Le bouddhisme tibétain est la seule religion non occidentale à s’être implantée sur le sol français d’une manière particulièrement rapide, rencontrant un succès et une légitimité incontestables et obtenant des reconnaissances institutionnelles que d’autres religions installées sur le sol français depuis des décennies peinent encore à obtenir. Le succès de la religion tibétaine est souvent décrit de manière réductrice, insistant sur les affinités intrinsèques que celle-ci serait supposée détenir avec la modernité occidentale. Un détour historique suivi d’une enquête ethnographique permet ici de rendre compte des stratégies élaborées par les détenteurs de la tradition (les lamas) et leurs relais pour propager et diffuser leur religion dans leur nouvel environnement culturel. Le bouddhisme tibétain est une religion englobante, qui utilise l’inculturation pour se propager. L’utilisation de la modernité sert alors à la diffusion massive de la doctrine (dharma, la loi bouddhique), par conséquent, à des fins missionnaires.
Mots clés : bouddhisme tibétain – modernité – mission – maîtres (lamas) – diffusion – propagation.
Tibetan Buddhism is the only not western religion to have become established on the French ground in a particularly fast way, meeting a success and an indisputable legitimacy and obtaining institutional gratitudes (recognitions) which the other religions installed on the French ground for decades still have difficulty to obtain. The success of Tibetan religion is often described in a reducing way by insisting on the intrinsic affinities which would be this one suppose to detain with the western modernity. A historic bend followed by an ethnographical inquiry reports strategies elaborated by the holders of the tradition (the lamas) and theirs relays to propagate and spread their religion in their new cultural environment. Tibetan Buddhism is an englobante religion, which uses inculturation to propagate. The exploitation of the modernity is use to the massive distribution of the doctrine (dharma, the Buddhist law), therefore, to missionaries aims.
Keywords : Tibetan Buddhism – modernity – mission – masters (lamas) – spread – propagation.
Le bouddhisme, qui jouit d’une certaine popularité en Occident où il bénéficie d’une visibilité accrue (surtout depuis ces vingt dernières années), est souvent décrit par les médias et la littérature grand public, quand il ne s’agit pas de publications universitaires, comme une non-religion, une philosophie sans dogme se présentant comme la médecine la mieux adaptée à la « modernité » qui caractérise nos sociétés. Ni foi, ni dogme, ni croyance, ni religion…l’objet bouddhique est sujet à polémique quand il s’agit de le définir [1]. Les apologistes se plaisent à affirmer que le bouddhisme délivre un message de paix et de compassion et qu’il s’adapte parfaitement aux valeurs démocratiques.
Avec le bouddhisme zen, le bouddhisme tibétain est en France, en plus de jouir d’une grande popularité, celui qui est le plus pratiqué. Notre pays est effectivement le pays européen qui dispose du plus grand nombre de centres bouddhistes d’obédience tibétaine, les « centres du dharma » [2]. Pour de nombreux observateurs, la modernité du bouddhisme tibétain ne fait aucun doute. Mais de quelle modernité parle-t-on ? D’une modernité bouddhique ou d’un bouddhisme dans la modernité ? L’argument de la modernité du bouddhisme par les apologistes vient justifier son succès dans les pays Occidentaux. Ce succès, mais plus encore les fondements du bouddhisme et ses pratiques sont jugés « modernes », en accord avec les principales caractéristiques de la modernité occidentale. Dans le champ religieux, la modernité succède à la sécularisation, caractérisée par le déclin de l’emprise sociale et morale de la religion sur la société globale. L’effacement du religieux sous la forme institutionnelle et son réaménagement sous des formes diverses (avec un fort processus d’individuation) témoignent d’une lecture moderniste.
Le bouddhisme tibétain a comme particularité de se situer à la fois dans le champ de la modernité et dans celui des religions traditionnelles institutionnalisées, d’où la grande difficulté à le définir. Il n’est pas pour autant un nouveau mouvement religieux apparaissant dans un monde moderne où les grandes religions traditionnelles (le catholicisme pour la France) ont perdu leur capacité à maintenir leurs fidèles dans l’institution. Le bouddhisme tibétain au Tibet renvoie à un monachisme de masse. Le discours qui met l’accent sur la prolifération des croyances bricolées, le libre choix et la dérégulation du croire, a tendance à nier les stratégies que déploient les acteurs et détenteurs même du bouddhisme tibétain pour propager leur doctrine et s’installer dans leur nouvel univers culturel. De plus, les universitaires français qui s’empareront du phénomène bouddhique sous sa forme tibétaine seront peu nombreux [3] à analyser les stratégies et les différentes actions des détenteurs même de la tradition. Certaines recherches se font ainsi les relais des médias (qui déploient une rhétorique élogieuse), accentuant les valeurs modernes, rationnelles et adogmatiques du bouddhisme, alors que d’autres, postulant l’existence d’un individualisme religieux dans les sociétés laïques et sécularisées, contribuent à le faire passer du côté des nouveaux mouvements religieux. La focalisation sur le versant occidental domine ces études.
La théorie de la modernité religieuse se focalise sur les mutations religieuses et non aux permanences et aux effets de recompositions des traditions religieuses. On perçoit alors les limites de cette théorie qui ne permet pas de comprendre (ou trop partiellement) comment une religion institutionnalisée, ritualisée, hiérarchisée selon des structures pyramidales, séduit l’Homme “moderne” vivant dans un monde sécularisé. C’est négliger la dimension missionnaire du bouddhisme et le leitmotiv suivant : « propager le dharma » (le dharma étant la loi bouddhique), bien ancré chez les élites religieuses en exil et leurs disciples, aux origines complexes, autant sur le plan géographique, qu’économique ou religieux. L’intérêt est alors, loin des grands débats théoriques que suscite la notion de modernité (aux prétentions universalistes), d’analyser comment les acteurs sociaux concernés mobilisent ou non cette notion et les jeux de positionnement qui viennent s’y greffer.
Pendant plus de sept années de recherches sur le bouddhisme tibétain [4], j’ai multiplié les lieux d’observation (les centres notamment), privilégiant l’approche qualitative en insistant sur l’observation des pratiques sociales et religieuses (lorsqu’elle était possible), réalisant de nombreux entretiens formels et informels avec des maîtres, Tibétains, Bhoutanais ou Occidentaux (beaucoup de Français), disciples, pratiquants assidus, responsables de centres, simples débutants et sympathisants. J’ai ainsi pu saisir, en participant à de nombreux enseignements, stages, rituels, à la vie d’un centre, côtoyant au quotidien des bouddhistes, comment cette notion de modernité était utilisée, voire instrumentalisée par les acteurs sociaux.
Dès le XIXe siècle, le bouddhisme a été sujet à de nombreuses définitions. Après avoir été considéré comme un « culte du néant » [5] ou une religion « démoniaque », peu à peu, des arguments scientistes et romantiques ont insisté sur sa dimension rationnelle et authentique [6]. Ce passage d’une vision négative à une vision apologétique traduit la difficulté d’appréhender le bouddhisme dans sa forme et ses expressions. Plus tard, c’est le bouddhisme ésotérique, particulièrement le véhicule tibétain, qui a gagné du terrain, notamment grâce aux actions menées par la Société Théosophique [7] et aux cercles occultistes. Le Tibet est en effet devenu la terre sacrée par excellence de ces groupes et le lieu de résidence des plus grands sages appartenant à une hiérarchie occulte qui gouvernerait l’humanité en secret. En France, le succès des écrits d’Alexandra David-Neel, exploratrice et vulgarisatrice du bouddhisme tibétain et les livres de Lobsang Rampa, ont non seulement favorisé l’attrait pour le bouddhisme tibétain mais aussi son apologie.
De nos jours, le bouddhisme jouit d’un a priori favorable. Souvent réduit à sa seule dimension thérapeutique, une médecine pouvant libérer de la souffrance, le bouddhisme en France reste en grande partie enfermé dans une vision romantique. En plus de faire vendre (de nombreuses publicités se servent de préceptes ou d’images bouddhiques ainsi qu’un formidable et lucratif marché de l’édition), il permettrait l’accès au bonheur et à toute l’idéologie du bien-être [8] l’accompagnant, notamment grâce à ses méthodes pragmatiques (comme les méditations et yogas). Cette idéologie, avec tout un arsenal de techniques et de méthodes incitent tout un chacun à apprendre à se connaître, à être en harmonie avec son corps, méditer… Les mouvements se réclamant du New-Age [9] et de la « nébuleuse mystique ésotérique » [10] comme le nomme Françoise Champion sont de plus en plus nombreux. Le bouddhisme, qui doit beaucoup de son succès à l’imaginaire New-Age [11], apparaît dans ce paysage comme une voie idéale. Pourtant, comme l’écrit François Thual, « le bouddhisme n’est pas et n’a jamais été cette réalité mièvre et douceâtre que l’on présente un peu trop facilement en Europe de nos jours. » [12] Dans le cas du bouddhisme tibétain, le traitement médiatique insiste sur une sagesse humaniste, rationnelle (voire scientifique, dans laquelle la foi serait absente), tolérante, avec de grands maîtres réalisés (l’archétype étant le Dalaï-Lama), donc moderne par excellence. Cette vision réduit la dimension institutionnelle du bouddhisme tibétain et fabrique une rhétorique apologétique à son égard. Notons également que les chercheurs, scientifiques et universitaires ayant adopté la voie bouddhique, jouent un rôle important dans la légitimité de celle-ci.
Le discours an-institutionnel du bouddhisme, majoritaire, qui mobilise nombre d’acteurs (journalistes, éditeurs, universitaires, écrivains, politiciens, militants, etc.,) préfère les termes de spiritualité, de sagesse et de philosophie. On peut alors à juste titre s’interroger sur la reconnaissance par l’État français (laïque) de dix congrégations religieuses tibétaines [13] et à l’existence de monastères. Une philosophie dispose t-elle d’aumôniers dans les prisons ? L’évidence de la réponse ne doit pas occulter les raisons d’un tel discours. La remise en cause de nos catégories conceptuelles et analytiques est louable et à encourager, comme le fait Daniel Dubuisson (1998). L’auteur, en menant une analyse minutieuse, questionne la généralisation occidentale du concept de religion puisque non séparé des autres domaines de la société dans les autres cultures. Le déni de cette dimension religieuse se base essentiellement sur les facteurs suivants : 1– une trop grande focalisation et fixation sur les textes bouddhiques (optique savante) néantisant ainsi la réalité empirique (populaire) ; 2– un essentialisme apologétique (qui peut avoir un but financier, politique ou idéologique) ; 3– une vision profondément péjorative du terme religion, rappelant le dogme et l’autorité dont le bouddhisme est supposément exempt.
Les enjeux de l’implantation du bouddhisme tibétain sont loin d’être seulement religieux car ils mobilisent des intérêts financiers, géopolitiques et idéologiques importants. L’exil des Tibétains peut ressembler à un défi pour les lignées religieuses et leurs chefs. La Chine ayant détruit leur ancien « système féodal », il leur faut trouver d’autres moyens de financement, utiliser de nouveaux réseaux pour leur permettre de survivre, de conserver leur autorité et de propager leur doctrine.
La vision an-institutionnelle minimise la dimension missionnaire et l’usage du prosélytisme par les détenteurs de la tradition. Déniant une quelconque motivation et intention au maître et à son rôle actif dans la propagation de la doctrine, ce discours occulte les mécanismes causaux effectifs (désir de sauvegarder et de propager la religion, reconstruction des monastères, conservation d’un statut d’autorité, enrichissement et expansion, etc.) et les stratégies présentes dans toute opération de transmission. Nombre de maîtres Tibétains présents en Occident sont à la tête de monastères (au Népal, au Bhoutan et en Inde), mais aussi au Tibet et il leur faut réunir des fonds pour entretenir leur population monastique et financer leurs multiples projets. L’Occident, plus largement les pays riches, sont d’excellents pourvoyeurs de ressources financières. La création et la multiplicité de réseaux internationaux autour de l’enseignement d’un maître en particulier comme la FMPT (Fondation pour la préservation du Mahayana), la Nouvelle Tradition Kadampa, la Shambhala Network, la Dzogchen Community, Rigpa, les réseaux affiliés au Karmapa Thayé Dorjé et ceux du Karmapa Orgyen Trinlé Dorjé, témoignent de l’activité missionnaire des maîtres.
Le maître, le lama [14], est la clé de voûte de l’édifice religieux. Sans lui, il n’y a pas de progression spirituelle possible. Intermédiaire exigé qui donne l’accès à l’Éveil, il est celui autour duquel se structurent des communautés de croyants (sangha). Il est l’objet de nombreux fantasmes qui trouvent leur origine dans la place singulière que le Tibet occupe dans l’imaginaire occidental, reflet d’un pays mythique et paradisiaque avec des lamas aux pouvoirs supra-humains, bien loin de sa réalité historique. Le Tibet a en effet une histoire complexe et pour le moins contradictoire avec l’image que s’en font nombre d’Occidentaux : société fonctionnant sur un mode « féodal » [15], le bouddhisme est directement lié à l’histoire politique du pays et les conflits entre lignées religieuses pour l’exercice du pouvoir y étaient une réalité ordinaire. Le mythe de Shangri-La [16], qui perdure de nos jours, est favorisé par les apologistes et par des Tibétains eux-mêmes, notamment les lamas, qui ont bien compris que ces représentations idéalisées et mythifiées de leur terre ne pourraient que leur servir. Le rôle de l’image, notamment à travers des films tels que Kundun de Scorcese (1998), mettant en scène l’enfance du Dalaï-Lama, renforce les stéréotypes positifs à l’égard du Tibet, de son chef charismatique et sa religion bienveillante.
Une particularité tibétaine que nous retrouvons en Occident est le système des tülkou, système de réincarnations successives, moyen de transmission des pouvoirs économiques, politiques et religieux : « de vie en vie, la lignée religieuse est aux mains du même personnage, auquel on reconnaît les mêmes qualités spirituelles, mais sous un corps différent. » [17] Aujourd’hui, on trouve des lamas réincarnés en Europe, aux États-Unis mais aussi dans tous les pays où se diffuse la doctrine, indiquant une extension de ce mode de transmission particulier. Les lamas, en tant que dispensateurs des bénédictions de la lignée, sont pour ainsi dire des êtres charismatiques de fait, particulièrement les tülkou qui jouissent d’un pouvoir hautement symbolique et sacralisé [18]. Cependant, tous n’ont pas le même « pouvoir hypnotique » pour « éveiller les passions », comme dirait C. Geertz [19]. L’importance accordée au lignage ininterrompu et à une lignée spécifique de transmission est constitutive du pouvoir incarné des maîtres, notamment des tülkou, qui sont, en même temps que « renaissances » de maîtres passés, des émanations de déités tantriques [20]. Leur qualité « supra-humaine » fait qu’ils doivent être envisagés comme des bouddhas vivants.
Au Tibet, les monastères tenaient une place centrale dans l’organisation politique, économique et féodale. Le servage et les liens de domination permirent aux abbés et aux chefs de lignées de mettre en place des « seigneuries indépendantes » [21], les monastères possédant des terres et des serfs. Ces monastères disposaient de patrons laïcs, pouvant leur assurer une tranquillité matérielle, les moines en retour leur faisaient le « don du dharma ». Cette relation, qualifiée de « religieux-protecteur » [22] signifie que chacun offrait à l’autre une protection dans le domaine qui était le sien. Le pouvoir religieux au Tibet a toujours fonctionné avec un pouvoir séculier, ce qui demeure une constante dans l’implantation du bouddhisme tibétain en France [23]. L’intensité du don des laïcs est centrale, les bienfaiteurs sont indispensables pour une installation réussie du dharma en Occident comme ailleurs. Les dons ainsi versés, sont censés faire accumuler des mérites aux laïcs [24].
Le traitement médiatique et ses discours souvent élogieux à l’égard des lamas Tibétains permettent de comprendre l’accueil fait à ces « gardiens du sacré » pour paraphraser Georges Balandier, considérés comme des exemples vivants de sagesse, de véritables saints. La présence du maître a effectivement permis la naissance de communautés devenues par la suite de véritables centres, parfois imposants. Le bouddhisme est en effet en France la religion qui a obtenu le plus de reconnaissances institutionnelles dans un temps restreint [25]. Des liens de nature économique et politique ont évidemment joué un rôle dans cette implantation pour le moins confirmée. Les maîtres (Tibétains et Occidentaux) bénéficient d’un large réseau institutionnel et économique permettant de développer leur activité à grande échelle. Certains se sont révélés être de remarquables pédagogues et des prosélytes pouvant mobiliser les affects. Ils font généralement bon usage d’une rhétorique bouddhiste (compassion-sagesse ; altruisme-bien des êtres ; souffrance-bonheur) et d’un « langage opportuniste » qui souvent « s’ajuste aux circonstances » [26]. Ayant rencontré plus d’une trentaine d’entre eux, j’ai pu me rendre compte que l’humour est souvent de mise ainsi que la proximité des relations et la séduction de potentiels fidèles [27]. Ces maîtres nient habituellement l’usage d’un quelconque prosélytisme, également nié par nombre d’observateurs, ce qui contribue à son efficacité empirique. Un Tibétain rencontré dans son centre parisien qualifiera tout de même la venue des lamas en Occident comme des « missionnaires invités par des Occidentaux » [28].
Lors d’une conférence publique donnée à Paris en mai 2005 par Sogyal Rinpoché, un lama tibétain de renom, le traducteur a présenté son maître avant qu’il n’entre en scène. Soulignant que ce dernier enseigne dans les retraites et séminaires de ses centres du monde entier et qu’il est donc souvent en déplacement, il précisa : « Tout ceci avec le souhait d’offrir à tous les êtres un message de sagesse sans la moindre idée de conversion. » Puisqu’il s’agit d’une sagesse, comment pourrions-nous nous y convertir ? Le fait même de nommer en le niant le phénomène de conversion suppose qu’il est sous-entendu dans le propos. Á la fin de la conférence, ponctuée de nombreuses touches d’humour, Sogyal Rinpoché exprima le souhait de voir germer la graine qui a été semée pour postuler à l’éveil et ainsi : « aider tous les êtres à se libérer de la souffrance et accéder au bonheur ultime ». La métaphore de la graine est quasi-systématique dans le discours des maîtres, bien intériorisée par les fidèles. Les maîtres et les fidèles rencontrés ont tendance à expliquer les procédés qui, objectivement, relèvent du prosélytisme (conditionnement, séduction, légitimité des maîtres), par le point de vue bouddhiste du bodhisattva [29], c’est-à-dire le héros de l’éveil qui use des « moyens habiles » « upaya » [30], moyens de compassion destinés à aider les êtres pour qu’ils atteignent l’éveil, et donc, au préalable les convertir. Ce « devoir religieux » apparaît dans un contexte culturel et religieux marqué, qui a ses propres modes de légitimité et des traits distinctifs qui les caractérise. Notons que les maîtres Occidentaux formés (mais pas toujours) [31] par leurs maîtres Tibétains sont très actifs dans la propagation de la doctrine. Ils sont pour certains très appréciés mais peu rivalisent avec la notoriété de leurs homologues tibétains. L’un d’entre eux est à la tête d’un réseau de centres et il est le supérieur d’une congrégation en Savoie, il s’agit de Lama Denys Rinpoché. Ce dernier est le promoteur de dialogues inter-traditions et interreligieux et scientifiques (qu’il nomme « l’unité dans la diversité ») dans une volonté d’unification des savoirs, n’ayant de cesse de présenter le dharma du Bouddha comme une « tradition de vie sacrée, saine, complète et agnostique » [32].
Le plus grand propagateur du bouddhisme tibétain est évidemment le Dalaï-Lama, qui, en plus d’être l’un des hommes les plus médiatisés du monde, est à la fois une icône de sagesse et un chef spirituel pour de nombreux fidèles et sympathisants. De plus, il « s’impose en juge des évènements politiques au nom de la sagesse rationnelle et pacifique bouddhiste » comme le note Raphaël Liogier [33]. L’idéalisation qu’il fait du peuple tibétain avant l’arrivée des Chinois, la revendication de la non-violence dans son combat pour un Tibet autonome, sa volonté d’unifier le peuple tibétain en exil et son appel à la responsabilité universelle nous montrent clairement son action de chef politique. Son habileté à réinterpréter le bouddhisme tibétain afin qu’il s’adapte et fasse écho aux valeurs modernes en insistant sur son universalité, son authenticité et son a-temporalité alors même qu’il reste profondément traditionaliste en ayant toujours recours, par exemple, aux oracles, à la divination et aux pratiques de déités protectrices, illustre bien l’ambivalence entre un bouddhisme présenté à l’intention des Occidentaux et un bouddhisme plus traditionnel tel qu’il se pratique dans les communautés tibétaines. L’ambiguïté de ces deux positions n’est pas forcément contradictoire, le Dalaï-Lama pouvant être qualifié de « moderniste-traditionnel » [34], positions qui ne sont pour lui en rien antagonistes, comme le suggère Georges Dreyfus.
Yves Lacoste rappelait qu’un exode implique « qu’il y ait la possibilité de s’implanter ailleurs, et surtout qu’une notable partie du groupe expulsé ait les capacités d’adaptation, les types d’activité et les contacts qui lui permettront de s’insérer, de façon plus ou moins dispersée, parmi des sociétés différentes. » [35] La cause tibétaine a séduit aux quatre coins du monde, ce qui en dit long sur ses capacités d’adaptation et sur l’habileté à utiliser les communications dites « modernes » (la manipulation de symboles et la production d’images, par l’utilisation des médias et d’Internet), mais aussi dans la mobilisation d’organisations internationales. C’est ainsi que le bouddhisme, fer de lance du nationalisme tibétain au Tibet et en exil a pu être instrumentalisé à des fins politiques : la volonté de préserver et de diffuser dans le monde la doctrine bouddhiste et la culture tibétaine est devenue une des priorités de la politique du gouvernement tibétain en exil pour qui la religion tibétaine est unique et unit tous les Tibétains. La fulgurante installation de cette religion en France montre l’efficacité des réseaux bouddhistes à se mettre en scène et à utiliser tout ce que la modernité dispose met à leur disposition en terme de moyens de communication pour se diffuser, d’où une instrumentalisation de la modernité à des fins d’expansion.
Le discours bouddhiste moderniste s’adapte en Occident en présentant sa doctrine comme compatible avec l’universalité, la paix mondiale (notamment avec l’initiation au tantra de Kalachakra donnée plus d’une vingtaine de fois en Occident par le Dalaï-Lama pour « la paix dans le monde ») [36], la non-violence, la protection de l’environnement, la démocratie, etc. Les recompositions, réinterprétations et orientations de ce discours s’inscrivent dans une logique d’adaptation à la modernité occidentale et d’acculturation souvent volontaire. En effet, cette acculturation, relayée par le discours d’une partie des maîtres qui revendiquent leur religion comme moderne, est stratégique. Même si les modalités externes de la transmission de l’enseignement se modifient (des transmissions de pouvoir et initiations se font par exemple via l’Internet, les centres sont essentiellement des centres laïcs, les textes de pratique sont traduits en français, etc.) en s’adaptant au nouveau contexte culturel, des éléments de la culture bouddhiste tibétaine restent omniprésents. Les conflits politico-religieux internes à la tradition tibétaine tels que l’affaire de la déité protectrice « Shugden » et la « controverse des Karmapa » qui se répercutent en Occident et partout où le bouddhisme tibétain est implanté, attestent de la conservation d’éléments traditionnels et de leur prééminence [37].
Le bouddhisme a pénétré les sociétés occidentales essentiellement par les textes, par leur traitement doctrinal et scripturaire. Ceci a contribué à l’étude d’un bouddhisme savant, c’est à dire épuré de toutes superstitions, à l’opposé d’un bouddhisme dit populaire. Le bouddhisme tibétain s’est transmis en Occident principalement par les maîtres, considérés comme l’incarnation vivante de la doctrine. Apparaissant comme dénuée d’une quelconque autorité pour les adeptes, cette forme de bouddhisme est considérée par ces derniers comme pragmatique, rationnelle, centrée sur la personne et son expérience, tolérante, sans dogme. Une ethnographie pendant plusieurs années [38] auprès de plusieurs centres et donc auprès de nombreux maîtres et pratiquants, fait contredit ses représentations. Les concepts de foi, de dévotion au lama, de régulation et de codification des pratiques sont les fondements d’un bouddhisme orthodoxe qui engendre chez les pratiquants réguliers un discours normatif. Ces mêmes pratiquants, qui se défendent d’avoir affaire à une quelconque autorité, font souvent preuve de sujétions similaires à celles qu’ils reprochent aux Eglises dans lesquelles ils ont été socialisés. Il faut dire que nombre de maîtres « mettent tout en œuvre pour entretenir la fiction que l’adhésion de leurs disciples résulte d’un choix conscient et rationnel » comme l’indique L. Obadia [39]. Plus que cela encore, les nouveaux convertis se réapproprient des thématiques bouddhistes pour expliquer leur conversion, toujours liée à la rencontre d’un maître. Celle-ci est expliquée et justifiée par le karma (littéralement « action » ; loi de cause à effet) [40]. En tant que lama, les fidèles le voient comme détenteur d’une transmission authentique et ils lui prêtent spontanément des qualités d’écoute et de connaissance souvent exceptionnelle. David, disciple d’un lama tibétain, s’exprime ainsi à propos de son maître : « Il voit tout, c’est incroyable. Quand on parle de l’omniscience d’un Bouddha, c’est vraiment le cas. On ne peut rien lui cacher ». [41] Le maître devient l’objet de projections, d’émulations et d’attentes multiples ; il est pour de nombreux fidèles ce qu’il y a de plus précieux dans leur vie. Ainsi, certains s’entretiennent avec leur lama de leurs angoisses mais aussi pour obtenir son avis sur des questions relevant parfois de la banalité du quotidien (relation amoureuse, travail, relations familiales, achat d’une maison, etc.). Laure, 24 ans, qui vit la moitié du temps dans un centre périgourdin auprès de son lama souligne : « Il est présent dans notre relation, c’est clair. Que ce soit dans les études, que ce soit ici avec X (son petit ami) ou avec mes parents, il est présent. Toujours en conseillant. Moi, c’est vrai que quelque part, j’ai besoin de beaucoup me référer à lui. J’apprends à me démarquer, à faire évoluer la relation. Je sais que par exemple, il se passe ça, bon, je vais demander au lama. Il faut apprendre à devenir adulte, je crois que c’est ça le but, devenir adulte et que nous sommes tous des grands enfants. Moi, je sais que je suis toujours un peu adolescente, un peu gamine. Je crois que c’est ça, il m’apprend à devenir adulte, c’est ça. » [42] Certains lamas répondent volontiers à ces questions et investissent des rôles qui alternent entre le thérapeute, l’éducateur et le « père spirituel ». D’autres refusent, ne privilégiant que la pratique personnelle dans la mesure du possible.
La modernité dont serait dotée le bouddhisme tibétain est plus une fabrication d’apologistes et de représentants de la tradition en même temps qu’un moyen utilisé afin de trouver un écho favorable dans les sociétés d’accueil dites modernes. En effet, l’accent est fréquemment mis sur les principes bouddhiques intelligibles par les Occidentaux et considérés comme modernes et l’occultation de tout ce qui pourrait être perçu comme archaïque ou primitif sera quasi-systématique. Certains Occidentaux parlent plus facilement du bouddhisme comme d’une « science de l’esprit », comme le fait Lama Denys [43], plutôt que des aspects « magiques » de telle(s) ou telle(s) pratique(s). Les apologistes ont tendance à essentialiser le bouddhisme tibétain et à le séparer des pratiques et croyances qu’ils jugent païennes et incitent à faire une distinction entre un bouddhisme populaire (qui serait culturel, renvoyant également à des pratiques en marge) et un bouddhisme pur et authentique (universel). Une telle distinction n’est pas recevable car elle ne rend pas compte des données du terrain. L’opposition entre un bouddhisme moderne et un bouddhisme traditionnel est problématique car elle implique l’acceptation du terme modernité (de quelle modernité s’agit-il ?) comme catégorie conceptuelle et analytique, ce qui ne va pas de soi et ce qui contribue à créer un nouveau concept à vocation universelle, reflétant une certaine suprématie des valeurs occidentales. Il est certainement plus pertinent d’analyser les discours explicitant le choix des termes (que se joue t-il derrière ?) que les termes eux-mêmes, qui, selon le contexte, prend un sens à chaque fois différent. Ce qui ne doit pas inciter l’anthropologue à s’abstenir d’une réflexion et d’une analyse critique de la modernité, notion qui suscite des énoncés contradictoires [44].
Les « centres du dharma », disposant d’un programme très fourni d’enseignements « modernes », comme ceux qui recourent abondamment à la psychologie occidentale, sont souvent mis en place afin de séduire une large clientèle. Ce type de programme constitue une sorte de levier qui amène ensuite certains à s’investir dans une pratique bouddhiste. La fonction économique n’est pas en reste. Nombre d’entre eux proposent divers stages « annexes » relevant partiellement de la nébuleuse New Age : on trouve différents types de massage, des yogas, de la danse, des chants, du Tai Chi, du Qi Gong, différentes thérapies, du Reiki, de la Sophrologie, de la PNL, etc. Les « missionnaires du bien être et de la prospérité générale » [45] sont très attirés par les techniques du bouddhisme tantrique et ils bénéficient également de la bonne renommée des centres pour dispenser leurs cours.
Derrière un discours universaliste qui tente de faire passer le dharma comme atemporel et a-culturel, on trouve des spécificités liées à la culture bouddhique tibétaine, même épurées, le dharma tibétain étant lié de manière intrinsèque à son contexte d’origine. L’acculturation du bouddhisme tibétain est ici marquée par une acculturation matérielle, entendue comme un jeu de sélections avec des variantes dans les modalités de la transmission et d’échange(s), dans la dissimulation du contenu, dans les nouvelles configurations que prendra la distribution de la doctrine pour s’adapter à une demande moderne. Le bouddhisme s’est toujours adapté au nouveau contexte culturel qu’il a rencontré (sauf avec l’Islam et l’Hindouisme avec lesquels il a été en concurrence), c’est une religion qui englobe (absorbe) plus qu’elle n’exclut et qui utilise principalement l’inculturation pour se propager.
La tradition véhiculée par les lamas tibétains et, à des degrés divers par leurs successeurs Occidentaux, permet à leur culture (enseignement religieux) « de se doter du « génie » qui lui convient, qu’elle pare d’un vêtement archaïque tant il est vrai que la patine en ce domaine est signe de qualité et dont elle use comme d’une carte d’identité. L’utilité en particulier d’une tradition est d’offrir à tous ceux qui l’énoncent et la reproduisent au jour le jour le moyen d’affirmer leur différence et, par là même, d’asseoir leur autorité. » [46] L. Obadia mentionnait que « le chercheur a tout le loisir de voir le bouddhisme comme religion à part entière – donc, comme institution – ou comme un nouveau mouvement religieux, donc son contraire suivant son angle d’attaque. » [47] L’auteur parle d’ubiquité pour rendre compte du double positionnement du bouddhisme dans le champ religieux français. Cette ubiquité, l’art d’être partout à la fois, est aussi palpable dans la manière dont il est présenté par les apologistes et ses représentants ; il attire parce qu’il est perçu comme rationnel et pragmatique mais il fascine beaucoup pour ses pratiques magiques et ses pouvoirs. Le discours ambivalent des maîtres et des apologistes qui en même temps revendiquent l’authenticité du bouddhisme et son caractère profondément moderne, témoigne des enjeux et des intérêts que les notions de tradition et de modernité inspirent et suscitent. Leur opposition (dont la pertinence née de leur relation) doit être dépassée pour rendre compte de la réalité empirique. L’habileté à utiliser ce double positionnement renvoie également à la doctrine bouddhique du Mahayana (Grand Véhicule) de la double vérité, une relative (conventionnelle) et une absolue (ultime). Cette double-vérité engendre des malentendus dans la pratique car tout peut trouver une justification d’un point de vue ultime. Ce qui fait dire à Bernard Faure à propos de Trungpa Rinpoché, l’un des plus ardents propagateurs du dharma en Occident, qu’il « justifiait son alcoolisme, son donjuanisme et ses excentricités financières par sa ’sagesse folle’. » [48] Le bouddhisme surpasserait ainsi cette opposition binaire entre tradition/modernité en alternant, voire en conjuguant les deux termes de cette dualité. Selon les interlocuteurs et les circonstances, le discours s’adapte et se modifie en fonction des divers intérêts qu’il suscite et implique. Ainsi, ces jeux de positionnement renvoient à l’enseignement même du Bouddha qui aurait prêché différemment suivant le niveau d’intelligence et de maturité spirituelle des auditeurs présents devant lui.
La notion de modernité est mobilisée par les représentants du bouddhisme tibétain et par ses nombreux relais qui l’utilisent principalement comme un outil d’expansion. Les rapports complexes que tisse le bouddhisme tibétain avec la modernité impliquent que l’on se détache des représentations englobantes d’une modernité comme catégorie universelle, voire comme nouvelle idéologie. Selon le contexte de production et d’élocution, c’est à une réalité chaque fois différente à laquelle renvoie le concept de modernité (des modernités ?), qui, avec celui de tradition, peut être à la fois employé par les acteurs du terrain et par ses observateurs, pour qualifier le bouddhisme tibétain : exemple significatif d’une religion qui tirerait toute sa richesse et sa légitimité de la tradition et qui s’adapte si bien à nos sociétés par son caractère prétendument moderne. C’est alors ce discours qu’il faut analyser et interpréter en le confrontant aux faits empiriques, au moyen d’enquêtes de terrain systématiques.
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[1] Le déni de la dimension religieuse est récurrent. Comme le note Bernard Faure, il s’agit toujours « d’affirmer, sans avoir l’air d’y toucher, que le bouddhisme n’est pas une religion », in Le bouddhisme, Le Cavalier Bleu, Paris, 2004, p.37.
[2] J’en recensais 203 exactement pour l’année 2005 selon mes propres données. Un centre est une association dépendant des lois 1901 ou 1905 et peut renvoyer à un complexe monastique ou à un simple appartement d’un particulier.
[3] Mise à part les études de Lionel Obadia et Raphaël Liogier qui ont eu un double regard critique.
[4] D’abord dans le cadre d’une maîtrise puis d’un DEA en ethnologie (sur le phénomène de conversion dans des centres périgourdins et sur la relation de maître à disciple dans l’école Kagyu).
[5] En référence à Victor Cousin. R-P. Droit, Le culte du Néant, Les philosophes et le Bouddha. Paris, Seuil, 1997.
[6] L’argument de rationalité du bouddhisme s’est maintenu tout au long du XIXe siècle en prenant plusieurs significations. Fin XIXe, c’est sous l’angle scientifique qu’il est évalué. Cf. Bechert (H.), « Le bouddhisme dans le monde moderne : le renouveau du bouddhisme à l’Est et à l’Ouest », in Bechert (H.), Gombrich (R.), Éd. Le monde du bouddhisme, Paris, Bordas, 1984, pp. 265-277.
[7] Fondée en 1875 par H. Olcott et H. Blavatsky. La société a eu un rôle actif dans la diffusion du bouddhisme en Occident mais aussi dans son développement en Asie, confrontée à la colonisation et l’évangélisation chrétienne.
[8] Je me réfère aux ouvrages de G. Lipovetsky dont L’empire de l’éphémère, éd. Gallimard, Paris, 1987. L’auteur y décrit le repli de nos contemporains sur l’intérêt privé comme seul but de l’existence et sur le narcissisme éclaté, né de l’injonction « il faut être heureux ». Citons également l’essai de P. Bruckner, L’euphorie perpétuelle. Essai sur le devoir de bonheur, éd. Grasset, Paris, 2000.
[9] New Age ou Nouvel Âge : mouvement né en Californie et en Écosse à la fin des années 1960, dans des milieux de contre-culture. Le New-Age recouvre une réalité assez diffuse en France, rassemblée sous l’expression NMR « Nouveaux Mouvements Religieux » par la sociologie des religions mais la frontière avec la « nébuleuse mystique ésotérique » est floue. Ici, il est question des mouvements utilisant des techniques comme la numérologie, le channeling, l’astrologie, le pouvoir des cristaux, différentes thérapies comme la régression dans les vies antérieures, etc.
[10] « La nébuleuse mystico-ésotérique. Orientations psychoreligieuses des courants mystiques et ésotériques contemporains », in F. Champion, D. Hervieu-Léger, De l’Emotion en Religion, éd. Le Centurion, Paris, 1990, p. 17-69.
[11] Particulièrement en ce qui concerne le bouddhisme tibétain, le Tibet ayant joué un rôle important dans le mouvement New-Age. Cf. F.J. Korom, « The Role of Tibet in the New Age Movement », in Imagining Tibet, Perceptions, Projections and Fantaisies, T. Dodin & ; H. Räther (eds), Wisdom Publications, Boston, 2001, p. 167-182.
[12] Géopolitique du bouddhisme, Edition des Syrtes, Paris, 2002, p. 35.
[13] La laïcité française a pour origine la loi du 9 décembre 1905 qui a défini le cadre juridique des relations entre l’état et les cultes. C’est une laïcité dont les fondements historiques sont chrétiens, catholiques et romains. Dans les faits, l’Église catholique reste prééminente et jouit d’un traitement de faveurs particulier. La loi sur les congrégations religieuses est conçue sur le modèle catholique et, depuis 1942, la loi du 1er juillet 1901 fut modifiée afin qu’une congrégation religieuse puisse obtenir la reconnaissance légale par décret rendu sur avis conforme du Conseil d’État. Après la reconnaissance de congrégations d’obédience catholique romaine, la normalisation du statut juridique des congrégations s’est étendue aux autres confessions chrétiennes et à d’autres religions. La première congrégation bouddhiste tibétaine à être reconnue fut « Karma Dharma Chakra » en Périgord, en 1988. Le modèle catholique est cependant un frein à la reconnaissance de congrégations de confessions différentes, par exemple musulmanes. On note en effet qu’aucune congrégation de confession musulmane n’a pour le moment fait l’objet, devant le Conseil d’État, de la procédure prévue par le titre III de la loi de 1901. Rapport du Haut Conseil à l’intégration, l’Islam dans la République, novembre 2000.
[14] (Tib. Bla ma) : Traduction du sanscrit « guru » qui signifie « lourd » (de qualités et de compassion.). Désigne un maître spirituel, c’est-à-dire une personne qualifiée pour transmettre le dharma aux autres.
[15] L’emploi du terme féodal est courant, c’est l’emploi du terme « servage » qui semble poser le plus de problèmes, faisant l’objet d’un débat dans la tibétologie. Je rejoins le point de vue exposé par M. C. Goldstein, « Serf-dom and mobility », Journal of Asian Studies, XXX, n°3, 1971, p. 521- 534.
[16] C’est James Hilton qui dans son roman Lost Horizon, invente le terme Shangri La, véritable paradis terrestre. La puissance du mythe et ses effets ont bien été mis en valeur dans l’étude de D. S. Lopez, Jr, Prisoners of Shangri-La, Tibetan Buddhism and the West (1998). L’origine du mythe est détaillée par Peter Bishop dans The Sacred Myth of Shangri-La. Tibet, Travel Writing and the Western Creation of Sacred Landscape, Adarsh Book, Delhi, 2000.
[17] L. Deshayes, L. Lenoir, L’épopée des Tibétains, Paris, Fayard, 2002, p.60.
[18] Dreams of Power, Tibetan Buddhism and the Western Imagination, op.cit., p. 64.
[19] Savoir local savoir global, Les lieux du savoir, PUF, Paris, 3e édition, 2002, p. 153.
[20] G. Samuel, Civilized Shamans, Buddhism in Tibetan Societies, Smithsonian Institution Press, Washington and London, 1993, p. 281.
[21] R. Stein, La civilisation tibétaine, Paris, Edition Le Sycomore, 1996, p.88.
[22] Cette relation tire son origine du couple roi-moine au Tibet, désigné fréquemment à partir du XIIIe siècle par l’expression « mchod yon », chapelain-donateur. I. Riaboff. « Chos rgyal et lha chen. Dimensions religieuses de la figure royale au Zanskar », Archives de Sciences Sociales des Religions, 99. (July-Sept.), 105-128 (numéro spécial : Religion, Politique et Identités en Himalaya, édité par G. Toffin).
[23] A titre comparatif en France, on peut dire que c’est la Révolution française qui a entraîné une rupture fondamentale dans l’histoire des rapports entre religion et pouvoir politique.
[24] Il s’agit d’actions méritoires, actes physiques, verbaux ou mentaux conformes à la doctrine bouddhique.
[25] Comme nous le citons plus haut, c’est en 1988 qu’une congrégation non chrétienne, bouddhiste tibétaine, fut reconnue par le Conseil d’État. En moins de quarante ans de présence sur le sol français, onze congrégations tibétaines bénéficient désormais de ce statut.
[26] G. Balandier, Le pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1992, p. 141.
[27] Investigations réalisées dans le cadre de ma thèse en anthropologie : Le « maître » dans la diffusion et la transmission du bouddhisme tibétain en France. Aspects politiques, économiques, religieux et sociaux. Lyon II, juin 2008.
[28] Lama Mönlam, entretien à Paris, mars 2005.
[29] Litt. « Être d’éveil » : êtres qui ont pour vœux d’aider tous les êtres à s’affranchir de la souffrance et à atteindre l’éveil.
[30] P. Cornu, Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme, Seuil, Paris, 2004, p. 642.
[31] Certains ont reçu leur titre de leur maître mais d’autres ont pu l’acquérir par d’autres voies.
[32] Lama Denys, La voie du bonheur, Actes Sud, 2002, Paris, p. 11. Son centre savoyard Karma Ling fut le lieu de nombreux colloques et séminaires avec des disciplines occidentales (psychologie moderne, franc maçonnerie, etc.) préfigurant les discours bouddhistes modernistes qui interprètent la rationalité moderne comme une valeur bouddhiste.
[33] Le bouddhisme mondialisé, Une perspective sociologique sur la globalisation du religieux, Paris, Ellipses, 2004, p. 585.
[34] « Entre déités protectrices et gloire internationale. Analyse de l’attitude du Quatorzième Dalaï-Lama face à la modernité et au bouddhisme », in Les Dalaï-Lamas, M. Brauen (dir.), Favre, 2005, p. 176.
[35] « Géopolitique des diasporas », Hérodote, 2e trimestre 1989, n°53, p. 9.
[36] Kalachakra est un rituel censé permettre aux gens qui assistent à l’initiation de recevoir des germes leur permettant peut-être de renaître dans le mythique royaume de Shambhala, paradis terrestre.
[37] Le Dalaï-Lama a expressément condamné la pratique de Dorjé Shugden, provoquant des divisions au sein de sa lignée. Cf. G. Dreyfus, 1998, « The Shuk-Den Affair : Origins of a controversery », Journal of the International Association of Buddhist Studies, vol.1, n°2, pp.227-270. La controverse des Karmapa concerne la reconnaissance de deux hiérarques (Karmapa) à la tête de la lignée Karma-Kagyü. Cette affaire mêle intérêts économiques, politiques et religieux.
[38] Investigations réalisées dans le cadre de ma thèse en anthropologie, soutenue en juin 2008 à l’Université Lumière Lyon II et intitulée : Le « maître » dans la diffusion et la transmission du bouddhisme tibétain en France.
[39] L. Obadia, Bouddhisme et Occident, la diffusion du bouddhisme tibétain en France, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 204
[40] C’est le pouvoir latent contenu dans les actions et le résultat de ces actions. C’est notre intention, bonne ou mauvaise, qui détermine le fruit de nos actions. D’une manière générale, l’explication « karmique » est récurrente chez les bouddhistes rencontrés, permettant d’expliquer toutes les situations de la vie quotidienne, au niveau personnel et niveau collectif. Alors qu’il désigne traditionnellement l’acte, les fidèles ont tendance à l’employer pour décrire le résultat.
[41] Entretien personnel avec David, 48 ans, disciple Kagyu, Périgord, 2006.
[42] Entretien personnel, 2005, Périgord.
[43] La voie du bonheur, Paris, Actes Sud, 2002, p.11.
[44] Lionel Obadia, « Religion(s) et modernité(s). Anciens débats, enjeux présents, nouvelles perspectives », Socio-Anthropologie, N°17-18 Religions et modernités, 17 I. Au cœur du débat, mis en ligne le 16 janvier 2007, URL : http://socio-anthropologie.revues.o…. [Consulté le 3 mars 2007].
[45] J. Baudrillard, La société de consommation, Paris, Gallimard, 1996, p. 266. J. Baudrillard s’en prenait ici aux industriels, qui, tout comme les architectes, publicitaires, urbanistes, designers, et psychosociologues, témoignent d’une société « malade », ce qui selon lui est le « leitmotiv de toutes les bonnes âmes au pouvoir ».
[46] G. Lenclud, « La tradition n’est plus ce qu’elle était… », Terrain, Numéro 9 - Habiter la Maison (octobre 1987), [En ligne], mis en ligne le 21 juillet 2005. URL : http://terrain.revues.org/document3…. [Consulté le 6 novembre 2005].
[47] L. Obadia, « Une tradition au-delà de la modernité : l’institutionnalisation du bouddhisme tibétain en France », in Recherches Sociologiques, Louvain La Neuve, 2000/3, p.85.
[48] B. Faure, Sexualités bouddhiques, Paris, Flammarion, 2005, p.10
Campergue Cécile, « Une modernité à géométrie variable : le cas du bouddhisme tibétain en France », dans revue ¿ Interrogations ?, N°10. La compétence, mai 2010 [en ligne], https://www.revue-interrogations.org/Une-modernite-a-geometrie-variable (Consulté le 9 décembre 2024).