L’auteur met à l’épreuve du terrain l’approche intersectionnelle de Crenshaw à partir d’un travail sociographique dans une mobilisation de soutien aux sans-papiers. Il souligne d’abord que les catégories dites intersectionnelles – comme toute catégorie – sont indissociables de la dynamique des rapports de pouvoir et de la division du travail, y compris dans une action collective. Après avoir explicité les catégories retenues sur le terrain (sexe et race), il montre que le cadre intersectionnel – malgré ses limites – relativise en profondeur les résultats du travail sociographique lorsque ce dernier cloisonne les axes de différenciation sociale. Dans le travail militant présentiel, la dynamique de l’intersectionnalité politique ne profite pas à tou-te-s les dominé-e-s… ni à tous les dominants.
Mots-clés : Intersectionnalité – Race – Sexe – Sans-Papiers
Hegemony and Marginalization in Activist Work : Mobilization’s Sociography in Intersectional Approach’s Perspective
The author tests Crenshaw’s intersectional approach in the field, through a sociographic work in a movement supporting undocumented migrants. He first stresses intersectional categories cannot be separated from neither power relations’ dynamic nor division of labour, including in collective action. Having clarified the categories selected in the field (gender and race), he shows that despite its limits, the intersectional approach puts the results of the sociographic work in a very different perspective. In the attending activist work political intersectionality’ s dynamics don’t benefit neither all the dominated… nor all the dominators.
Keywords : Intersectionality – Race – Gender – Undocumented Migrants
L’approche intersectionnelle [1] – « théorisation holiste de la domination sociale » (Bilge, 2010 : 60) – est ici mise à l’épreuve afin d’illustrer ce qu’elle apporte à la prétention sociographique dans le travail ethnographique sur les mouvements sociaux. En effet, depuis Mauss (2002 : 31-38) et ses « méthodes d’observation », « le premier point, dans l’étude d’une société, consiste à savoir de qui l’on parle » et « l’inventaire doit être complet, avec localisation exacte, par âge, par sexe, par classe ». En quoi le cadre intersectionnel modifie-t-il les modes d’inventaire de la répartition des participant-e-s à une mobilisation ? Comment mesurer l’éventuelle marginalisation des dominé-e-s – et hégémonie des dominants – dans cette participation ?
Si les « théorisations féministes de l’intersectionnalité » (Bilge, 2009) ont contribué à renouveler la sociologie francophone [2] des rapports sociaux (de sexe), elles apparaissent moins prolixes sur les implications méthodologiques d’un tel renouvellement au moment d’« articuler dans une même analyse, y compris et surtout lorsqu’elle est appliquée à des situations empiriques, plusieurs grands principes de stratification sociale » (Poiret, 2005 : 195). En effet, plaider pour une approche intégrée des systèmes d’oppression, c’est-à-dire pour une approche qui ne les hiérarchise pas et/ou ne les cloisonne pas afin de privilégier leurs modes de « co-formation, co-construction » (Bilge, 2010 : 59), peut déboucher sur des doutes qui contrarient l’impératif empirique du travail sociologique. Car, sur le terrain, comment faire avec – et à la fois – tous « les grands axes de la différenciation sociale que sont les catégories de sexe/genre, classe, race, ethnicité, âge, handicap et orientation sexuelle » (Bilge, 2009 : 70) ?
Cette angoisse est structurante pour tout travail de catégorisation [3] des acteurs qui prétend s’inscrire dans un cadre intersectionnel. S’agit-il – dans le fol espoir de ne rien perdre des logiques intersectionnelles – d’embrasser la totalité (de la complexité) du réel ? Sans doute pas. D’autant que l’écueil de la cartographie sociale surplombante et celui d’une forme de nominalisme – lorsque la profusion catégorielle du savant s’éloigne des expériences catégorielles qui font sens pour les acteurs – sont probables. S’agit-il alors de choisir un axe de différenciation – par exemple, le genre – et de montrer que la dynamique de ce dernier est co-construite par les autres axes de différenciation ? Pourquoi pas, mais l’écueil de l’imposition de problématique n’est pas exclu tandis que le terrain est susceptible, sur un mode « moniste » (Bilge, 2010 : 51), d’opposer un axe de différenciation qui déstabilise l’entrée privilégiée car si « aucune forme d’oppression n’est primaire […] les individus et les groupes tendent souvent à définir l’une d’entre elles comme plus fondamentale que les autres » (Poiret, 2005 : 9). Nous avons eu l’occasion de vivre cette expérience (Dunezat, 2007) qui nous a socialisé à la nécessité d’un travail sociographique localisé.
En effet, nous plaidons ici pour une sociologie qui cherche à « mettre à jour des nœuds et lignes de tension » (Galerand et Kergoat, 2015). Pour un terrain donné, il s’agit d’inscrire le travail de catégorisation des acteurs dans un cadre intersectionnel mais en cherchant moins à croiser des catégories qu’à « remonter aux processus qui sont au principe de la production des groupes et des appartenances objectives et subjectives » (Ibid.). Il s’agit de faire avec les catégories – parce qu’elles sont là – afin de mettre en évidence leurs « rapports sociaux constitutifs » (Poiret, 2005 : 10). Si la production catégorielle ne saurait s’épuiser dans la dynamique d’un seul rapport social et si elle déborde vers tous les axes de différenciation, sans manquer d’être subjectivée sous des terminologies inattendues et sur un mode moniste, il n’empêche que cette production est indissociable de la dynamique consubstantielle d’au moins trois rapports de production qui sont fondamentaux parce qu’ils sont transversaux à tous les champs du social : la classe, la race, le sexe [4] (Kergoat, 2012). C’est ce cadre théorique qui oriente ici la sociographie de ce nœud que constitue une mobilisation dite de soutien aux sans-papiers.
Dans un premier temps, nous plaiderons pour que le travail de catégorisation s’inscrive dans la sociologie des rapports sociaux. Puis nous analyserons l’évolution du mode de sélection des catégories utilisées pour la mobilisation étudiée. Enfin, nous montrerons que la prise en compte simultanée du sexe et de la race bouleverse – voire inverse – les dynamiques sexuées et racisées qui structurent la mobilisation observée lorsque le travail sociographique procède par type de rapport social.
Certaines théorisations de l’intersectionnalité (Collins, 2000) pensent ensemble la dimension subjective – l’expérience vécue des oppressions imbriquées – et la dimension objective – les organisations sociétales en tant que matrice de la domination – de la production catégorielle. Il s’agit d’éviter l’écueil de la cartographie sociale à plat et celui de l’imposition de problématique surplombante. Comment, dans l’analyse d’un mouvement social, tenir ensemble “l’intersectionnalité visible” des mobilisé-e-s et une expérience militante structurée dans une division catégorielle subjectivée qui peut aller jusqu’à nier la sexuation comme mode pertinent de catégorisation (Dunezat, 2007) ?
L’article fondateur, dans le contexte français, de Crenshaw (2005) développe successivement : la notion d’intersectionnalité structurelle pour désigner la situation des femmes de couleur comme ayant une « identité intersectionnelle en tant que femmes et personnes de couleur », comme étant « le produit des croisements du racisme et du sexisme » (Ibid. : 54) ; la notion d’intersectionnalité politique pour mettre en lumière « la position assignée aux femmes de couleur » (Ibid. : 61) dans les mouvements féministes et antiracistes, « la marginalisation découlant du fait d’être situé dans des groupes dont les intérêts politiques sont conflictuels » (Bilge, 2009 : 74).
Crenshaw nous invite à distinguer deux niveaux de production catégorielle pour la sociographie des mobilisations. D’une part, dans ces dernières, des appartenances catégorielles doivent être pensées comme “déjà là” sous l’effet de leur production institutionnelle structurée par les systèmes d’oppression imbriqués : droit, politiques publiques, institutions, etc., sont les relais d’un niveau structurel de la sécrétion catégorielle et intersectionnelle. D’autre part, le mouvement social doit être pensé comme un espace-temps d’éventuelle marginalisation de certaines catégories et donc de production politique structurée par les systèmes d’oppression imbriqués : mouvements ouvriers, féministes, antiracistes, etc., sont alors les relais d’un niveau politique de la dynamique catégorielle et intersectionnelle. Comme le montre Crenshaw, il ne suffit pas qu’un mouvement féministe soit féminisé pour qu’il rassemble les femmes, compte tenu des divisions de race (et de classe).
La distinction entre intersectionnalité structurelle et intersectionnalité politique incite à regarder autrement la dialectique entre domination (champ institutionnel) et résistance (champ militant). La production catégorielle et intersectionnelle ne s’arrête pas aux portes des mouvements sociaux qui contestent l’un et/ou l’autre des systèmes d’oppression et ces mouvements méritent d’être analysés au prisme de leur capacité ou non à réunir toutes les fractions dominées. Mais comment s’articulent les productions institutionnelle et politique de ces fractions ?
La sociologie matérialiste des rapports sociaux (Kergoat, 2012 ; Juteau, 2010) apparaît ici d’un grand secours. Elle postule que des tensions structurent le social et produisent des groupes sociaux – des classes, y compris de sexe, de race – autour d’un enjeu : la division du travail. La sexuation des êtres humains est alors indissociable de la « division sexuelle du travail » (Kergoat, 2012 : 201-233), tout comme, selon Guillaumin (1992 : 182), les « esclaves » ont été rendus « nègres » car « la marque suit, elle ne précède pas le rapport » de pouvoir (Juteau, 2010 : 72).
Mais la sociologie matérialiste nous invite aussi – via le concept de consubstantialité – à penser ensemble les différentes formes de la division du travail (sexuelle, racisée, etc.) et les divisions au sein d’une même classe, car « théoriser un rapport constitutif de catégories sociales spécifiques n’équivaut en aucune manière à postuler des situations ou expériences communes » (Ibid. : 77). Par exemple, la condition des ouvrières ne s’épuise ni dans la classe des femmes ni dans la classe des ouvriers parce que cette condition est le produit simultané de la division capitaliste et sexuelle du travail (Kergoat, 2012 : 33-62).
Via les pratiques et la division du travail, les rapports sociaux (s’) incarnent et (se) coproduisent (dans) la structure sociale – niveau de l’intersectionnalité structurelle – mais leur action structurante est transversale à tous les champs du social, y compris dans les pratiques de résistance (niveau de l’intersectionnalité politique). Dans une mobilisation, le travail sociographique consiste alors à analyser si et comment une éventuelle division du travail militant (re)produit des catégorisations qui actualisent la production catégorielle d’origine institutionnelle. L’intersectionnalité politique peut ainsi être objectivée sans être réduite au simple produit de l’intersectionnalité structurelle.
Le cadre intersectionnel suscite des modes de catégorisation à la fois élargis et simultanés. Or, les trois grands axes de différenciation sociale (sexe, classe, race) ne bénéficient pas d’un égal traitement méthodologique.
En effet, notre travail ethnographique est structuré par une contradiction [5]. Lorsqu’il cherche à ordonner les fractions de classe qui coexistent dans une lutte donnée, il recourt à une démarche constructiviste sous l’effet de la possibilité/nécessité d’utiliser la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) [6]. En revanche, lorsqu’il cherche à ordonner les groupes de sexe et de race, il peut – académiquement – se contenter de sa seule “bonne vue” et il apparaît contraint par une catégorisation ex ante dans laquelle les mobilisé-e-s sont davantage homogénéisé-e-s en termes de sexe (femmes ou hommes) et de race (blancs ou non blancs). L’absence de nomenclatures pour nommer les fractions de sexe ou de race agit comme un facteur d’essentialisation parce que l’enquêteur est socialisé – et légitimé – à une cartographie à vue sommaire. Comme il est difficile hic et nunc de renoncer à notre “bonne vue” des marqueurs essentialisés des positions de sexe et de race, nous tentons de contrôler nos classements ex ante par la prise en compte des modes de catégorisation qui structurent la mobilisation observée – dans les interactions directes par exemple – et qui font sens pour les acteurs [7].
La division catégorielle subjectivée oriente alors de manière privilégiée notre travail sociographique : il s’agit de croiser les catégories du terrain (issues de notre immersion) avec les “catégories savantes” (issues de notre “bonne vue” et de notre socialisation à la sociologie des rapports sociaux). À l’arrivée, notre travail théorique est ordonné par le souci d’interpréter la division catégorielle subjectivée en termes de consubstantialité des rapports sociaux (sexe, classe, race).
Après avoir présenté la mobilisation qui a ici servi de support, nous expliciterons la sélection des catégories qui nous sont apparues pertinentes sur le terrain avant de définir la notion de travail militant présentiel.
Les données recueillies sont issues d’observations dans un Collectif de soutien aux personnes sans-papiers au sein duquel l’enquêteur était au préalable militant de la cause (il a fait partie des initiateurs). La naissance de ce Collectif – dans une ville de 250 000 habitant-e-s – faisait suite à l’asphyxie ressentie par une permanence juridique à laquelle l’enquêteur participe depuis 1998. En effet, une politique migratoire restrictive combinée au redéploiement national des demandeurs d’asile a favorisé une “massification” des sans-papiers au niveau local [8]. La création de ce « collectif d’individus » faisait suite à l’échec de réseaux locaux d’organisations visant la lutte politique sur le terrain de l’immigration. C’est pourquoi un réseau d’interconnaissances composé de féministes et de libertaires crée le Collectif fin 2001 et ce dernier se “massifie”, en avril 2002, sous le double effet simultané d’un sans-papiers placé en rétention et des mobilisations étudiantes de l’entre-deux tours des élections présidentielles.
Le Collectif est structuré autour de la revendication de la « régularisation de toutes les personnes sans-papiers » et d’un répertoire d’actions privilégiant l’occupation (avec évacuation policière) des institutions qui participent à la politique migratoire. Le registre du “cas individuel”, sur un mode réactif, est articulé à la revendication « des papiers pour tous » au moment d’orienter les thèmes de mobilisation (accueil discriminatoire en préfecture, mal logement, arrestations, rétention…). Au niveau local, le Collectif est réputé pour son mode de fonctionnement rétif aux formes organisationnelles traditionnelles auxquelles il oppose la fréquence et la centralité de l’assemblée générale (AG) décisionnelle et souveraine.
La permanence juridique (pour les sans-papiers) et les actions (pour les soutiens) constituent les principales portes d’entrée dans le Collectif. Le répertoire d’actions – voire d’activisme compte tenu d’apparitions parfois quotidiennes – suppose la tenue d’une AG hebdomadaire dont le fonctionnement est fondé sur la doxa de la non personnalisation du Collectif et de la non spécialisation des tâches, sur l’absence d’ordre du jour formel et de statuts formalisés (pas de bureau ni de fonctions attitrées), sur la prise de décisions au consensus (pas de vote), sur la transparence des débats et conflits (via une liste de diffusion publique par Internet), etc.
Enfin, le Collectif affiche son adhésion au principe de la « lutte autonome » des sans-papiers. Son histoire est ainsi marquée par une double dynamique structurante : d’une part, la participation des sans-papiers au Collectif est encouragée (sans être contrainte) ; d’autre part, dès qu’un groupe de sans-papiers stabilise sa participation, il est matériellement soutenu dans toute velléité “non mixte”. Jusqu’en 2010, le Collectif a connu de courtes périodes durant lesquelles la part des sans-papiers atteignait 30 % dans les AG, tandis que des tentatives précaires de lutte “non mixte” ont concerné des algériens, des angolais…
Nous délaisserons ici la division du travail militant qui, jusqu’à fin 2010, a structuré la mobilisation en séparant et hiérarchisant le mode de participation des « soutiens » et celui des « sans-papiers » (Dunezat, 2011). En simplifiant, les soutiens, malgré leurs divisions catégorielles, s’homogénéisaient dans un mode de participation active, stable, dominante ; tandis que les sans-papiers partageaient un mode de participation passive, précaire, dominée débouchant sur un turnover rythmé par l’issue de la situation individuelle. Les générations de soutiens se succédaient par vagues annuelles – selon leur « disponibilité biographique » (McAdam, 2012) – tandis que les générations de sans-papiers se succédaient par vagues mensuelles selon une disponibilité forcée par les politiques migratoires.
Jusqu’en 2010, notre travail sociographique était orienté par un mode de comptage qui privilégiait les soutiens. En effet, en l’absence de système formalisé d’adhésion (carte, cotisation), nous considérions qu’une personne était membre du Collectif si elle participait durablement aux AG. Le fort turnover des sans-papiers induisait une focalisation sur les soutiens. Nous avons ainsi un décompte de la répartition par sexe de ces derniers de même que de leurs “fractions de classe” [10] grâce à un degré d’interconnaissance élevé. Ce mode de sélection catégorielle découlait à la fois de la composition du groupe initiateur du Collectif (en partie féministe, ce qui donnait un sens politique au décompte par sexe car cette division catégorielle était subjectivée) et de notre socialisation à l’approche consubstantielle sexe/classe. Les femmes représentaient alors entre 60 % et 80 % des membres du Collectif qui recrutait parmi les enseignant-e-s, les étudiant-e-s, les précaires au “chômage choisi” [11], les retraité-e-s (des métiers de la fonction publique).
À partir de 2011, notre travail sociographique – présenté infra – est modifié car le Collectif connaît une mutation importante. En effet, une nouvelle génération de sans-papiers qui participent aux AG, pour la plupart congolais (République démocratique du Congo), est incitée à mettre en place un espace-temps autonome. Cette incitation prend la forme, fin 2011, d’une occupation d’églises dans laquelle le Collectif joue le rôle d’initiateur mais cède symboliquement la maîtrise de l’occupation à un Conseil des migrants. En quelques semaines, ce Conseil acquiert une visibilité sans précédent dans l’histoire locale des luttes autonomes de sans-papiers. Il met en place une réunion hebdomadaire et diverses aides matérielles. Surtout, il investit tous les lieux militants de l’entre soi des « blancs » (Charasse, 2013).
Or, cette dynamique autonome a un double effet sur le Collectif. D’une part, le Conseil des migrants incite ses membres à participer davantage aux AG, si bien qu’un mode de participation plus stable apparaît au sein des sans-papiers. D’autre part, le président du Conseil déstabilise le Collectif en critiquant le terme de « sans-papiers » avec un double argument : la terminologie est humiliante car les migrants ont des papiers dans leur pays d’origine ; les migrants qui ne sont pas ou plus sans-papiers ne peuvent se reconnaître dans cette terminologie. Les soutiens du Collectif vont faire bloc face à cette déstabilisation en arguant du caractère politique, ritualisé, englobant de la notion de sans-papiers [12] mais, s’ils préservent le nom du Collectif, ils cèdent à une nouvelle forme de socialisation sémantique : le terme de « migrants » va remplacer celui de « sans-papiers » dans les interactions en AG, y compris chez les soutiens. Et cette division catégorielle (migrants/soutiens) va apparaître plus subjectivée que la précédente du côté des sans-papiers et accompagnée d’un mode de participation plus active en AG (Charasse, 2013).
Le repérage de cette dynamique va nous conduire à entamer un comptage systématique des participant-e-s aux AG en distinguant soutiens et migrants. Mais cette réorientation de notre mode d’immersion va se doubler d’un mode de comptage rigoureux de la répartition par sexe dans chaque AG car une prénotion s’installe : la participation accrue des migrants tend à faire diminuer la part des femmes dans le Collectif. De même, la mutation sociographique du Collectif a déstabilisé notre comptage de classe. En effet, en décalage avec la prénotion selon laquelle « les immigrés sont surtout victimes des mêmes difficultés que les catégories populaires » (Maurin, 2011 : 62), nous avions déjà montré (Dunezat, 2011) que la précarité des sans-papiers – en tant qu’expérience de classe – était aussi une expérience racisée [13] et que la mobilisation la redoublait sous l’effet de la division du travail militant qui précarisait aussi la participation des sans-papiers au Collectif.
Or, depuis 2011, la participation durable de migrants au Collectif a invalidé en partie l’analyse. La sociographie de classe devait être étendue au-delà du groupe des soutiens mais deux problèmes nous ont réfréné. D’une part, la division du travail militant est productrice d’une telle hiérarchie de race que le degré d’interconnaissance de l’enquêteur soutien avec les migrants reste faible tandis que la sociabilité militante reste réservée aux soutiens : les informations ne peuvent être recueillies hors de l’entretien ou du questionnaire. D’autre part, la production institutionnelle des “fractions de classe” chez les migrants est structurée par des logiques de race et de sexe qui déstabilisent le recours à la nomenclature des PCS au moment d’ordonner les positions de classe qui coexistent, depuis 2011, dans le Collectif. Nous délaissons donc infra la sociographie de classe dans notre mise à l’épreuve du cadre intersectionnel.
L’observation participante permet le repérage du travail militant et de son organisation. Parmi la multitude de tâches que suppose et suscite une mobilisation, il en est une qui constitue une condition de survie – le travail militant présentiel – et qui consiste à être présent-e dans le moment militant. Or, la dynamique de ce travail et sa division sont rarement explicitées alors qu’elles contribuent à révéler la reconfiguration des rapports de pouvoir (domination versus résistance) qui structurent une mobilisation.
Pour le Collectif, le travail présentiel constitue aussi un morceau de travail militant décisif mais sur un mode encore plus consubstantiel compte tenu de la doxa de la centralité de l’AG et sachant que les formes de « rétributions du militantisme » [14] (Gaxie, 2005) sont déconnectées de toute présence obligatoire. D’abord, depuis 2002, le Collectif se singularise au sein du champ militant local et ritualisé comme un groupe numériquement important : la régularité et l’importance du travail présentiel d’AG sont des éléments de distinction. Ensuite, l’activisme du Collectif dépend des cycles de “massification” car, en l’absence de porte-parole ou de bureau, le travail présentiel est au cœur de la possibilité ou non d’organiser des actions, de répondre aux sollicitations des partenaires ou des médias, de récolter les informations nécessaires afin de rédiger un tract, de répartir la somme considérable de tâches qui surgissent, etc. Enfin, la comparaison avec d’autres luttes – en tant que militant et/ou observateur – nous a permis de repérer combien le travail militant présentiel est un critère décisif au moment de distinguer les mobilisations qui reposent sur un « travail collectif » et celles qui souffrent d’un « travail séparé », démobilisateur numériquement (Dunezat, 2007). Malgré les conflits qui le traversent, le Collectif bénéficie d’une forte identification de la plupart de ses participant-e-s qui sacrifient du temps et d’autres activités pour être présent-e-s.
C’est pourquoi nous proposons infra une approche quantitative [15] du travail militant présentiel afin d’analyser la dynamique de la répartition des participant-e-s aux AG du Collectif. Concrètement, chaque mardi, le Collectif organise ses AG dans une « Maison des associations » qui l’autorise à se réunir gratuitement et sans formalités (pas d’assurance, de référent-e, d’adhésion). Vers 18 h 30, les participant-e-s à l’AG arrivent et s’assoient autour de tables disposées en grand carré. L’AG s’ouvre par une présentation (par un-e soutien) du Collectif puis les sujets vont se succéder, la plupart des AG combinant la validation de tracts (rédigés par des soutiens) et l’organisation d’actions (proposées par des soutiens) à partir des situations individuelles repérées (par des soutiens lors de la permanence juridique) ou mises en avant (par des migrants durant l’AG). Cette dernière est rythmée par les soutiens et se caractérise le plus souvent par un “temps des migrants” informel et segmenté au cours duquel ces derniers se succèdent dans la prise de parole. La domination des soutiens dans le temps de l’AG se matérialise par un départ plus précoce des migrants.
Infra, toute personne présente en AG – quelles que soient les modalités et les raisons de sa présence – a été comptée dans le travail présentiel qui peut aussi bien consister à s’asseoir dans un coin, à rester silencieux, à discuter d’autre chose avec ses voisin-e-s qu’à intervenir, à raconter sa situation, à proposer des actions ou des tracts, etc. Si nous avons privilégié ici une approche quantitative et donc négligé la division qualitative du travail militant, cette dernière doit toujours être conservée à l’esprit car il ne faut pas exagérer la portée matérielle et symbolique du travail présentiel en termes politiques. Cependant, l’analyse du simple fait d’être présent-e dans l’AG permet d’interroger l’hypothèse selon laquelle les hiérarchies militantes – et les rapports de pouvoir qui vont avec – produiraient mécaniquement du désengagement, hypothèse qui fait peu de cas de l’ambivalence du travail militant (comme de tout travail).
De septembre 2011 à janvier 2014, quatre-vingt huit AG du Collectif – sur cent treize – ont été observées et nous avons noté l’appartenance catégorielle “visible” des participant-e-s à partir du mode opératoire suivant : groupe de sexe (homme ou femme) et groupe de race (Blanc ou Noir ou Arabe ou Asiatique ou Indien [16]) notés simultanément pour chaque individu.
Compte tenu de la division catégorielle subjectivée (migrants/soutiens) mais aussi de l’association subjectivée entre personne étiquetée “non blanche” et personne « migrante », notamment dans le travail d’accueil des nouvelles recrues (Dunezat, 2011), les personnes classées blanches ont été catégorisées « soutiens » tandis que les personnes classées non blanches ont été catégorisées « migrants ». Ce mode opératoire – qui combinait la “bonne vue” de l’observateur et le mode d’étiquetage in situ en fonction de la “couleur de peau” perçue mais euphémisée sous le terme « migrants » ou « soutiens » – a engendré peu de corrections, sauf pour les Européens de l’Est étiquetés Blancs et donc soutiens par l’observateur et pour quelques rares personnes étiquetées Noires et donc migrantes par l’observateur.
Pour les vingt-neuf mois d’observations, cinq périodes ont été distinguées selon la ritualisation qui structure le temps militant du Collectif : de janvier à juillet (le mois d’août induit une quasi-disparition des AG) et de septembre à décembre (à janvier pour la dernière période) car le moment de Noël conduit à une désertion des AG.
La moyenne des participant-e-s aux AG est de vingt-quatre personnes mais la taille des AG a été variable : vingt-et-une AG (24 %) ont rassemblé entre treize et dix-neuf personnes ; cinquante-trois AG (60 %) entre vingt et vingt-neuf personnes ; quatorze AG (16 %) au moins trente personnes. Une présentation des résultats par AG et par période est en annexe.
Selon le concept d’intersectionnalité politique de Crenshaw, un mouvement social pourra être considéré comme « intersectionnel » s’il ne marginalise pas la participation de certaines fractions de dominé-e-s, de certaines catégories de migrants et de femmes dans le contexte étudié. Cependant, ce concept peut être élargi aux situations d’hégémonie indissociables des situations de marginalisation [17]. C’est pourquoi, infra, nous avons distingué quatre situations dans le travail militant présentiel : la marginalisation absolue (absence d’une catégorie) ; la marginalisation relative (présence minoritaire) ; l’hégémonie relative (présence égale ou majoritaire) ; l’hégémonie absolue (une catégorie est la seule représentée).
Afin d’illustrer combien le cadre intersectionnel modifie le travail sociographique, nous avons choisi d’analyser les résultats par “groupe de race” puis par “groupe de sexe” avant de focaliser l’attention sur les “positions intersectionnelles”.
À la suite de la création du Conseil des migrants en 2011, le Collectif se caractérise par une plus grande mixité de race. En effet, la part des migrants atteint en moyenne 34 % et cette moyenne varie peu (tableau 1). Les AG ne sont plus marquées par une marginalisation absolue des migrants.
Tableau 1. Répartition des groupes de race selon la période (en %)
Période 1 | Période 2 | Période 3 | Période 4 | Période 5 | Ensemble (88 AG) | |
Migrants | 40 | 33 | 31 | 34 | 35 | 34 |
Soutiens | 60 | 67 | 69 | 66 | 65 | 66 |
Lecture : Durant la période 1, la part moyenne des migrants dans les AG s’élevait à 40 %.
Mais comment doit être interprétée cette mixité conquise ? Certes, les migrants – les étrangers sans-papiers ici – sont surreprésentés puisque, selon l’Insee, la part des immigrés dans la population totale avoisine les 8 % tandis que la part des étrangers ne dépasse pas 6 % (moins d’1 % pour les seuls sans-papiers). Mais, si l’on se base sur la doxa du Collectif, le travail présentiel en AG reste marqué par une hégémonie des soutiens susceptible de contrarier l’impératif politique de la direction de la lutte par les sans-papiers.
La variabilité diachronique de la part des migrants – entre 10 % et 64 % selon les AG – nous a incité à mesurer la part des AG dans lesquelles les migrants bénéficiaient d’une situation d’hégémonie relative [18] (tableau 2) : seules 9 % des AG sont marquées par une équi-répartition (50 % migrants / 50 % soutiens) ou par une présence majoritaire des migrants (supérieure à 50 %). Les soutiens ont bénéficié d’une situation hégémonique dans 94 % des AG et cette dynamique est stable (tableau 3). Ils sont donc en position numérique de diriger la lutte.
Tableau 2. Représentation des groupes de race lors des AG (en %)
Marginalisation absolue (absence) | Marginalisation relative forte (10-19 %) | Marginalisation relative faible (20-49 %)) | Hégémonie relative (50-90 %) | |
Migrants | 0 | 7 | 84 | 9 |
Soutiens | 0 | 0 | 6 | 94 |
Lecture : Dans 7 % du total des AG, la part des migrants était comprise entre 10 % et 19 %.
Tableau 3. Groupe de race hégémonique selon la période (en %)
Période 1 | Période 2 | Période 3 | Période 4 | Période 5 | Ensemble (88 AG) | |
Migrants | 12 | 9 | 0 | 8 | 6 | 7 |
Soutiens | 88 | 91 | 100 | 92 | 94 | 93 |
Lecture : Dans 12 % des AG de la période 1, les migrants représentaient un groupe hégémonique.
Le détour par les “fractions de race” renforce le sentiment que la marginalisation des migrants – en tant qu’acteur politique de la lutte des sans-papiers – continue de structurer le Collectif. En effet, si l’on s’intéresse à la nationalité [19] des migrants, ce sont les sans-papiers angolais et congolais – via les effets de la naissance du Conseil des migrants – qui ont conquis leur place dans le Collectif mais pas toutes les catégories de sans-papiers (tableau 4). Autrement dit, l’hégémonie relative des soutiens se transforme en hégémonie absolue pour la plupart des catégories de sans-papiers d’une nationalité hors Afrique subsaharienne, compte tenu de la diversité réelle – en tant que production institutionnelle – des sans-papiers dans la ville considérée.
Tableau 4. Fractions de race selon la nationalité chez les migrants (toutes AG confondues)
Migrants | Afrique subsaharienne | Maghreb | Asie | Russie / Europe de l’Est | Amérique latine | Total |
---|---|---|---|---|---|---|
Nombre | 689 | 30 | 11 | 8 | 1 | 739 |
Part | 93 % | 4,5 % | 1,3 % | 1 % | 0,2 % | 100 % |
De plus, si l’on s’intéresse aux “fractions de race” chez les soutiens – en fonction de la couleur imputée sur la base de la distinction Blancs/non Blancs ou en fonction de l’origine imputable sur la base de la distinction Français immigrés/Français non immigrés – on relève une hégémonie absolue des Blancs et des Français non immigrés dans près de 100 % des AG.
Ce mode d’analyse confère une ambivalence aux dynamiques mixtes qui structurent le Collectif depuis 2011 : le renforcement de la place des migrants – donc des sans-papiers – n’empêche pas l’hégémonie numérique des soutiens tandis que ces derniers restent en position d’hégémonie absolue par rapport aux sans-papiers qui ne sont pas originaires d’Afrique subsaharienne. Enfin, l’hégémonie relative des soutiens peut aussi être pensée comme une hégémonie des Blancs. L’indéniable mixité de race croissante déplace les contours des dynamiques racistes davantage qu’elle ne les amenuise.
Jusqu’en 2011, le Collectif était structuré par une hégémonie numérique forte des femmes. Cette situation est remise en cause à partir de l’arrivée des migrants. En effet, la part des femmes devient minoritaire et se stabilise autour de 48 % (tableau 5) : leur hégémonie relative forte se transforme en marginalisation relative faible.
Tableau 5. Répartition des groupes de sexe selon la période (en %)
Période 1 | Période 2 | Période 3 | Période 4 | Période 5 | Ensemble (88 AG) | |
Femmes | 45 | 49 | 44 | 49 | 48 | 48 |
Hommes | 55 | 51 | 56 | 51 | 52 | 52 |
La variabilité diachronique de la part des femmes – entre 23 % et 64 % selon les AG – nous a incité à mesurer la part des AG dans lesquelles les femmes bénéficiaient d’une situation d’hégémonie relative. Elles sont moins marginalisées que les migrants puisque, dans 45 % des AG, on a une situation d’équi-répartition ou de présence majoritaire féminine (tableau 6). De plus, la période joue (tableau 7) puisque la part des AG dans lesquelles les femmes bénéficient d’une hégémonie numérique alterne entre 12 % (période 1) et 64 % (période 2). Les lignes de tension se déplacent même si, globalement, les hommes apparaissent en position de force numérique.
Tableau 6. Représentation des groupes de sexe lors des AG (en %)
Marginalisation absolue (absence) | Marginalisation relative forte (1-19 %) | Marginalisation relative faible (20-49 %) | Hégémonie relative (50-77 %) | |
Femmes | 0 | 0 | 55 | 45 |
Hommes | 0 | 0 | 32 | 68 |
Lecture : Dans 55 % du total des AG, la part des femmes était comprise entre 20 % et 49 %.
Tableau 7. Groupe de sexe hégémonique selon la période (en %)
Période 1 | Période 2 | Période 3 | Période 4 | Période 5 | Ensemble (88 AG) | |
Femmes | 12 | 64 | 18 | 44 | 35 | 39 |
Hommes | 88 | 36 | 82 | 56 | 65 | 61 |
Lecture : Dans 12 % des AG de la période 1, les femmes représentaient un groupe hégémonique.
Comment interpréter cette évolution de la mixité de sexe ? Certes, le Collectif continue de remettre en cause les prénotions selon lesquelles les femmes sont marginalisées (numériquement) dans l’action collective. Cependant, si l’on se souvient des orientations féministes du groupe initiateur du Collectif, la mobilisation est marquée par une masculinisation inquiétante : non seulement la part des femmes a diminué mais, en plus, les hommes ont conquis une hégémonie numérique susceptible de renforcer la domination masculine dans la lutte. Selon le critère quantitatif d’une lutte féministe – la féminisation ou, du moins, la non masculinisation – le Collectif aurait perdu en potentiel émancipateur.
On ne peut s’empêcher d’émettre une hypothèse : et si la mixité de race croissante avait favorisé cette masculinisation ? L’analyse sociographique confirme cette hypothèse. En effet, la hausse de la part des migrants a pris la forme d’une hausse de la part d’un groupe masculinisé puisque chez les migrants, dans 91 % des AG, les hommes bénéficiaient d’une hégémonie au moins relative et, dans 10 % des AG, d’une hégémonie absolue (tableau 8). De plus, cette hégémonie masculine chez les migrants tend à se renforcer [20] (tableau 9).
Tableau 8. Représentation des migrants lors des AG selon les groupes de sexe (en %)
Marginalisation absolue (absence) | Marginalisation relative forte (8-19 %) | Marginalisation relative faible (20-49 %) | Hégémonie relative (50-100 %) | |
Femmes migrantes | 10 | 19 | 58 | 13 |
Hommes migrants | 0 | 0 | 9 | 91 |
Lecture : Dans 10 % du total des AG, la part des femmes chez les migrants était de 0 %.
Tableau 9. Groupe de sexe hégémonique chez les migrants selon la période (en %)
Période 1 | Période 2 | Période 3 | Période 4 | Période 5 | Ensemble (88 AG) | |
Femmes | 13 | 33 | 0 | 0 | 6 | 11 |
Hommes | 87 | 67 | 100 | 100 | 94 | 89 |
Lecture : Dans 13 % des AG de la période 1, les femmes représentaient un groupe hégémonique chez les migrants.
L’hypothèse d’une masculinisation du Collectif provoquée par sa croissante mixité de race est confirmée – et relativisée – si l’on s’intéresse à l’évolution de la part des femmes chez les soutiens [21]. Dans 82 % des AG, les femmes sont alors en situation d’hégémonie relative (contre 26 % pour les hommes, tableau 10) tandis que la part des AG dans lesquelles les femmes sont hégémoniques au sein des soutiens (tableau 11) augmente de manière continue passant de 54 % (période 1) à 91 % (période 5).
Tableau 10. Représentation des soutiens lors des AG selon les groupes de sexe (en %)
Marginalisation absolue (absence) | Marginalisation relative forte (1-19 %) | Marginalisation relative faible (20-49 %) | Hégémonie relative (50-75 %) | |
Femmes soutiens | 0 | 0 | 18 | 82 |
Hommes soutiens | 0 | 0 | 74 | 26 |
Lecture : Dans 18 % du total des AG, la part des femmes chez les soutiens était comprise entre 20 % et 49 %.
Tableau 11. Groupe de sexe hégémonique chez les soutiens selon la période (en %)
Période 1 | Période 2 | Période 3 | Période 4 | Période 5 | Ensemble (88 AG) | |
Femmes | 54 | 69 | 75 | 90 | 91 | 78 |
Hommes | 46 | 31 | 25 | 10 | 9 | 22 |
Lecture : Dans 54 % des AG de la période 1, les femmes représentaient un groupe hégémonique chez les soutiens.
La mixité de sexe du Collectif connaît donc une évolution moins marquée qu’il n’y paraît. Certes, la hausse de la part des migrants dans les AG a favorisé – compte tenu de l’hégémonie masculine chez les migrants – une masculinisation si bien que les hommes ont conquis une hégémonie dont ils ne disposaient pas avant 2011. Cependant, en même temps, les femmes ont renforcé leur position hégémonique au sein des soutiens, autrement dit au sein du groupe hégémonique le plus subjectivé du Collectif…
Le cadre intersectionnel est plus heuristique pour lire les dynamiques de race et de sexe qui structurent la sociographie du Collectif. Ce ne sont pas deux groupes de race (soutiens et migrants) ou de sexe (femmes et hommes) qui coexistent dans le Collectif mais quatre groupes de sexe et race : femmes migrantes, hommes migrants, femmes soutiens, hommes soutiens. Et c’est la répartition de ces quatre groupes qui constitue le niveau de lecture le plus pertinent pour analyser la dynamique de l’intersectionnalité politique dans le travail militant présentiel.
Comme le montre le tableau 12, la mixité de race croissante du Collectif depuis 2011 est relativisée par la dynamique sexuée tandis que la conquête masculine de l’hégémonie numérique est relativisée par la dynamique racisée. Ce sont les hommes migrants qui sont au cœur de la progression de la part des migrants mais pas les femmes migrantes : si la part des premiers s’est stabilisée pour représenter depuis 2011 un quart des participant-e-s aux AG, la part des secondes a diminué, passant de 14 % (période 1) à 6 % (période 5). Les hommes migrants ont réussi à atténuer durablement leur marginalisation numérique mais les femmes migrantes n’ont pas connu le même processus émancipateur, si bien que l’hégémonie des soutiens s’est renforcée pour ces dernières. À l’inverse, si la part des hommes soutiens est restée stable – soit un quart des participant-e-s aux AG – la part des femmes soutiens a augmenté, passant de moins d’un tiers à près de 40 %.
Tableau 12. Représentation des groupes de sexe et race selon la période (en %)
Période 1 | Période 2 | Période 3 | Période 4 | Période 5 | Ensemble (88 AG) | |
Femmes migrantes | 14 | 13 | 6 | 9 | 6 | 10 |
Hommes migrants | 26 | 20 | 25 | 24 | 25 | 24 |
Femmes soutiens | 31 | 36 | 38 | 41 | 38 | 38 |
Hommes soutiens | 29 | 31 | 31 | 26 | 31 | 28 |
Quel est alors le groupe hégémonique dans le travail présentiel en AG ? Si l’on redéfinit (arbitrairement) les critères quantitatifs de la marginalisation et de l’hégémonie afin de tenir compte de la comparaison de quatre groupes et non plus de deux (tableau 13), on constate que les femmes soutiens disposent d’une position hégémonique dans 82 % des AG – et même d’une position majoritaire à elles seules dans 9 % des AG – et qu’elles n’ont été marginalisées que dans 18 % des AG : elles sont le groupe le plus hégémonique dans le travail présentiel. Elles sont suivies des hommes soutiens mais leur hégémonie relative n’a concerné que 42 % des AG et ils n’ont jamais eu l’occasion d’être à eux seuls majoritaires. Les hommes migrants arrivent ensuite et, s’ils sont marginalisés dans 80 % des AG, ils ont eu l’occasion de se sentir en position hégémonique relative dans 20 % des AG (et en position majoritaire dans une AG). Enfin, dans 99 % des AG, le taux de participation des femmes migrantes ne dépasse pas 29 % et elles sont les seules à avoir fait l’expérience de la marginalisation absolue.
Tableau 13. Représentation des groupes de sexe et race lors des AG (en %)
Marginalisation absolue (absence) | Marginalisation relative forte (4-15 %) | Marginalisation relative faible (16-29 %) | Hégémonie relative faible (30-49 %) | Hégémonie relative forte (50-75 %) | |
Femmes migrantes | 10 | 72 | 17 | 1 | 0 |
Hommes migrants | 0 | 17 | 63 | 19 | 1 |
Femmes soutiens | 0 | 2 | 16 | 73 | 9 |
Hommes soutiens | 0 | 3 | 55 | 42 | 0 |
Lecture : Dans 72 % du total des AG, la part des femmes migrantes était comprise entre 4 % et 15 %.
La prise en compte des périodes tend à renforcer ce que laisse transparaître la situation générale. En effet (tableau 14), la part des AG dans lesquelles le groupe est hégémonique (majorité simple ou absolue) évolue de manière contradictoire pour les quatre groupes de sexe et race. Les femmes migrantes n’ont presque jamais eu l’occasion de constituer le groupe majoritaire. Si les hommes soutiens et les hommes migrants ont été en position hégémonique dans le même pourcentage d’AG (soit 15 %), les premiers et – dans une moindre mesure – les seconds perdent du terrain : les hommes soutiens étaient hégémoniques dans 42 % des AG dans la période 1 et cette part a diminué pour atteindre 6 % ; pour les hommes migrants, cette part est passée de 25 % à 12 %. Ce sont logiquement les femmes soutiens qui renforcent leur position hégémonique : majoritaires dans 70 % des AG en moyenne, leur position hégémonique ne concernait qu’un tiers des AG dans la période 1 mais elle concerne plus de 80 % des AG depuis la période 4.
Tableau 14. Groupe de sexe et race hégémonique selon les périodes (en %)
Période 1 | Période 2 | Période 3 | Période 4 | Période 5 | Ensemble (88 AG) | |
Femmes migrantes | 0 | 2 | 0 | 0 | 0 | 0,5 |
Hommes migrants | 25 | 10 | 14 | 15 | 12 | 14,5 |
Femmes soutiens | 33 | 67 | 68 | 83 | 82 | 70 |
Hommes soutiens | 42 | 21 | 18 | 2 | 6 | 15 |
Lecture : Dans 2 % des AG de la période 2, les femmes migrantes représentaient un groupe hégémonique.
Même s’il n’est pas possible de déduire mécaniquement les décisions politiques de l’AG des répartitions intersectionnelles qui la composent, le travail militant présentiel constitue un indicateur important de la participation (subjectivée) et du recrutement (objectivable) pour toute mobilisation. Dans le Collectif étudié, compte tenu de son fonctionnement rétif aux formes traditionnelles du militantisme, ce travail présentiel en AG est consubstantiel à sa survie et à son activisme. Or, la dynamique de l’intersectionnalité politique dans le travail présentiel n’a pas été favorable et émancipatrice pour toutes les catégories dites intersectionnelles. Le Collectif est marqué par la conquête d’une position numérique moins marginalisée des migrants mais les femmes migrantes sont exclues de cette mixité de race croissante : la domination masculine s’imbrique à la dynamique de race pour en relativiser le potentiel émancipateur. L’hégémonie quasi absolue des soutiens reste une expérience structurante pour les femmes migrantes et la reconfiguration du clivage le plus subjectivé dans le Collectif – soutiens/migrants – a davantage bénéficié aux hommes migrants.
À l’inverse, la conquête d’une position numérique hégémonique par les hommes, au détriment des prolégomènes féministes du Collectif, doit être relativisée au prisme des dynamiques de race et de sexe. Si l’arrivée des hommes migrants a favorisé une masculinisation de la lutte, elle n’a pas empêché un processus simultané de féminisation des soutiens et de renforcement de la position hégémonique des femmes soutiens. Cette fraction de sexe et race n’a pas été détrônée par la mixité de race croissante dans une mobilisation structurée par la domination des soutiens.
Au total, les lignes de tension ont bougé dans ce nœud que constitue le Collectif et l’intersectionnalité politique dans le travail militant présentiel nous semble avoir évolué vers un plus grand potentiel émancipateur. D’une part, le principe de la direction de la lutte par les sans-papiers se matérialise par une plus grande participation des migrants (hommes) même si le Collectif reste structuré par des pratiques peu accessibles aux femmes migrantes. D’autre part, la genèse féministe du Collectif continue d’être matérialisée par une forte participation des femmes (soutiens) même si les alliances féministes font défaut au moment de permettre aux différences de « s’exprimer dans la construction de la politique du groupe » (Crenshaw, 2005 : 81).
Battagliola Françoise et al. (1990), À propos des rapports sociaux de sexe. Parcours épistémologiques [1986], Paris, Centre de Sociologie Urbaine.
Bilge Sirma (entretien) (2012), « Repolitiser l’intersectionnalité ! », IRESMO, [en ligne] http://iresmo.jimdo.com/2012/12/03 (Consulté le 25 janvier 2014).
Bilge Sirma (2010), « De l’analogie à l’articulation : théoriser la différenciation sociale et l’inégalité complexe », L’Homme et la société, 176/177, 2, pp. 43-64.
Bilge Sirma (2009), « Théorisations féministes de l’intersectionnalité », Diogène, 225, 1, pp. 70-88.
Charasse Renaud (2013), « Domination et résistance dans l’action collective en faveur des sans-papiers : une dynamique des rapports sociaux de race », Raison présente, 186, pp. 15-26.
Collins Patricia Hill (2000), Black Feminist Thought : Knowledge, Consciousness, and the Politics of Empowerment [1990], New York, Routledge.
Crenshaw Kimberlé Williams (2005), « Cartographie des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur », Cahiers du Genre, 39, 2, pp. 51-82.
Dorlin Elsa (2012), « L’Atlantique féministe. L’intersectionnalité en débat. », Papeles del CEIC, 83, 2, [en ligne] http://www.identidadcolectiva.es/pdf/83.pdf (Consulté le 10 janvier 2014).
Dunezat Xavier (2011), « Une figure racisée de la précarité : les sans-papiers », Raison présente, 178, pp. 83-94.
Dunezat Xavier (2007), « La fabrication d’un mouvement social sexué : pratiques et discours de lutte », Sociétés & Représentations, 24, pp. 269-283.
Galerand Elsa et Kergoat Danièle (2015), « Consubstantialité vs intersectionnalité ? À propos de l’imbrication des rapports sociaux », Nouvelles pratiques sociales, 26, 2, pp. 44-61.
Gaxie Daniel (2005), « Rétributions du militantisme et paradoxes de l’action collective », Revue suisse de science politique, 11, 1, pp. 157-188.
Guillaumin Colette (1992), Sexe, Race et Pratique du pouvoir. L’idée de Nature, Paris, Côté-femmes éditions.
Kergoat Danièle (2012), Se battre, disent-elles…, Paris, La Dispute.
Jaunait Alexandre et Chauvin Sébastien (2012), « Représenter l’intersection. Les théories de l’intersectionnalité à l’épreuve des sciences sociales », Revue française de science politique, 1, 62, pp. 5-20.
Juteau Danielle (2010), « “Nous” les femmes : sur l’indissociable homogénéité et hétérogénéité de la catégorie », L’Homme et la société, 176/177, 2, pp. 65-81.
Maurin Louis (2011), « Les immigrés dans la ligne de mire », Alternatives économiques, Hors-série, 90, pp. 62-63.
Mauss Marcel (2002), Manuel d’ethnographie [1947], Paris, Payot.
McAdam Doug (2012), Freedom Summer. Luttes pour les droits civiques, Mississippi 1964 [1988], Marseille, Agone.
Poiret Christian (2005), « Articuler les rapports de sexe, de classe et interethniques. Quelques enseignements du débat nord-américain », Revue européenne des migrations internationales, 1, 21, pp. 195-226.
West Candace et Fenstermaker Sarah (1995), « Doing Difference », Gender & Society, 1, 9, pp. 8-37.
N°AG | Effectif | Part en % | ||||||
Hommes migrants | Femmes migrantes | Hommes soutiens | Femmes soutiens | |||||
Période 1 : septembre à décembre 2011 | ||||||||
1 | 22 | 45 | 5 | 23 | 27 | |||
2 | 19 | 21 | 5 | 42 | 32 | |||
3 | 25 | 24 | 28 | 12 | 36 | |||
4 | 27 | 26 | 19 | 26 | 29 | |||
5 | 25 | 28 | 12 | 24 | 36 | |||
6 | 24 | 21 | 17 | 29 | 33 | |||
7 | 20 | 25 | 15 | 35 | 25 | |||
8 | 30 | 27 | 13 | 33 | 27 | |||
9 | 24 | 17 | 12 | 37 | 34 | |||
10 | 33 | 33 | 15 | 21 | 30 | |||
11 | 23 | 13 | 13 | 29 | 35 | |||
12 | 14 | 36 | 7 | 28,5 | 28,5 | |||
Période 2 : janvier à juillet 2012 | ||||||||
13 | 25 | 24 | 12 | 24 | 40 | |||
14 | 32 | 35 | 6 | 31 | 28 | |||
15 | 21 | 10 | 5 | 38 | 47 | |||
16 | 29 | 24 | 14 | 34 | 28 | |||
17 | 24 | 17 | 8 | 33 | 42 | |||
18 | 19 | 21 | 11 | 31 | 37 | |||
19 | 21 | 10 | 0 | 33 | 57 | |||
20 | 22 | 14 | 9 | 32 | 45 | |||
21 | 27 | 19 | 0 | 26 | 55 | |||
22 | 23 | 17 | 17 | 31 | 35 | |||
23 | 22 | 18 | 18 | 27 | 37 | |||
24 | 29 | 14 | 17 | 31 | 38 | |||
25 | 15 | 20 | 0 | 40 | 40 | |||
26 | 21 | 14 | 24 | 29 | 33 | |||
27 | 29 | 14 | 17 | 34,5 | 34,5 | |||
28 | 27 | 19 | 22 | 29,5 | 29,5 | |||
29 | 26 | 23 | 31 | 15 | 31 | |||
30 | 17 | 6 | 18 | 41 | 35 | |||
31 | 19 | 26 | 5 | 32 | 37 | |||
32 | 22 | 27 | 18 | 32 | 23 | |||
33 | 13 | 54 | 8 | 23 | 15 | |||
Période 3 : septembre à décembre 2012 | ||||||||
34 | 19 | 32 | 5 | 21 | 42 | |||
35 | 18 | 17 | 6 | 33 | 44 | |||
36 | 28 | 36 | 3 | 32 | 29 | |||
37 | 21 | 33 | 0 | 29 | 38 | |||
38 | 21 | 24 | 0 | 38 | 38 | |||
39 | 25 | 28 | 8 | 24 | 40 | |||
40 | 27 | 26 | 7 | 37 | 30 | |||
41 | 19 | 21 | 0 | 32 | 47 | |||
42 | 20 | 15 | 10 | 45 | 30 | |||
43 | 30 | 37 | 7 | 26 | 30 | |||
44 | 22 | 18 | 5 | 36 | 41 | |||
45 | 26 | 23 | 12 | 23 | 42 | |||
46 | 34 | 21 | 6 | 29 | 44 | |||
47 | 30 | 27 | 10 | 23 | 40 | |||
Période 4 : janvier à juillet 2013 | ||||||||
48 | 33 | 18 | 6 | 24 | 52 | |||
49 | 26 | 38 | 12 | 15 | 35 | |||
50 | 21 | 24 | 10 | 28 | 38 | |||
51 | 28 | 25 | 14 | 25 | 36 | |||
52 | 26 | 19 | 12 | 23 | 46 | |||
53 | 24 | 25 | 12 | 17 | 46 | |||
54 | 31 | 26 | 13 | 19 | 42 | |||
55 | 33 | 27 | 9 | 24 | 39 | |||
56 | 19 | 26 | 0 | 37 | 37 | |||
57 | 23 | 26 | 9 | 26 | 39 | |||
58 | 18 | 17 | 11 | 22 | 50 | |||
59 | 19 | 21 | 5 | 32 | 42 | |||
60 | 24 | 29 | 4 | 25 | 42 | |||
61 | 20 | 15 | 10 | 30 | 45 | |||
62 | 16 | 25 | 6 | 25 | 44 | |||
63 | 16 | 12 | 6 | 38 | 44 | |||
64 | 18 | 11 | 0 | 33 | 56 | |||
65 | 21 | 24 | 10 | 28 | 38 | |||
66 | 24 | 33 | 9 | 25 | 33 | |||
67 | 26 | 27 | 15 | 27 | 31 | |||
68 | 17 | 29 | 6 | 18 | 47 | |||
69 | 17 | 12 | 6 | 29 | 53 | |||
70 | 22 | 41 | 23 | 23 | 13 | |||
71 | 14 | 43 | 7 | 29 | 21 | |||
Période 5 : septembre 2013 à janvier 2014 | ||||||||
72 | 18 | 28 | 5 | 17 | 50 | |||
73 | 25 | 24 | 0 | 36 | 40 | |||
74 | 19 | 37 | 5 | 21 | 37 | |||
75 | 29 | 27,5 | 14 | 27,5 | 31 | |||
76 | 26 | 19 | 12 | 23 | 46 | |||
77 | 31 | 29 | 16 | 23 | 32 | |||
78 | 38 | 34 | 13 | 16 | 37 | |||
79 | 29 | 34 | 7 | 21 | 38 | |||
80 | 29 | 14 | 10 | 24 | 52 | |||
81 | 27 | 22 | 7 | 26 | 45 | |||
82 | 28 | 18 | 11 | 35,5 | 35,5 | |||
83 | 25 | 12 | 20 | 32 | 36 | |||
84 | 24 | 17 | 4 | 33 | 46 | |||
85 | 30 | 30 | 7 | 28 | 37 | |||
86 | 33 | 21 | 3 | 36 | 40 | |||
87 | 26 | 38 | 8 | 23 | 31 | |||
88 | 45 | 27 | 24 | 27 | 22 |
[1] L’auteur, plus proche de la théorie de la « consubstantialité des rapports sociaux » (Kergoat, 2012 : 125-140 ; Galerand et Kergoat, 2015), ne s’inscrit pas dans cette approche. Il l’utilise ici de manière pragmatique en rejoignant les critiques associées à son succès, comme sa dépolitisation. Voir Bilge, 2012 ; Dorlin, 2012.
[2] L’importation de « la théorie intersectionnelle » – en tant que « savoir militant » d’origine états-unienne dénonçant « la marginalisation des femmes noires au sein des mouvements sociaux » (Bilge, 2010 : 46-47) – a eu un effet décisif sur la (re)découverte du rapport social de race. Cependant, cette importation minore les savoirs militants français sur les modes « de l’articulation entre le système patriarcal et le système capitaliste » (Battagliola et al., 1990 : 51-57). Voir aussi Juteau (2010 : 66-67).
[3] Sur l’ambivalence des catégories et les risques de légitimation ou d’essentialisation des catégories dominantes, voir Juteau, 2010 ; Dorlin, 2012 ; Poiret, 2005.
[4] Les rapports d’âge et de génération constituent un autre rapport de pouvoir et de production fondamental mais notre travail l’a négligé.
[5] Voir Dunezat Xavier (2015), « L’observation ethnographique en sociologie des rapports sociaux : sexe, race, classe et biais essentialistes », SociologieS (en cours d’évaluation).
[6] Les entretiens ou les questionnaires sont alors indispensables.
[7] Selon cette démarche, inspirée par West et Fenstermaker (1995), les rapports de domination s’actualisent dans les interactions, ordinaires ou extraordinaires (comme dans une mobilisation).
[8] La permanence juridique répertoriait quelques dizaines de situations à la fin des années 1990 contre plusieurs centaines aujourd’hui.
[9] Sur l’usage du concept de race et la racisation du fait migratoire, voir Dunezat (2011 : 83-86).
[10] Nous réutilisons ici cette expression marxienne pour nommer l’hétérogénéité de positions qui structure la classe prolétaire et dont les catégories socioprofessionnelles constituent une illustration discutable. De même, la relation salariale se décline selon des modalités multiples qui divisent les “ouvriers”, les “employés”, les “cadres”, etc.
[11] Cette expression désigne des personnes affichant un rapport distancié au travail salarié.
[12] Selon les soutiens, une personne étrangère est « sans-papiers » tant qu’elle n’accède pas à un titre de séjour d’une durée de dix ans.
[13] Le chômage est une expérience inaccessible aux sans-papiers tandis que l’interdiction d’occuper un emploi – pas seulement sa privation – est une expérience dont sont protégés les autres “prolétaires”.
[14] Aide juridique, action de soutien, médiatisation, sociabilité…
[15] Pour une approche qualitative de la division du travail militant dans le Collectif, voir Dunezat (2011) et Charasse (2013).
[16] La terminologie utilisée ici est issue du terrain.
[17] Selon notre approche, les “privilégiés” ne sont pas moins “intersectionnels” que les “discriminés” (Jaunait et Chauvin, 2012 : 18-19).
[18] Lorsque deux groupes majoritaires sont numériquement identiques dans une AG, chaque groupe compte pour 0,5 dans nos calculs.
[19] Information recueillie grâce à la permanence juridique.
[20] En moyenne, la part des femmes chez les migrants est de 28 %. Elle varie entre 0 % et 75 %.
[21] En moyenne, la part des femmes chez les soutiens est de 57 %. Elle varie entre 38 % et 75 %.
Dunezat Xavier, « Hégémonie et marginalisation dans le travail militant : la sociographie d’une mobilisation au prisme du cadre intersectionnel », dans revue ¿ Interrogations ?, N°20. Penser l’intersectionnalité, juin 2015 [en ligne], https://www.revue-interrogations.org/Hegemonie-et-marginalisation-dans,462 (Consulté le 11 octobre 2024).