les pays du Sud dans ce marché régulé restent toujours des exportateurs de matières premières, alors que la valeur ajoutée reste dans les pays du Nord – qui ne sont par ailleurs pas exempts de fortes inégalités. Certes, la part du prix de vente final pour le producteur lui est plus favorable que dans le commerce classique, mais les pays du Sud continuent de produire pour les pays du Nord. Le chocolat par exemple est presque en totalité consommé en Europe et Amérique du Nord, alors que les producteurs de cacao n’en consomment pour ainsi dire pas. Le commerce équitable n’encourage pas à favoriser les cultures vivrières et les échanges locaux. De ce fait, les producteurs continuent d’être pris dans le jeu du commerce international et des forces économiques mondiales. Reste que les producteurs de ces pays pauvres souhaitent y participer, plutôt que de rester dans la concurrence classique. En 2012, deux millions de travailleurs et producteurs dans le monde ont amélioré leur niveau de vie par ce biais [5], sans compter les nombreux effets positifs – toutefois variables – en termes de reconnaissance sociale, notamment des femmes, de construction de solidarités locales, de développement de projets sociaux, etc. (Fort et Ruben, 2008 ; Friser, 2009).
Il existe aussi une contradiction entre la promotion du développement durable et le fait de favoriser le commerce international à grande échelle (dont le commerce équitable des pays du Nord avec les pays du Sud), qui est responsable d’une quantité importante de la pollution (transports, conservation, empaquetage des produits). Il y a dans cette façon d’envisager l’économie une tendance vers le productivisme. De nombreux produits dits écologiques et équitables sont devenus tout le contraire du fait de leur succès. Intensification des cultures, tendance à la monoculture, perte de ressources similaires dans les pays importateurs sont des exemples d’effets pervers possibles. C’est ce dont s’inquiète Patrice de Bonneval dans son ouvrage Faites vos cosmétiques et vos shampoings par rapport aux noix de lavage venant d’Inde : « que les habitants de ces États disposent ainsi d’un produit de lavage accessible, relativement écologique, fort bien. Qu’on développe cette activité économique pour fournir un marché européen (qui ne demande pas tant !) pose certains problèmes éthiques, économiques et sociaux autant qu’écologiques » (Bonneval, 2006 : 40). D’autres études appuient ce constat contradictoire avec les systèmes alimentaires alternatifs, comme celle menée par Julie Guthman (2014), sur les dégradations de l’environnement en Californie par la monoculture et l’utilisation d’intrants acceptés par le cahier des charges de l’agriculture biologique.
Le commerce équitable concerne pour beaucoup des produits qui ne sont pas indispensables (en tout cas pas pour une consommation habituelle), transformés en biens d’usage ordinaire : à 40% le café, et à 20% le cacao [6]. C’est aussi un marché de niche. Il est probable qu’un marché mondial marginal basé sur la circulation simple existe en tout temps, aux côtés de modes de production relocalisées et tournées vers l’autonomie. L’archéologie a par exemple retrouvé des haches polies du paléolithique à plusieurs milliers de kilomètres du lieu d’extraction de la pierre, ce qui suggère des échanges (très marginales) à grande échelle. Dans ce sens, le commerce équitable pourrait être une solution de substitution au commerce conventionnel basé sur une circulation capitaliste.
Jean-Pierre Doussin distingue le commerce équitable spécialisé, qu’il qualifie d’intégré et de marché de niche, du commerce équitable labellisé (2011 : 41). Le premier intègre toute la filière (producteur, distributeur et consommateur) et cherche à sensibiliser sans se focaliser exclusivement sur le commerce, tandis que le second utilise les circuits commerciaux conventionnels. Dans cette dernière tendance, le commerce équitable vise à corriger le commerce conventionnel par un développement de ses échanges marchands. Simultanément, au niveau des organisations, le développement du commerce équitable est un moment critique et n’est pas sans conséquences sur l’organisation interne. Comme toute organisation, avec la taille qui s’accroît, la bureaucratisation progresse. Voilà ce que dit Matthieu Gateau dans un article sur « Le changement d’échelle du commerce équitable » à partir d’une étude de l’association Equi’Max (ex-Autrement) de Bourgogne, créée en 1993 et membre de Max Havelaar France :
« Pour Equi’Max, historiquement fondée sur un réseau d’interconnaissances constitué autour de professionnels et de militants de la sphère agricole locale, la première reconfiguration d’envergure a consisté en la formalisation de ses instances dirigeantes. En effet, durant ses premières années, l’association a fonctionné de manière (très) conviviale et informelle, sans bureau, dans un idéal de démocratie directe sans hiérarchisation qui faisait dire à ses fondateurs qu’“Autrement” était “une association de copains”. Cependant, en raison de la multiplication, de la diversification et de la technicisation progressive des tâches accompagnant la croissance du CE [commerce équitable], l’association a été confrontée à de multiples difficultés de coordination, de fonctionnement et de définition de ses projets […] [ce] qui a conduit au remaniement de son organisation interne. Un bureau a été élu ainsi que des référents par domaine d’activité, afin de gagner en efficacité […]. Les fondateurs, entraînant dans leur sillage de nombreux militants de la première heure, ont quitté le groupe au début des années 2000. Pour eux, cette formalisation a nui à la convivialité et à l’esprit originel du groupe, tandis que les “dérives” commerciales et marketing du système MHF [Max Havelaar France] – au détriment de questions plus politiques concernant l’avenir de l’agriculture et le sort des producteurs des pays du Sud – n’étaient plus compatibles avec leur vision du CE et la vocation initiale d’un collectif de moins en moins uni » (Gateau, 2010 : 13).
Nous sommes là au cœur du problème. Cette association militante s’est faite “avaler” par le géant Max Havelaar, qui suit une stratégie particulière de développement incessant où prime la dimension commerciale. Concrètement, pour cette association précise, les valeurs initiales ont été mises à mal et une tendance à la marchandisation a été dénoncée par les fondateurs et militants en partance. La dimension militante et politique de ces associés – l’ethos – a été mise de côté du fait de la stratégie de croissance développée par Max Havelaar. Cette stratégie s’est d’ailleurs beaucoup répandue dans le commerce équitable [7].
Ronan Le Velly, dans un article intitulé « Le commerce équitable : des échanges marchands contre et dans le marché » (2006), rappelle que le capitalisme est caractérisé par le développement d’un ordre économique relativement autonome basé sur la rationalité instrumentale et le calcul économique, ce que Weber (1967 [1905]) nommait par le terme de « cage d’acier », de laquelle il est impossible de se défaire sous peine de disparaître du marché. L’auteur note ainsi que les politiques de professionnalisation chez Artisans du monde, mais surtout la vente en grande distribution et la participation pleine et entière au marché concurrentiel chez Max Havelaar, ont intégré le commerce équitable à l’ordre marchand à des degrés divers : « plus [les promoteurs du commerce équitable] s’efforcent de développer leurs ventes en acceptant de se confronter à la concurrence, plus il leur est difficile d’établir une relation directe et personnalisée, moins ils parviennent à trouver des petits producteurs marginalisés » (Le Velly, 2006 : 336). C’est toutefois Max Havelaar et la filière labellisée qui s’éloignent le plus des valeurs éthiques initiales. L’auteur note par exemple que cette organisation se tourne prioritairement vers les plantations privées plutôt que vers les coopératives de petits producteurs (ibid. : 334).
C’est en 1988 que naît aux Pays-Bas la démarche Max Havelaar, à la fois association et label garantissant que les produits respectent certains standards. Cette stratégie qui consiste à renforcer les organisations de commerce équitable et à faire croître la commercialisation de l’équitable, notamment au sein de la grande distribution, va rapidement se structurer au sein de groupes internationaux, notamment Fairtrade Labelling Organizations International (FLO-International). Non seulement la démarche tend clairement vers la marchandisation, mais en plus il s’agit d’un appareil associatif international au fonctionnement bureaucratique. FLO-International regroupe 1,6 million de paysans et travailleurs dans 75 pays. Les produits sont vendus essentiellement en Europe, Amérique du Nord, Australie, Nouvelle-Zélande et Japon. Il existe 22 organisations nationales Fairtrade et 9 organisations de marketing. L’ensemble est piloté depuis le siège à Bonn, en Allemagne, où siègent les dirigeants [8]. Fairtrade/Max Havelaar est cogéré à parité égale par 30 organisations nationales de labelling, essentiellement situées en Europe et en Amérique du Nord. Les producteurs et travailleurs sont regroupés dans 1 411 organisations de 73 pays différents [9].
L’autre démarche est de rapprocher le producteur du consommateur, via l’intermédiaire qui est l’importateur–distributeur. Il n’est pas question de passer par la grande distribution ici. C’est le cas par exemple de l’association Magasins du monde (plus de 40 magasins en Suisse [10]), qui veut avant tout permettre de connaître les situations d’échange et favoriser la compréhension du consommateur sur les conditions de fabrication du produit qu’il achète. Le réseau de distribution associatif Artisans du monde quant à lui, qui fédère 150 à 200 associations locales françaises et revendique le partenariat avec 100 organisations de producteurs dans 40 pays, mise sur la dimension relationnelle entre le producteur et le réseau, puis entre celui-ci et le consommateur, pour permettre au consommateur de « donner un visage à l’impact de son achat ». C’est ce que rapporte Christophe Maldidier, ancien responsable des relations avec les producteurs à Solidar’monde, dans un article sur le commerce équitable (2010). En réalité, il existe tout de même plusieurs intermédiaires entre le producteur et le consommateur autres qu’Artisans du monde : structures de groupement d’achat, unités de transformation, centrales d’importation etc., mais les rapports y sont tout de même très différents que ceux de Max Havelaar avec ses partenaires. Une grande partie des militants d’Artisans du monde – parce qu’ils se considèrent pour la plupart comme des militants – se consacre aussi à l’éducation populaire « pour mieux analyser la réalité actuelle des échanges économiques mondiaux », peut-on lire sur leur site Internet [11]. Cela s’inscrit dans une démarche d’engagement. Il existe donc deux stratégies différentes.
Si la dernière stratégie, celle d’Artisans du monde par exemple, est moins exempte de dérive marchande, elle ne s’en est pas moins professionnalisée avec l’accroissement de ses ventes, qui ont atteint 9 millions d’euros en 2010 (Doussin, 2011 : 46). Le commerce équitable labellisé vise la croissance et peut semer le trouble par rapport aux objectifs affichés. En France, plus de la moitié des produits labellisés Max Havelaar sont distribués en grande surface, pour les 7,7 millions de consommateurs que l’organisation revendique [12]. Les conditions de travail dans les supermarchés, le lobbying et les pressions sur les fournisseurs, ne sont que quelques exemples des contradictions de fond entre grande distribution et commerce équitable. Un supermarché peut-il être équitable de par son principe de fonctionnement ? D’ailleurs, il n’y a que peu de produits labellisés par des organismes pouvant garantir un cahier des charges et des contrôles contraignants, alors que la plupart des grandes marques et des grands distributeurs se constituent eux-mêmes des certificats à grand renfort de marketing [13]. En outre, la labellisation, loin de favoriser l’autonomie des producteurs, les contraint et les intègre toujours davantage au système alimentaire industriel et capitaliste.
Cette stratégie d’augmentation du volume des flux, qui reproduit largement le commerce conventionnel, bénéficie du soutien des politiques publiques. En 2005, la loi du 2 août limite la définition du commerce équitable à « l’échange de biens et de services entre les pays développés et des producteurs désavantagés situés dans des pays en développement », faisant fi de toute la partie plus militante et plus contestataire. Par ailleurs, on peut y voir un retour d’un certain paternalisme. D’ailleurs, en faisant appel à la compassion, il y a quelque chose de l’ordre de l’attitude philanthropique dans le commerce équitable. Or, la philanthropie est aussi un rapport de domination, au moins dissymétrique, d’autant qu’elle ne cherche qu’à limiter les effets pervers d’une situation inégale et non à en finir avec les inégalités. Cette forme de solidarité se distingue en tous cas de la solidarité démocratique, comme l’ont montré Philippe Chanial et Jean-Louis Laville (2002 : 12) : d’un côté, une solidarité « focalisée sur la “question de l’urgence” et la préservation de la paix sociale, [qui] se donne pour objet le soulagement des pauvres et leur moralisation par la mise en œuvre d’actions philanthropiques palliatives », de l’autre une solidarité basée sur des actions collectives menées par des personnes qui se considèrent comme égales. La création d’Artisans du monde repose d’ailleurs sur la volonté de dépasser une démarche caritative (Zimmer, 2012 : 102-104). Cette solidarité démocratique repose dès le départ sur une conscience des écarts entre pays riches et pays du tiers-monde, et une approche politique à caractère contestataire : boycott contre les oranges d’Afrique du sud pour dénoncer l’apartheid, exposition en solidarité avec les réfugiés chiliens du régime de Pinochet, importation de café du Nicaragua sandiniste. Aujourd’hui encore, des logiques d’action collective tentent d’être menées : des alliances sont passées avec des syndicats, des associations de consommateurs et des collectifs en vue de construire un mouvement social, et aussi avec d’autres groupes du commerce équitable afin de rompre avec le principe de concurrence. Les bénévoles de Caen vont par exemple s’investir dans les mobilisations locales contre les accords internationaux de libre échange TAFTA et CETA en 2016 [14], comme il l’était affiché dans leur magasin, ou en cosignant des appels. C’est plutôt ce qui se fait à côté du marché de niche de ce commerce équitable spécialisé qui favorise l’ethos à la base de ces collectifs.
À l’inverse, le commerce équitable labellisé, sorte de business généreux, est un ensemble d’initiatives qui se disent apolitiques. Elles sont en fait tout le contraire : le commerce équitable se dit pouvoir aménager le système capitaliste pour le rendre plus humain tout en utilisant les mêmes structures (commerce international ici). Il s’agit d’essayer de négocier avec les géants de l’économie que sont les grandes firmes et les gouvernements des règles plus justes sans remettre en cause les structures du capitalisme. L’ouvrage de Frédéric Karpyta La face cachée du commerce équitable. Comment le business fait main basse sur une idée généreuse (2009) montre à travers de nombreux exemples comment, pour se développer, les promoteurs du commerce équitable ont fait le choix de s’allier à la grande distribution et aux industriels de l’agroalimentaire au risque d’entrer dans des dérives marchandes – tout en compromettant ceux-là mêmes qu’ils voulaient aider, à savoir les petits producteurs du Sud.
Les acteurs du commerce équitable se réjouissent de son développement. Encore faudrait-il connaître la part de remplacement de l’équitable face au conventionnel et en quoi l’équitable ne vient pas s’ajouter comme consommation supplémentaire, ce qui est difficile à savoir dans un monde où la consommation d’objets et de services ne cesse de croître. Surtout, cette croissance quantitative ne suffit pas à évaluer les impacts sociaux, culturels et politiques de ce type de pratiques. Cette stratégie commerciale vient, par des mécanismes internes, apporter de nombreuses contradictions, notamment une méconnaissance par les consommateurs de l’ensemble des situations d’échange et de travail des producteurs, et une dévalorisation de l’action collective pour une attitude individuelle d’achat – comportement capitaliste par excellence. D’ailleurs, les acteurs des appareils stratégiques industriels ne s’y trompent pas, s’intéressant à la question. C’est ainsi qu’un numéro des Annales des Mines de 2011 a été consacré au commerce équitable. Cette revue est liée au Conseil général de l’économie et est un porte-parole historique de la technocratie [15]. L’avant-propos de ce numéro rédigé par un ingénieur des Mines donne le ton, faisant des enjeux sociétaux et environnementaux de nouveaux champs de performance pour l’entreprise (Batail, 2011 : 6-17). L’entreprise de récupération par le capitalisme d’une initiative le contestant à la base est ici très claire. Cette récupération est possible parce que l’activité du commerce équitable ne rompt pas totalement avec les catégories de l’économie capitaliste.
Karl Marx avait eu cette intuition que les catégories de base du capitalisme sont « le travail abstrait et la valeur, la marchandise et l’argent » (Jappe : 231). En suivant ces intuitions, le développement du commerce – fût-il équitable – ne peut que renforcer le fétichisme de la marchandise, ce mysticisme banalisé qui confère une valeur en soi, idéalisée et abstraite, à des objets issus du travail humain. L’ensemble des acteurs sociaux se trouvent pris par une logique qui les dépasse et les prive de leur propre mouvement interne et de leur création, logique qui se matérialise dans les infrastructures de la société. L’exploitation et la division en classes découlent de cette logique plus profonde et plus globale de l’accumulation de la valeur. Cette emprise de l’ordre capitaliste existant se révèle dans cette citation de Doussin, concluant son ouvrage en vantant les mérites du commerce équitable :
« Fréquentons les hypermarchés, les magasins de proximité ou les boutiques associatives. Demandons à notre maire ou à notre comité d’entreprise de bénéficier ou de faire bénéficier à nos enfants d’une restauration faisant appel à des produits issus du commerce équitable. Achetons ces produits sur catalogue ou par Internet. Prenons des vacances grâce aux services d’une association de tourisme équitable […] » (Doussin, 2011 : 122).
Il s’agit alors de continuer à vivre normalement, en fréquentant les mêmes magasins mais en achetant des produits différents. La vie sociale continue d’être dirigée par les mêmes élites, politiques ou patronales, imprégnée des mêmes gadgets technologiques, soumise aux mêmes rythmes sociaux qui sont d’abord ceux du travail et de la marchandise. La transformation espérée se ferait ainsi dans le cadre des formes capitalistes de cohésion sociale, ne pouvant sans cesse que ramener aux impératifs de l’accumulation et à la superfluité d’une partie de l’humanité.
Les systèmes alimentaires alternatifs (agriculture biologique, commerce équitable, AMAP) critiquent les excès induits par l’industrialisation et le capitalisme de marché. Or, la production agricole n’est pas seulement soumise aux circuits économiques mondiaux. C’est aussi une des économies les plus administrées par des normes, règles et procédures édictés par les Etats et les organismes internationaux.
Yannick Ogor, éleveur et maraîcher, ancien animateur de la Confédération paysanne avant de la quitter pour ses impasses et contradictions, critique cette « fiction libérale » qui vient brouiller la perception de la réalité (2017 : 135) [16]. Le système alimentaire est bien mondialisé, mais ses protagonistes utilisent habilement barrières douanières, normes sanitaires et environnementales, subventions et étiquetage pour maximiser leur profit et standardiser les manières de produire. Les scandales alimentaires sont sans cesse l’occasion de surenchère normative, industrialisant toujours plus les modes de production (2017 : 131). Les aides aux investissements favorisent ainsi les producteurs les plus intégrés, et les contraintes réglementaires liquident les moins adaptés ou les réfractaires. « La “sécurité sanitaire et environnementale” est désormais le nouveau cheval de Troie de la guerre économique en cours qui organise les nouvelles distorsions de concurrence et l’abri de nouvelles rentes de situation » (2017 : 139).
La réglementation régissant l’agriculture biologique (forme d’agriculture que l’on retrouve notamment dans de nombreuses AMAP, même si toutes ne se revendiquent pas de l’agriculture biologique) est essentiellement centrée sur l’étiquetage et la traçabilité des produits, c’est-à-dire sur la commercialisation, et non sur les producteurs et leur savoir-faire. « Une succession de spécifications techniques quantitatives, objectivement mesurables et contrôlables » sont mises en place (Noulhianne, 2016 : 79). La pratique agricole finit par passer au second plan, derrière les logiques commerciales. En 2008, ce processus s’est achevé par l’intégration de l’agriculture biologique dans le périmètre de compétence de l’INAO, l’Institut national de l’origine et de la qualité, la mettant au même rang que les marques d’Appellation d’origine.
La certification de l’agriculture biologique, avec ses procédures conformes à la complexité industrielle et capitaliste, a finalement joué le rôle de cheval de Troie au profit de l’industrie. Au-delà des seules logiques de marché et de concurrence, réellement existantes, se cache une économie entièrement administrée et programmée. Les systèmes alimentaires alternatifs s’appuient sur les normes, règles et cahiers des charges pour démontrer la réalité de leur « promesse de différence ». Ils en subissent parfois même les logiques répressives. C’est particulièrement le cas des AMAP mises en danger par les contrôles vétérinaires ou la répression des fraudes, menaçant après visites de fermer leurs locaux (Vignet, 2014 : 246). Normalisés, les systèmes alimentaires alternatifs tirent les producteurs vers le conventionnel, la traçabilité étant d’abord un processus industriel et commercial. Derrière les aspirations à l’autonomie des producteurs, se cache en réalité un encadrement strict dans des processus industriels sanitaires et environnementaux qui ramène toujours la priorité du côté du vendeur et de sa volonté de transparence ou de marketing pour le consommateur. Par ailleurs, si ces systèmes alternatifs développent non seulement le système alimentaire administré et donc industriel, ils appuient aussi l’illusion d’un libéralisme étroit et hégémonique qui serait responsable de tous les maux. Or, c’est passer à côté du poids administratif encadrant le système alimentaire mondial.
Si un pan du commerce équitable, par isomorphisme institutionnel avec les échanges mondialisés, reproduit des logiques de marchandisation, qu’en est-il dans des associations attachées à l’inverse aux liens de proximité ? Nous allons l’explorer ici à partir de l’exemple d’AMAP.
Claire Lamine définit ainsi les AMAP :
« [ce sont] des systèmes de production et de distribution originaux qui mettent en lien direct des agriculteurs et des consommateurs. Leur principe est simple, au premier regard : un producteur propose chaque semaine à un ensemble de consommateurs adhérents de l’association, un “panier” de produits dont la composition est fonction de la production et aussi de ses irrégularités. […] Les consommateurs s’engagent à acheter le panier toute la durée de la saison et à la prépayer, ce qui garantit au producteur l’écoulement de sa récolte et son revenu. Le producteur quant à lui garantit aux consommateurs la fraîcheur des produits (les légumes sont récoltés le jour même de la distribution) et leur mode de production. En effet, il s’engage à produire dans le cadre d’une agriculture respectueuse de l’environnement (souvent bio, mais pas systématiquement) » (Lamine, 2008 : 7).
Initialement, les amaP constituent donc un partenariat entre un producteur (ou plusieurs) et des consommateurs. Ces associations se sont créées en opposition à l’agriculture intensive et à la grande distribution, c’est-à-dire face à l’industrialisation de l’agroalimentaire. L’idée est de mettre en lien direct des producteurs et des consommateurs. Ensemble, ils s’organisent à la fois pour obtenir une alimentation saine, goûteuse et suffisante, et pour garantir une certaine sécurité aux producteurs largement en position de faiblesse face à l’industrie agro-alimentaire. C’est donc un contrat solidaire, basé sur l’engagement financier et dans le temps des consommateurs. L’association repose essentiellement sur l’implication des bénévoles, dont le rôle est d’organiser la distribution des paniers et de faire le lien entre producteurs et consommateurs, en plus des responsabilités habituelles de la vie d’une association (trésorerie, administration, etc.).
L’origine des AMAP diffère selon les versions et les chercheurs. Pour Lamine (2008 : 17), « dans cette diversité, une constante : un couple de fermiers accortes, Denise et Daniel Vuillon, leur ferme d’Olliaches, symbolique non seulement parce que c’est celle où fût fondée la première AMAP au printemps 2001, mais aussi parce qu’elle fut longtemps menacée par la création d’une ligne de tramway et plus largement par l’urbanisation galopante ». Cette expérience, initiée aussi par ATTAC [17], est influencée par la Community Supported Agriculture (CSA) des États-Unis (préachat de la récolte par un groupe de consommateurs). Elle aurait été rapportée suite à un voyage dans ce pays de ce couple de fermiers. Une autre origine possible est une influence des Teikei japonais, apparus dans les années 1960 et 70 suite à des problèmes sanitaires (Amemiya, 2011).
Les interrogations sur l’alimentation de l’agro-industrie, les désastres industriels type « vache folle », le développement des préoccupations environnementales, ainsi que la popularité de certaines luttes, notamment contre les organismes génétiquement modifiés (OGM), ont favorisé le développement des AMAP. En 2007, Lamine évalue leur nombre entre 500 à 700 AMAP, concernant environ 100 000 consommateurs et plusieurs centaines de producteurs (ibid. : 13). En 2015, Le mouvement inter-régional des AMAP en comptabilise plus de 2 000 pour environ 250 000 personnes [18]. En Normandie, région qui a mis du temps à développer ces pratiques, le réseau naissant bas-normand regroupait une soixantaine d’AMAP en 2012. Ce succès des AMAP, qui amène des consommateurs bien plus rapidement que des producteurs, est aussi une de leurs limites : des listes d’attente de consommateurs existent face au nombre restreint de producteurs prêts à franchir le pas de cette démarche.
Le développement des AMAP reste contrôlé par les pouvoirs publics. Les AMAP sont aujourd’hui soumises à des difficultés d’ordre règlementaire, via les producteurs de plus en plus contrôlés par les services administratifs et sanitaires, alors que les normes d’agriculture – et surtout d’élevage – sont de plus en plus draconiennes et ont tendance à favoriser l’agriculture intensive. En Basse-Normandie par exemple, l’AMAP des Paniers de la Dives a été l’objet d’un contrôle drastique des services vétérinaires en 2010, tandis que l’AMAP voisine de Courseulles-sur-Mer venait d’avoir la visite de la répression des fraudes. Le local de distribution des paniers était alors considéré comme local commercial, entraînant l’obligation de mise aux normes sous menace de fermeture : climatisation, confinement, surfaces facilement nettoyables etc. Cet évènement a failli mettre un terme à l’expérience.
Les consommateurs sont, en général – ce qui change d’une AMAP sur l’autre –, d’un niveau d’éducation élevé mais appartenant aux couches de revenus moyens (Lamine, 2008 : 36). Nos observations confirment cet état de fait. Les associations se développent le plus souvent dans des espaces urbains à proximité d’espaces ruraux. Elles sont d’ailleurs un lien original entre ville et campagne dans une époque d’étalement urbain et où le rapport de dépendance de l’une vers l’autre s’est inversé depuis l’industrialisation : les zones rurales sont de plus en plus dépendantes des zones urbaines, voire tendent à disparaître pour devenir des prolongements de la ville. L’un des premiers objectifs des AMAP consiste en une volonté de rééquilibrer les relations entre ville et campagne, et de rapprocher ces deux mondes. Derrière ce rapprochement s’élabore une réflexion sur les modes de vie et les liens de dépendance d’aujourd’hui, et ce rapprochement peut même inciter à repenser les politiques d’urbanisme en y intégrant des jardins partagés ou des terres agricoles.
Les consommateurs sont donc essentiellement urbains. Mais les catégories de population les plus pauvres ne sont guère représentées dans les AMAP. De fait, « le coût du panier reste de toutes façons supérieur à celui de l’équivalent en légumes conventionnels » (Lamine, 2008 : 91). Si des efforts sont parfois faits pour baisser les prix [19], reste que les classes populaires sont largement exclues des AMAP en général, préférant les circuits discount moins chers, les marchés locaux traditionnels, la débrouille et la récupération de produits destinés à être jetés (Mundler, 2007 ; Dubuisson-Quellier, 2008 : 30-31). Quant aux populations rurales, comme le soulignait un paysan-boulanger pour une AMAP (Vignet, 2014 : 245), elles n’en ont pas besoin parce qu’il se maintient en campagne des réseaux d’échanges informels. Il existe cependant des exceptions. Jean-Baptiste Paranthoën fait état de l’une d’elles, AMAP d’un canton rural situé entre l’Ille-et-Vilaine, la Mayenne, le Maine-et-Loire et la Loire-Atlantique (Paranthoën, 2013 : 117-130). La particularité de ce canton est qu’il est marqué par une forte composante ouvrière. Toutefois, comme dans la plupart des autres AMAP, ce sont à 67% des cadres et des professions intellectuelles qui sont représentés dans l’association, même si 68% de la population locale est ouvrière, retraitée ou inactive. Le recrutement de l’AMAP se fait donc au sein de « la petite bourgeoisie rurale ». Paranthoën met ainsi au jour un processus de distinction sociale par l’adhésion à l’association, confirmant la tendance à l’exclusion des classes populaires des AMAP.
Les AMAP bénéficient spontanément d’un accueil favorable, mais souvent la dimension militante s’est éloignée, supplantée par le souci de manger des produits de meilleure qualité. Ces associations ont pour origine une dimension contestataire et se sont définies au départ comme mouvement social. Cependant, la volonté et la conscience d’adhérer à un mouvement varient d’un “amapien” à l’autre. La question est de savoir si l’appartenance à une AMAP entraîne des vocations à l’engagement.
L’AMAP d’Hérouville-Saint-Clair n’est pas une association indépendante ; c’est un site amapien qui dépend des Paniers de la Dives, comme six autres des dix-neuf AMAP répertoriées sur le site des AMAP du Calvados en 2011. Nous avons étudié l’association des Paniers de la Dives à travers l’observation sur le site d’Hérouville-Saint-Clair, donnant lieu à des entretiens informels, la consultation de documents de l’association puis la réalisation d’entretiens semi-directifs avec deux bénévoles et un producteur en 2012 (Vignet, 2014 : 246-249).
Si la convivialité et le refus de l’acte de consommation classique sont annoncés comme principes dans les AMAP, la réalité peut être toute autre. En arrivant dans la cave prêtée par un associé pour la distribution des paniers, il semble que le moment de partage soit largement remplacé dans cette association par une reproduction d’achat/vente presque classique. Les amapiens viennent récupérer leur panier chacun leur tour et repartent immédiatement. Ils ne font que se croiser et, pour ce que nous en avons vu, il existe très peu d’interactions entre eux. D’ailleurs, pour beaucoup, ils ne se connaissent pas.
Dès le départ, l’organisation de l’association semble opaque, pas seulement pour nous, mais aussi pour les bénéficiaires et bénévoles qui gèrent à tour de rôle la distribution des paniers [20]. « J’ignore beaucoup de choses sur le fonctionnement au “haut niveau” », confirme l’une des bénévoles (Vignet, 2014 : 246). Pour cause, l’AMAP d’Hérouville-Saint-Clair n’est qu’une sous-division de l’association des Paniers de la Dives. Cette dernière s’est séparée en plusieurs entités territoriales, à la fois pour conserver la proximité chère aux AMAP, mais aussi pour faire face à l’afflux de gens intéressés par la démarche. En 2004, date de création de cette association, vingt-cinq familles, trois producteurs biologiques (légumes, pommes et œufs) et un boulanger bio sont de la partie. En 2011, sept AMAP différentes dépendent des Paniers de la Dives, de vingt à trente familles chacune, pour un total d’environ deux-cents familles. Et beaucoup de familles sont sur liste d’attente…
Il y a une assemblée générale annuelle. Un Conseil d’Administration dirige l’association, conseil qui se réunit au moins une fois par trimestre. Celui-ci est composé des membres élus du Bureau (président, secrétaire, trésorier) et des délégués mandatés par chaque AMAP locale. La participation est inégale, certains étant très investis, d’autres beaucoup moins, et très souvent les nouveaux venus ont témoigné d’une absence de connaissances sur l’association et de difficultés pour entrer de plain-pied dans le fonctionnement des Paniers de la Dives. En fait, le fonctionnement de l’association semble en partie délégué à quelques-uns, et, fait plus significatif encore, la connaissance des modes de production et la provenance des produits du panier sont parfois mal connus : certains bénéficiaires ont été dans l’incapacité de nous répondre. Or, si un seul principe des AMAP devait être conservé, ce serait probablement celui-là : concrétiser le lien direct entre producteurs et consommateurs par une connaissance même partielle de la production est à la base de la création des AMAP.
L’association des Paniers de la Dives peut parfois sembler tendre vers un fonctionnement bureaucratique. Toutefois, les Paniers de la Dives conservent largement un fonctionnement associatif. On peut dire que cette organisation mêle une certaine forme de centralisation et un principe de fédéralisme. Le fait de se regrouper au sein d’une même association pour différentes AMAP, qui conservent une certaine autonomie, permet de se partager les mêmes producteurs. Pour les producteurs, cela leur permet de vendre davantage sur le réseau AMAP, voire de ne plus passer par les circuits classiques. S’il y a des dérives potentielles de bureaucratisation et d’opacité, il y a des avantages pour les producteurs à se regrouper : partage de ressources, outil commun de commande, économie de temps de traitement des commandes, entraide entre groupes… Il y a également des avantages pour les adhérents.
L’association des Paniers de la Dives demande aux adhérents de s’acquitter d’une adhésion annuelle de 10€, ou de 5€ à partir du mois de juillet. Ces cotisations sont la seule source de financement dont dispose l’AMAP, qui est totalement indépendante économiquement. Les commandes sont pour un trimestre au minimum et sont faites en début de trimestre sur le site [21] du réseau des Paniers de la Dives. Les commandes sont donc planifiées. Toute annulation est impossible. Les règlements s’effectuent par chèque en début de trimestre. Il est toutefois possible de payer en trois fois les commandes de légumes. Les livraisons sont hebdomadaires, et ont lieu tous les vendredi soirs entre 17 h 30 et 18 h 30 à Hérouville-Saint-Clair. Les adhérents viennent dans ce local chercher leur panier.
AMAP | Supermarché(en périphérie de Caen, en 2012) | |
Panier de légumes | 10 € | |
Pain de 750g | 3,15 € | 2,85 € (pain complet) |
Litre de jus de pomme | 2 € | 1,40 € (jus concentré) |
Six œufs | 2,02 € | 1,65 € (plein air) |
Camembert | 3,25 € | 1,80 € (bio) |
Beurre de 250g | 2,25 € | 1,50 € |
Chèvre frais | 2,25 € | 2,70 € (AOC) |
Pot de miel de 1kg | 7 € | 5,86 € |
Litre de lait écrémé | 1,10 € | 0,80 € |
Le tableau comparatif ci-dessous montre que les produits de l’AMAP sont plus chers que les produits conventionnels. Ils restent toutefois généralement concurrentiels comparativement aux produits bios proposés par les supermarchés. C’est l’agriculture biologique ou raisonnée qui est plus chère, ce qui est indépendant de la démarche associative « AMAP ». Ce constat rejoint celui de Patrick Mundler, qui a réalisé une analyse des prix dans sept AMAP de la région Rhône-Alpes (2013) dont il conclut que les prix des paniers AMAP les rendent compétitifs par rapport aux circuits de distribution classiques. Si les prix pratiqués sur les marchés traditionnels sont les moins chers, les prix des paniers sont dans 63% des cas plus faibles que les prix relevés dans les autres modes de distribution (Mundler, 2013). Surtout, les prix pratiqués sont plus faibles que les circuits commercialisant des produits biologiques. Patrick Mundler ajoute qu’en privilégiant l’approvisionnement en produits frais à cuisiner, plutôt que des plats préparés, les AMAP peuvent contribuer à réduire les budgets consacrés à l’alimentation – toutefois, ajoute Patrick Mundler, dans une moindre mesure que les marchés traditionnels, qui semblent rester le lieu privilégié d’approvisionnement en fruits et légumes pour les populations les plus défavorisées.
Un producteur des Paniers de la Dives témoigne d’une relation entre producteur et consommateur différente de celle de vendeur-acheteur : des visites à la ferme sont organisées, il y a une participation des volontaires aux travaux agricoles et aux récoltes, des journées festives sont organisées… « Ce n’est pas un simple rôle de consommateur. Il y a des échanges avec le producteur et les autres consommateurs. Ceux qui ne sont que consommateurs ne restent pas longtemps » (Vignet, 2014 : 248). Toutefois, le militantisme tend à décroître avec le succès grandissant des AMAP, et le niveau d’engagement varie considérablement d’une personne à l’autre. C’est ce que révèle notre enquête de terrain en Normandie (Vignet, 2014 : 244-254), qui confirme celles menées dans d’autres régions (Ripoll, 2013 ; Samak, 2012 ; Olivier et Coquard, 2010). Un producteur y voit des aspects bénéfiques, notamment en termes de reconnaissance et de développement : « le cercle des militants s’est élargi. On a davantage des gens qui sont plus conscientisés par l’environnement que la santé au sens strict. Autant auparavant, il y avait surtout des militants associatifs, maintenant c’est un mouvement de fond qui se poursuit, via des partenariats avec certaines municipalités » (Vignet, 2014 : 248). Mais il ajoute aussi qu’il y a une baisse des activités plus militantes qui avaient lieu au début, comme des débats et des projections de documentaires. L’aspect militant semble s’atténuer, les activités se resserrant sur le seul aspect de consommation alternative. Certes, si cet aspect est central, ce qui donne la dimension la plus politique des AMAP est peut-être ce qui se passe autour de cette consommation alternative.
Plusieurs risques pèsent sur le projet des AMAP, tant au niveau de leur fonctionnement que de leur projet. D’une part, « le risque [de la généralisation d’une attitude simplement consommatrice] réside […] dans le fait qu’une grande partie des tâches d’animation et de fonctionnement n’est prise en charge que par le même petit noyau des plus engagé(e)s (comme dans beaucoup d’associations) qui pourraient s’épuiser et finir par se lasser et abandonner, faute de relève » (Ripoll, 2013 : 178-179). Si cette contradiction est largement partagée par toutes les organisations d’action collective, elle n’en émousse pas moins la vocation à changer le monde ici et maintenant, mise en avant au sein du mouvement amapien. D’autre part, les AMAP souffrent probablement aujourd’hui du développement de la vente directe à la ferme, qui vient perturber le modèle avec un mode de distribution concurrent. Il n’est alors plus question d’engagement des consommateurs aux côtés du producteur, et encore moins de brouillage des rôles économiques établis entre production et consommation. Le don de temps des adhérents pour faire vivre l’AMAP n’est alors plus autant considéré comme nécessaire.
Dans un projet associatif, les relations nouées à la base, en face à face, prennent un caractère d’engagement éthique librement consenti qui attache les associés les uns et les unes aux autres (Vignet, 2015). Il n’en est pas de même avec la relation contractuelle, plus propice à s’effriter. Davantage qu’un socle de valeurs appuyant des intérêts communs, le tout formant la volonté d’une destinée collective, la relation qui lie producteurs et consommateurs dans le cadre des AMAP, formalisée par un contrat, s’accompagne d’une certaine mise à distance propre à la dimension contractuelle. Etre débiteur par une convention ayant les traits d’un appareillage juridique n’est pas la même chose que se sentir obligé dans le cadre d’un engagement volontaire. La relation contractuelle a tendance en outre à s’enfermer dans les objectifs précis. Or, ce sont les affects, les symboles, les obligations, les conflits, et en fait tout ce qui déborde du cadre préalablement défini, qui permettent de construire des relations de confiance. On signe un contrat entre des parties distantes ; on lie un pacte avec des compagnons de route. Dans le mouvement associatif, l’action collective est probablement possible parce que ce qui lie les associés n’est pas seulement un intérêt réciproque clairement défini, mais aussi des affects et des références partagées qui se donnent l’intention d’une forme de résolution immuable. Or aujourd’hui, dans le cadre des AMAP, les motivations sociales et écologistes semblent largement mises au second plan. Aujourd’hui, il ne s’agit quasiment plus que de commander des paniers « bio » depuis son domicile, par ordinateur, puis d’aller les récupérer le vendredi soir près de chez soi, comme nous l’avons constaté lors de notre étude de terrain (Vignet, 2014 : 248). Le succès des AMAP a occulté l’aspect contestataire, et les AMAP font face à un « raz de marée » de consommateurs dont la motivation principale est d’abord utilitaire. « En plus, c’est écolo et ça aide les petits producteurs », nous dit un amapien (Vignet, 2014 : 248). L’important ici est bien le « en plus », qui marque le passage au second rang des valeurs de l’association, donnant la primauté à “l’intérêt à” utilitaire. Certes, on pourrait dire que le succès des AMAP vient justement de la concordance entre les intérêts particuliers des amapiens et les valeurs du projet associatif. Il est vrai que la dimension institutionnelle et sociale, le sens donné aux actions et aux pratiques, ne doivent pas faire oublier naïvement les logiques d’intérêt. Mais on pourrait tout aussi bien considérer que le projet associatif se trouve dénaturé en passant au second plan. C’est ce que confirme le fait que lorsqu’une association nantaise, la Coopérative participative, lance un appel en 2009 aux AMAP de la région nantaise pour s’opposer au projet d’aéroport internationale de Notre-Dame-des-Landes, menaçant directement des terres agricoles et des petits agriculteurs, une seule sur 62 y répond (Anonyme, 2010 : 46). C’est en tout cas un risque important.
Un paysan-boulanger qui écoule une partie de sa production via le réseau des AMAP du bocage normand souligne (Vignet, 2014 : 250) : « les amapiens, c’est une nuée de sauterelles ! Ils débarquent, prennent leur panier et repartent ». La métaphore de la sauterelle n’est pas anodine dans la bouche d’un paysan. En effet, les sauterelles sont des nuisibles, surtout pour quelqu’un qui fait pousser du blé. Voilà qui révèle un malaise entre le producteur et les consommateurs “alternatifs”, ces derniers étant considérés presque comme des pilleurs de la récolte. L’articulation ville/campagne et l’amoindrissement de la séparation producteur/consommateur en prennent un sacré coup ! S’il est vrai que cette économie agro-alimentaire “alternative” est largement relocalisée par rapport aux circuits classiques, la sociabilité ne semble pas se renforcer réellement. Quant à la figure de l’amapien-militant, elle semble bien céder face à celle de l’amapien-consommateur.
Des logiques utilitaires et instrumentales persistent du côté des amapiens, qui peuvent parfois mettre en concurrence différentes expériences amapiennes. De l’autre côté, certains producteurs considèrent l’écoulement d’une partie de la production en AMAP comme une variable d’ajustement, en complément de l’écoulement dans les circuits classiques. Une des contradictions de la consommation alternative surgit ici : en s’adossant à l’ordre qu’elle conteste, elle reproduit des pratiques utilitaires et instrumentales et infléchit ses valeurs initiales. Le fait que le rapport marchand entre deux entités séparées, producteur et consommateur, soit maintenu fermement ne vient-il pas condamner les AMAP – comme le commerce équitable – aux contradictions ? Le développement du nombre d’AMAP et celui de la vente de produits de commerce équitable parcourant les réseaux classiques de distribution conduit à s’interroger sur ce qui persiste de l’ethos d’origine. L’efficacité quantitative vient-elle fragiliser les valeurs et le projet initial ? Les éléments apportés ici tendent à répondre positivement à cette question, et suggèrent en tous cas que cette hypothèse mériterait d’être creusée.
Les rapports sociaux sont aujourd’hui largement structurés par la marchandise, ce qui entraîne un système institutionnel bien particulier. Il est par nature profondément inégalitaire. La sociabilité est une condition d’une organisation sociale favorable à la liberté et l’égalité, reposant sur la parole libre et les liens de réciprocité. Le rapport utilitaire-marchand, quant à lui, qu’il soit de consommation ou de production, est irrémédiablement inscrit dans des structures sociales hiérarchisées. Cela a bien souvent été décrit dans le monde du travail. Mais ces inégalités réapparaissent et se renforcent dans la consommation, comme le montre Jean Baudrillard. Si tout ou presque a tendance à devenir marchandise, c’est-à-dire quelque chose de rare et convoité, des mécanismes de distinction et d’inégalités ne peuvent qu’en résulter. « Il n’y a de droit à l’espace qu’à partir du moment où il n’y a plus d’espace pour tout le monde […]. De même qu’il n’y a eu de droit à la propriété qu’à partir du moment où il n’y a plus eu de terre pour tout le monde, il n’y a eu de droit au travail que lorsque le travail est devenu, dans le cadre de la division du travail, une marchandise échangeable, c’est-à-dire n’appartenant plus en propre aux individus » (Baudrillard, 1970 : 74-75). C’est en ce sens que la consommation est une « institution de classe » (ibid. : 75-76).
La consommation alternative, malgré sa dénonciation des inégalités les plus criantes et des désastres écologiques et sanitaires les plus visibles de nos sociétés, persiste d’abord comme rapport marchand. Elle reproduit les structures existantes tout autant qu’elle les remet en cause. Les stratégies commerciales supplantent le militantisme porteur d’une contestation des effets du capitalisme. C’est le cas pour un certain nombre d’organisations du commerce équitable, comme nous l’avons vu ici. En outre, s’entretient ainsi le mythe d’un libéralisme hégémonique responsable prioritairement des injustices et des désastres industriels, mais aussi des difficultés que rencontrent les systèmes alimentaires alternatifs à se développer en maintenant leurs valeurs initiales. Or, ce qui ne se pense pas à travers ce discours, c’est le poids de l’administration dans un secteur sous contraintes des normes et des règles accompagnant les subventions des Etats et des organismes internationaux. Cet impensé risque de faire des systèmes alimentaires alternatifs des faire-valoir des nouveaux modes de gestion de l’agriculture et de son commerce. Il y a ainsi un défaut d’analyse à concevoir que les promesses non tenues des systèmes alternatifs sont le fruit d’un libéralisme hégémonique – du moins, dans son acception courante signifiant le marché libre opposé aux administrations. Comme le disait Henri Lefebvre, nous sommes plutôt dans une « société bureaucratique de consommation dirigée » (2009 : 95). Ce terme a le mérite de mettre l’accent sur le fait que les besoins sociaux sont manipulés et définis extérieurement aux individus, au sein des appareils industriels et capitalistes et par le processus d’accumulation de la valeur plus globalement, ainsi que par un ensemble de contraintes s’appuyant sur les dispositions des Etats. Concrètement, les petits producteurs ont d’abord à faire avec l’Etat et ses administrations, avant les géants de l’industrie agro-alimentaire.
La tension entre institutionnalisation prise dans la « cage d’acier » du capitalisme et démarche contre-institutionnelle (Lourau, 1973 : 33), comme critique en actes du système en vue de favoriser des nouveaux rapports sociaux plus libres et plus égalitaires, semble être aujourd’hui à l’avantage de la première. La question est de savoir s’il peut en être autrement sans assumer les conflits nécessaires avec les organisations et les acteurs à la base de la société bureaucratique de consommation dirigée ni les ruptures avec les conduites sociales capitalistes. La consommation, même encadrée par des valeurs sociales plus humaines, reste après tout inscrite dans la nature du capitalisme, et risque à tout moment d’être réabsorbée par le système capitaliste et industriel, ou d’institutionnaliser un alter-capitalisme dérisoire par rapport aux désastres en cours.
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[1] Les G8 et G20 sont des groupes réunissant les pays les plus puissants économiquement dans le monde, l’OMC est l’Organisation Mondiale du Commerce, et le FMI est le Fonds Monétaire International.
[2] Food Agricultural Organization : Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.
[3] « Les programmes d’ajustement structurel (PAS) imposés aux nations débitrices à la fin des années 1970 et 1980 exigeaient une réduction drastique des programmes étatiques et, souvent, la privatisation du marché du logement » (Davis, 2006 : 66). On trouvera nombre de conséquences sur les populations de ces phénomènes économiques mondiaux dans l’ouvrage de Mike Davis indiqué en bibliographie.
[4] Notons que des travaux récents ont montré que les plus petits des producteurs sont exclus, pour la plupart, du commerce équitable et doivent se constituer en coopératives pour l’intégrer (Renard et Perez-Grovas, 2007 ; Bacon, 2010).
[5] www.commerceequitable.org, consulté le 8 décembre 2018.
[6] www.consoglobe.com, consulté le 12 décembre 2018.
[7] Un mémoire d’Alice Friser (2009), sur le commerce équitable du coton en Inde, tend à montrer lui aussi que si le recours à l’association et au commerce équitable améliore significativement les conditions de vie des producteurs à moyen terme, les aspects les plus politiques laissent place aux logiques organisationnelles et marchandes. Le commerce équitable est envisagé d’abord comme une œuvre caritative, plutôt que comme une manière politique de faire opposée au commerce conventionnel. Concrètement, ce sont d’ailleurs en général des producteurs qui ont déjà des ressources suffisantes qui entrent dans ce processus, et non les producteurs marginalisés. Pour autant, il existerait une politisation informelle du fait du regroupement au sein d’une organisation démocratique. L’association aurait un effet intrinsèque – tant qu’il y règne une certaine démocratie interne.
[8] www.fairtrade.net, consulté le 15 décembre 2018.
[9] www.maxhavelaarfrance.org, consulté le 15 décembre 2018.
[10] http://www.mdm.ch/, consulté le 8 décembre 2018.
[11] http://www.artisansdumonde.org/, consulté le 8 décembre 2018.
[12] http://www.maxhavelaarfrance.org/, consulté le 8 décembre 2018.
[13] C’est le cas par exemple d’Entr’aide pour Leclerc, ou Carrefour Agir Solidaire pour Carrefour. Les labels de commerce équitable de la grande distribution sont moins présents auprès des producteurs, moins transparents auprès des consommateurs, et sont davantage intéressés par la conquête de parts d’un marché en extension.
[14] TAFTA et CETA sont des traités de libre-échange transatlantique entre l’Union européenne d’une part, les Etats-Unis pour le premier, le Canada pour le second d’autre part.
[15] http://www.annales.org/qui-sommes-nous.html, consulté le 15 décembre 2018.
[16] Il s’agit bel et bien d’une fiction, puisque le marché libre s’est instauré en s’adossant sur les fonctions répressives de l’Etat (Polanyi, 1944 ; Thompson, 1963).
[17] Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne.
[18] http://miramap.org/-Les-AMAP-.html, consulté le 10 décembre 2018.
[19] Nous ne connaissons que peu d’exemples de “tarifs sociaux” prenant en compte les revenus, mais peut-être en existe-il dans certaines AMAP, ou peut-être que ce genre d’initiatives est amené à se mettre en place pour élargir le cercle des consommateurs – et faire face à une pauvreté grandissante. C’est le cas par exemple de la CAF (Caisse d’allocations familiales) du Calvados qui cofinance l’achat de paniers bio pour les habitants d’un quartier populaire (Grâce de Dieu à Caen). Fabrice Ripoll évoque aussi une expérience, dont le paradoxe est qu’elle tend à sécuriser davantage les consommateurs que les producteurs, inversant la démarche initiale (Ripoll, 2013 : 181).
[20] Tous les bénéficiaires des paniers de l’AMAP ne sont pas bénévoles, c’est-à-dire ne participent pas à l’organisation de la distribution des paniers, à la vie administrative de l’association, et aux liens avec les producteurs.
[21] Le fait que les commandes se fassent par ordinateur peut cependant exclure une partie de la population. L’Observatoire des inégalités rappelle qu’en 2016, 15% de la population française n’a pas accès à Internet. Par ailleurs, l’usage d’Internet renforce la distance entre associés et le fait de ne pas se rencontrer.
Vignet Julien, « Nuée de sauterelles et business généreux. Les AMAP et le commerce équitable dans la société bureaucratique de consommation dirigée », dans revue ¿ Interrogations ?, N° 27. Du pragmatisme en sciences humaines et sociales. Bilan et perspectives, décembre 2018 [en ligne], https://www.revue-interrogations.org/Nuee-de-sauterelles-et-business (Consulté le 16 octobre 2024).